Syrie Patriarche Grégoire III Laham, chef de l'Eglise grecque-melkite catholique (Photo: Jacques Berset)
International

Il faut éliminer «Daech», cette honte du XXIe siècle, lance le patriarche d'Antioche Grégoire III

Lucerne, 27 avril 2015 (Apic) Quand le monde entier, y compris les pays arabes, va-t-il enfin s’unir pour éliminer cette épidémie qui s’appelle «Daech», le soi-disant Etat islamique en Syrie et en Irak, «cette honte de l’humanité au XXIe siècle!», lance le patriarche d’Antioche Grégoire III Laham.

De passage en Suisse (*), le chef de l’Eglise grecque-catholique melkite, dont le siège est à Damas, s’est confié à l’Apic. Et il ne mâche pas ses mots…

Le patriarche Grégoire III, élu par le Saint-Synode de l’Eglise melkite le 22 novembre 2000, réside désormais à Damas, où la vie se déroule «quasi normalement». Les rebelles bombardent cependant la ville à l’aveuglette, surtout les quartiers chrétiens, visés chaque jour.

Haro sur la complicité ou l’inaction de la communauté internationale

A Damas, la situation est bien meilleure qu’à Alep. La métropole du nord de la Syrie, qui fut la capitale économique du pays avant la guerre, est encerclée par les rebelles et n’a qu’une voie de sortie vers la zone contrôlée par le gouvernement. «A Damas, dans nos quartiers, la sécurité est garantie, car il n’y a pas d’infiltration de groupes rebelles. Des insurgés ne sont cependant qu’à 500 m de certaines églises et monastères. Un dimanche, 100 obus de mortier sont tombés sur la ville, mais la vie continue: les étudiants se rendent à l’Université, on fait ses courses, on danse, on se marie, les églises sont pleines!»

Grégoire III déplore vivement que la communauté internationale ne soit pas capable de vaincre les «takfiristes» qui sèment la mort dans son pays. Il fustige le fait qu’elle refuse de mettre un terme à son soutien à ces extrémistes «barbares et inhumains» et aux livraisons d’armes. Grégoire III mentionne ainsi que des armes de facture israélienne parviennent aux insurgés par le biais de l’Arabie Saoudite.

Les chrétiens, «indispensables à la diversité et au progrès du monde arabe»

«Des djihadistes blessés vont se faire soigner en Israël… C’est plus que machiavélique! Et ma plus grande peine, c’est la division du monde arabe. L’islam n’est pas notre ennemi, c’est la division qui nous menace. Dans un monde arabe unifé, les chrétiens sont les bienvenus, car ils sont indispensables à la diversité et au progrès de nos pays». Et de reprendre l’expression du célèbre journaliste et écrivain égyptien Mohamed Hassanein Heikal: «Comme le monde arabe serait pauvre sans les chrétiens!»

«Ce sont les chrétiens qui ont apporté le pluralisme dans le monde arabe… Sans nous, ce serait un monde uniforme, monocolore. C’est notre mission d’être sur cette terre de Syrie, le berceau du christianisme, devenue une terre à majorité musulmane. Le monde arabe musulman a besoin de nous, de notre présence et de notre témoignage. Je n’hésite pas à dire que sans nous, les chrétiens, il n’y a pas d’arabité… Rappelons également que le cheikh d’al-Azhar, au Caire, a lancé un appel aux chrétiens, afin qu’ils restent sur place. Les musulmans, en général, veulent notre présence. Les gens de ‘Daech’ ne sont pas de vrais musulmans: c’est un poison, une menace mortelle pour les musulmans eux-mêmes!»

Une vague d’émigration sans précédent

Malheureusement, admet-il, les terribles attentats des djihadistes visant les chrétiens ont provoqué une vague d’émigration sans précédent en Syrie, mais plus encore en Irak: «Il n’est pas exagéré de dire qu’aujourd’hui chaque chrétien y pense, croyant, avec ou sans raison, qu’il n’y a plus d’avenir pour lui et et pour ses enfants au Moyen-Orient!»

Et pourtant, les 1,5 million de chrétiens syriens vivent sur une «terre sainte», où ils ont une forte identité et un rôle crucial à jouer. «Que deviendraient-ils, dispersés aux quatre coins de l’Occident, ils perdraient leur identité, ils ne seraient plus rien… Le choix de tenter de trouver la sécurité ailleurs est cependant à respecter, car il faut rappeler que jusqu’à aujourd’hui, 450’000 chrétiens ont été chassés de chez eux. Ils se sont réfugiés à l’intérieur de la Syrie ou ont quitté le pays. Déjà 130 églises et lieux de culte ont été endommagés ou complètement détruits».

Les chrétiens se sentent protégés par le régime

De la part du régime de Bachar al-Assad, les chrétiens se sentent protégés, «mais c’était déjà le cas sous l’empire ottoman», qui avait mis en place le système des «millet». Il garantissait ainsi les droits personnels des diverses communautés religieuses.

«Comme chrétiens, nous nous sentons très libres, et l’Eglise ne demande jamais la permission à l’Etat pour parler. Nous demandons des réformes, nous plaidons pour plus de liberté, pour le pluralisme politique. Il est normal que le parti Baath au pouvoir (Parti Baas arabe socialiste, le parti du président al-Assad, ndlr) ait le plus de voix, car il est en place depuis longtemps. Quand je suis revenu à Damas comme patriarche, les gens simples me le disaient: c’est plus comme avant, l’atmosphère s’est libéralisée, il y avait une volonté de progrès. Je le dis comme observateur, parce que j’avais vécu auparavant 26 ans en Terre sainte».

60 à 70% des gens sont pour le président Bachar al-Assad

«De toute façon, quoi qu’on en dise en Occident, 60 à 70% des gens sont pour le président Bachar al-Assad, même s’il a aussi commis des fautes. C’est un fait que l’Etat devrait mieux nous protéger, on l’a vu dans la prise par les djihadistes de la ville chrétienne de Maaloula… Mais Bachar ne va pas partir, il n’y a de toute façon pas d’alternative crédible. La trentaine de groupes d’opposition qui ont tenu des réunions à Paris, Istanbul ou Genève, qui de plus se disputent entre eux, ne sont pas en mesure de faire le poids. On ne parle plus non plus de l’Armée syrienne libre (ASL), mais bel et bien des groupes terroristes du Front al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaïda, ndlr) et de Daech».

 


Encadré

Sur les traces de saint Paul

Le patriarche Grégoire III Laham est né en 1932 à Darayya, connu comme le lieu de la conversion de saint Paul, à 9 km au sud de Damas. «Je suis né dans un lieu où saint Paul a vu le Seigneur ressuscité. Le christianisme est entré à Damas vers juillet 33, et l’Eglise de Damas est devenue si forte parce que la communauté juive y était importante. Ma mère vient de la ville de Khabab, à une bonne cinquantaine de kilomètres au Sud de Damas, dans le Hauran. Il faut rappeler que le christianisme se répandit dans cette région dès les premières années après la Pentecôte. Dans l’épître aux Galates (1, 17), on lit que l’apôtre Paul passa trois ans dans le ‘pays des Arabes’… ” C’est justement «sur cette terre bénie» que le patriarche melkite fait construire un hôpital de 60 lits, qui sera bientôt achevé. «Je retarde un peu l’ouverture, car je crains les infiltrations des djihadistes, car nous ne sommes pas loin de la frontière jordanienne, et les groupes armés contrôlent en partie Quneitra, sur le plateau du Golan, dominant ainsi les lieux. «S’emparer d’un hôpital et de ses installations, ce serait une aubaine pour les djihadistes… Ils ne sont qu’à quelques dizaines de kilomètres d’un ensemble de villages chrétiens». JB

 

(*) Les 25 et 26 avril 2015, le patriarche d’Antioche Grégoire III Laham, chef de l’Eglise grecque-catholique melkite, dont le siège est à Damas, était l’invité de la section suisse de l’oeuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse (AED) à Lucerne. Depuis l’éclatement de la crise en Syrie, l’aide d’AED aux victimes de la guerre, notamment aux communautés chrétiennes menacées dans leur existence dans ce berceau du christianisme des premiers siècles, s’élève à 6,5 millions de francs. Pour venir en aide aux populations syriennes: CCP 60-17200-9; IBAN 55 0900 0000 6001 7200 9. (apic/be)

Syrie Patriarche Grégoire III Laham, chef de l'Eglise grecque-melkite catholique
27 avril 2015 | 14:32
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
AED (95), Daech (156), Grégoire III Laham (10), Syrie (436)
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