Guy Musy

Eric, l’agnostique !

Sans applaudir à tout rompre la parution du petit dernier d’Eric-Emmanuel Schmitt – ce best seller n’a que faire de ma publicité – je voudrais toutefois en recommander la lecture aux théologiens de tout acabit dont la profession consiste précisément à discourir sur…Dieu. Pas moins que ça! Ils mépriseront sans doute ce petit format dont le titre s’affiche dans les kiosques des aérogares. Mais qu’ils aillent au-delà des premières pages de ce qui pourrait ne leur paraître, au premier abord, qu’un banal récit de voyage, un trek à la mode, quelque part dans les parages de Tamanrasset, hanté par la présence et l’assassinat de Charles de Foucault. A la mode aussi la complicité (peut-on parler d’amitié?) d’un jeune guide Touareg tout de bleu vêtu avec un universitaire français portant short et tee-shirt et frotté de philosophie.

Le récit cesse d’être anodin quand on comprend qu’il s’agit d’une autobiographie centrée sur une «manifestation» singulière dont une force surhumaine serait la cause. Cela se passa au cours d’une nuit de feu, expression pascalienne empruntée par l’auteur pour servir de titre à son livre. L’événement se produisit après que notre philosophe eut perdu dans le désert sa route et ses compagnons. Voyant sa fin venir au sein d’une nuit glaciale, il se sentit soudain enveloppé de lumière, extrait de son propre corps, baignant dans une paix et une sérénité indicibles. Revenu à lui, ce bonheur ne le quitta plus et conditionne désormais toutes ses entreprises.

Qu’en pensent nos théologiens, s’ils daignent s’intéresser à ce récit? Et, avec eux, les médecins et les experts en âme humaine? L’auteur lui-même s’en explique dans l’épilogue de son ouvrage. Il parle d’une expérience mystérieuse qui ne se définit que par les effets qu’elle produit, mais tait le nom de ce qui en est l’origine. Cette expérience n’annihile pas l’agnosticisme de Schmitt. L’écrivain demeure à la recherche de cette force qui, une nuit de feu, s’est emparée de lui et qui ne le quitte plus. Depuis lors, Eric parcourt le «jardin des religions» pour en savoir davantage. Du moins, pour pouvoir nommer cette force et un jour peut-être l’invoquer et même l’adorer. Tout en se méfiant des dogmes des religions qui emmurent le croyant et musèlent son questionnement.

Il me semble que nous assistons à un nouveau paradigme religieux, éloigné de toute révélation précise, mais, finalement, n’en rejetant aucune. Un agnosticisme en embuscade, pourrait-on dire, attentif et même sympathique au fait religieux pour en avoir fait une certaine expérience. Les athées militants tendent à disparaître, de même que les croyants conquérants. S’élargit un entre-deux où se plaisent et se complaisent de plus en plus nos contemporains. Ceux-là même qui autrefois remplissaient nos temples et nos églises et aujourd’hui encore nos mosquées. Est-ce la religion de demain, de ce «dieu inconnu» qui avait jadis son temple au cœur d’Athènes et dont l’autel s’érige un peu partout autour de nous?

Quelque part dans les parages de Tamanrasset, hanté par la présence et l’assassinat de Charles de Foucault.
6 octobre 2015 | 18:00
par Guy Musy
Temps de lecture: env. 2 min.
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