Jean-Jacques Friboulet

Ultime recours?

La Banque Centrale Européenne vient de décider d’injecter plus de 1100 milliards d’euros sur deux ans (la moitié du produit de la France) en achetant des titres d’Etat. Cette injection de monnaie sans aucune contrepartie en produit est contraire aux règles de l’économie. Pourquoi la BCE s’est–elle résolue à une telle extrémité?

Il s’agit pour elle en premier lieu d’alléger la dette des Etats en faisant baisser les taux d’intérêt. La France par exemple pourra emprunter à 0,6%, alors que sa dette approche 100% de son produit national. La mesure a pour second objectif de favoriser les exportations européennes en faisant baisser l’euro. Victime collatérale immédiate de cette politique, le franc suisse, qui a vu sa valeur augmenter de près de 20%.

Les trois gagnants de cette nouvelle politique de la BCE apparaissent immédiatement: les Etats à cause de la baisse des taux d’intérêt, les exportateurs européens à cause de la baisse de l’Euro et les banques qui, en récupérant plus de 1000 milliards de liquidités, vont pouvoir s’engager davantage sur les marchés financiers et y faire de substantielles plus-values.

Les perdants sont moins apparents. Les caisses de retraite et les épargnants en général qui voient leurs revenus diminuer et même parfois passer dans le rouge en raison des taux d’intérêt négatifs. Les salariés et les entreprises tournées vers le marché intérieur, car la création de liquidités ne favorisera ni la consommation ni l’investissement. Croit-on sérieusement qu’une baisse de quelques dixièmes de pour cent sur les taux d’intérêt incitera les entreprises à investir alors que la production industrielle a chuté depuis 2000 de 15% en France ou de 25% en Italie? Les deux maux principaux des économies européennes du sud sont le montant (et non le coût de la dette) et la faiblesse du pouvoir d’achat moyen liée à la mauvaise productivité. Ces deux maux ne sont aucunement guéris et même diminués par la mesure décidée par la BCE.

Plus généralement cette mesure est significative d’une dérive de la pensée économique actuelle. Celle-ci fait une confiance aveugle aux phénomènes financiers et à la monnaie pour résoudre des problèmes fondamentaux. On l’a vu en Suisse, où on a prêté à la Banque Nationale une puissance qu’elle n’avait pas pour défendre le taux-plancher. On le voit en Europe où on prête à M. Mario Draghi, le président de la BCE, des pouvoirs qu’il n’a pas. Ne l’a-t-on pas traité dans certains journaux de Super Mario? Or la bonne monnaie est une servante de l’économie réelle. Elle doit mesurer correctement la valeur des produits (ce qui permet la stabilité des prix) et être un instrument d’épargne sûr. En s’écartant de ces deux vérités la BCE se lance dans une politique aventureuse dont les résultats pour l’Europe sont problématiques.

En attendant l’économie suisse subit de plein fouet les conséquences de cette politique. On entend certains commentateurs rêver que la Suisse soit proche de la Mer de Chine ou du Mexique pour faire de la Chine ou des Etats-Unis nos principaux clients. Ce n’est pas le cas. Nous dépendons toujours autant de l’Europe pour notre tourisme, notre agriculture et nos exportations. Nous devons faire avec, en ménageant nos rapports avec elle et en prenant les mesures intérieures nous permettant de corriger les dégâts causés par cette baisse de l’euro. Compte tenu des élections de 2015 dans plusieurs pays, la politique européenne devrait évoluer dans un sens que ne souhaite pas la BCE. Un test sera la discussion sur l’endettement de la Grèce. Si celui-ci venait à être réduit, d’autres pays s’engageraient dans la brèche et les perspectives économiques de l’Europe pourraient enfin s’éclaircir.

Jean-Jacques Friboulet

La BCE injectera plus de 1100 milliards d’euros sur deux ans en achetant des titres d’Etat
26 janvier 2015 | 15:10
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 3 min.
BCE (1), Economie (116), Europe (124), Euros (11)
Partagez!