«Sur le Chemin de Guiragos», Pascal Maguesyan fait mémoire du génocide des Arméniens

2’500 églises et 500 monastères d’Arménie Occidentale ont été transformés en «charniers de pierre» lors du génocide arménien, confie Pascal Maguesyan. Au cours des terribles années de 1915-1916, près de 1,5 million d’Arméniens de l’Empire ottoman ont péri, suite aux déportations, famines et massacres de grande ampleur organisés par les «Jeunes-Turcs» (*).

Pour faire mémoire de cette tragédie, le journaliste, photographe et écrivain français Pascal Maguesyan a parcouru à pied les chemins où chrétiens arméniens, syriaques et chaldéens ont été conduits à la mort et leurs grandes civilisations anéanties.

«Marche pour la vie et la justice»

Le journaliste français né dans la banlieue lyonnaise – dont deux de ses grands-parents sont arrivés en 1926 en France comme travailleurs immigrés après avoir fui Béhisni, un village arménien de l’empire ottoman, vers la Syrie et le Liban – a entamé l’été dernier une «marche pour la vie et la justice». Il consigne cette expérience mémorielle et spirituelle dans un ouvrage qu’il est en train d’écrire, et qui s’intitule provisoirement «Sur le Chemin de Guiragos», et pour lequel il cherche encore un éditeur.

«Je voulais faire mémoire de ces gens envoyés à la mort par ces marches forcées, Arméniens, Syriaques, Chaldéens…» Le but était de parcourir à pied, en quelque 30 jours, les 900 kilomètres de route qui séparent Ani, à la frontière de République d’Arménie, dont les ruines rappellent que la ville fut la capitale de l’Arménie vers l’an mille, à Diyarbakir, l’ancienne Dikranakert, la capitale fondée au 1er siècle avant J.-C. par Tigrane le Grand, roi d’Arménie, confie-t-il à cath.ch.

La situation sécuritaire empire au Kurdistan

Le marcheur entame son périple le 12 juillet 2015 à Ani, dans l’ombre du Mont Ararat, pour ensuite longer le lac de Van, puis poursuivre en direction de la plaine de Mouch, une région peuplée majoritairement d’Arméniens avant le génocide, qui les a éradiqués en juillet 1915.

Après 22 jours et 410 km parcourus, Pascal Maguesyan a dû interrompre la marche. La tension dans la région était à son comble après l’attentat de Suruç, à proximité de la frontière avec la Syrie, en face de Kobané. Commis par des terroristes islamistes, il a fait une trentaine de morts et une centaine de blessés. Avec la reprise des combats au Kurdistan entre l’armée turque et le PKK, la situation sécuritaire était devenue très précaire dans le sud-est de la Turquie. «Les mines et des bombes placés sur les bords des routes visaient les forces de l’ordre, sans parler des contrôles de la police militaire… Je ne pouvais plus continuer!» Le périple s’est donc poursuivi en voiture, pour aboutir à Diyarbakır.

A Diyarbakır, le phénix renaît de ses cendres

Dans la «capitale» du Kurdistan turc, Sourp Guiragos (Saint Cyriaque), la cathédrale arménienne du 14e siècle qui fut pratiquement rasée en 1915, a été reconstruite à l’identique grâce au soutien de la Fondation Sourp Guiragos et du patriarcat arménien d’Istanbul, avec la participation de la municipalité de Diyarbakır. En visitant celle qui fut la plus grande église arménienne du Moyen-Orient, rouverte au culte en 2011, Pascal Maguesyan a cette phrase: «c’est le phénix qui renaît de ses cendres!»

Sur les 2’500 églises et 500 monastères d’Arménie Occidentale, seuls deux ont été restaurés, déplore le journaliste lyonnais: Sourp Guiragos, et l’église Sainte-Croix d’Aghtamar, sur une île du lac de Van, au cœur de l’Arménie historique. C’est là que fut pendant des siècles le siège du catholicossat arménien d’Aghtamar.

La Turquie continue de livrer le patrimoine arménien à la destruction

«Le régime turc a rénové l’église d’Aghtamar pour des buts politiques et touristiques, mais la Turquie, depuis cent ans, livre le patrimoine arménien à la destruction… Il est détruit par l’armée, la population locale, qui pille les ruines et les cimetières arméniens à la recherche de matériaux et de trésors. La population locale kurde pense qu’il y a de l’or dans les tombes, parce que de nombreux Arméniens reviennent sur les traces de leurs ancêtres. Cela accélère encore le processus de dégradation de ce qui reste du patrimoine arménien. Et le régime turc laisse faire! Les Arméniens ont été exterminés en 1915, mais le processus de destruction de leur patrimoine se poursuit encore un siècle après!»

«L’Etat turc mène une politique d’éradication de la diversité, malgré le discours officiel qui prétend le contraire!», lâche, amer, le journaliste et photographe français. Mais il souligne qu’aujourd’hui les Kurdes, dont nombre d’entre eux à l’époque ont participé à l’extermination des Arméniens, se montrent solidaires, notamment les leaders du Parti démocratique des peuples HDP, ainsi que des maires de villes et de villages kurdes.

Des regrets et même de la compassion

«Ils reconnaissent publiquement leur rôle et expriment leurs regrets quant à leur complicité d’alors, même de la compassion… Ces sentiments existent aussi dans une partie de la société civile turque. Des gens engagés travaillent à la reconnaissance de la vérité historique, recherchant une certaine forme de justice et de réparation. En avril dernier, une vingtaine d’ouvrages en langue turque qui parlent explicitement du génocide arménien ont été publiés en Turquie».

Le politologue, journaliste et écrivain turc d’Istanbul Cengiz Aktar a été l’un des initiateurs, en 2008, de la demande de pardon aux Arméniens, qui a été signée par des centaines d’intellectuels et artistes turcs.

Le négationnisme du génocide reste une politique d’Etat

«Mais cent ans après, le négationnisme du génocide arménien reste une politique d’Etat en Turquie et la haine anti-arménienne est encore très présente dans certains milieux turcs. L’Etat turc déploie une énergie farouche dans le monde entier pour tenter d’empêcher toutes les formes de reconnaissance du génocide des Arméniens, alors qu’un crime contre l’humanité est imprescriptible».

Outre les affrontements sanglants entre l’armée turque et les militants kurdes, la population locale craint toujours davantage les infiltrations dans la région des terroristes de Daech, le soi-disant «Etat islamique», qui ont installé des bases de repli en territoire turc. Pour Pascal Maguesyan, «tout le monde sait aujourd’hui que l’Etat turc joue un double jeu !» JB

(*) Le génocide est le fait du Comité Union et Progrès (CUP), plus connu sous le nom de «Jeunes-Turcs», dirigé alors par le triumvirat d’officiers Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha, à la tête de l’Empire ottoman.

 


Encadré

Conférence de Pascal Maguesyan à Lausanne, le 31 janvier

A l’occasion de son assemblée générale, le dimanche 31 janvier à 14h30 à la paroisse catholique de Saint-Etienne à Lausanne (Route d’Oron 10, métro les Croisettes, arrêt la Sallaz), l’œuvre d’entraide KASA (Komitas Action Suisse-Arménie) a invité Pascal Maguesyan. Ce spécialiste des chrétiens d’Orient (voir son ouvrage: «Chrétiens d’Orient, Ombres et Lumières», aux Editions Thadée – Sélection du Prix littéraire 2014) donnera une conférence ayant pour titre «Avec les CHRÉTIENS D’ORIENT, comprendre et agir».

Depuis plus de 120 ans, les chrétiens d’Orient survivent dans un tourbillon d’histoires catastrophiques dont nul ne peut prédire l’issue, écrit-il. «Si ce chaos se poursuit, nous pourrions assister à la disparition de ces communautés enracinées depuis des millénaires en Irak et en Syrie, comme ce fut le cas il y a un siècle pour les civilisations arméniennes, syriaques et chaldéennes en Turquie orientale».

L’écrivain et journaliste français se demandera si l’impunité du génocide des Arméniens pourrait expliquer la perpétuation des crimes commis encore aujourd’hui contre les chrétiens d’Orient. Et de se demander aussi ce que font les grandes puissances régionales et internationales dans la région et quelles sont leurs implications dans ce désastre.

KASA – Komitas Action Suisse-Arménie – œuvre en Arménie depuis plus de 18 ans pour accompagner les jeunes Arméniens qui veulent construire démocratiquement et solidairement leur pays. Cf: www.kasa.am

L'écrivain, journaliste et photographe français Pascal Maguesyan
13 janvier 2016 | 15:47
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
Arménie (101), Guiragos (1), KASA (3), Maguesyan (1)
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