L’Etat égyptien renforce son contrôle sur les mosquées

Le Caire, 28.07.2015 (cath.ch-apic) L’Etat égyptien accentue son contrôle sur les mosquées, afin d’éviter que les prédicateurs ne fassent de la «propagande politique» du haut de la chaire.

Le ministère des Waqfs (chargé des legs pieux) vient d’interdire à Mohamad Guibril, célèbre prédicateur et récitateur du Coran, de diriger la prière dans les mosquées d’Egypte, révèle dans sa dernière édition l’hebdomadaire en ligne Al-Ahram, au Caire.

55’000 imams interdits de prêcher

«Guibril a enfreint le règlement du ministère et a utilisé la prière pour faire de la propagande politique», a déclaré le ministre des Waqfs, Mokhtar Gomaa. Ce dernier considère que l’interdiction de prêcher faite à 55’000 imams autoproclamés et non enregistrés est une mesure qui vise à «lutter contre l’intégrisme religieux. Il estime que les fondamentalistes qui prêchent sans permis représentent une menace pour la sécurité nationale.

Les faits reprochés au prédicateur Mohamad Guibril remontent au 13 juillet, 27e jour du mois de Ramadan. Guibril a conduit la prière du soir à la mosquée d’Amr Ibn Al-Ass, dans le quartier historique du Caire. Il a terminé sa prière en invoquant Dieu contre les «despotes» et les «dirigeants injustes qui emprisonnent les jeunes et tuent de sang-froid les gens».

Lutte contre l’intégrisme religieux

Son invocation a été interprétée comme étant hostile au pouvoir. En réaction, le ministre des Waqfs a intenté un procès-verbal contre Guibril, l’accusant d’incitation contre l’Etat et d’»exploitation de la religion à des fins de propagande».

«Mohamad Guibril nous a trompés. Il ne sera plus jamais autorisé à faire de la prédication. Il s’est engagé à respecter le règlement du ministère interdisant tout discours politique dans les mosquées, mais il n’a pas tenu son engagement», a déclaré le ministre des Waqfs. Il a affirmé que l’Etat n’allait permettre qu’aux prédicateurs qui connaissent bien leur religion de monter à la tribune.

Prédicateurs interdits de politique

«Les prédicateurs doivent présenter leur message honnêtement et professionnellement, loin de la politique. Le prédicateur qui fait autrement trahit sa vocation». Guibril a nié les accusations portées contre lui, précisant que son invocation visait «les dirigeants de certains pays étrangers qui cherchent à déstabiliser l’Egypte».

En Egypte, où la religion a une place prépondérante, note Al-Ahram Hebdo, les mosquées ont toujours été un instrument important de propagande politique. En 2011, à l’issue de la révolution du 25 janvier, les islamistes avaient utilisé les mosquées pour inciter la population à voter en faveur des remaniements constitutionnels introduits à l’époque par le Conseil militaire qui dirigeait le pays.

Les islamistes avaient infiltré les mosquées

«C’est par ce fameux ‘oui’ qui mène au paradis que les islamistes ont pu plus tard rafler une majorité parlementaire et occuper le devant de la scène politique. Arrivés au pouvoir, les Frères [musulmans] ont tenté de monopoliser le discours religieux et d’écarter les imams qui leur étaient opposés. Ils avaient commencé par le très important ministère des Waqfs. Tous les responsables-clés de ce ministère, le directeur de la Daawa et celui du secteur des mosquées avaient été remplacés par des Frères. Mazhar Chahine, l’imam de la mosquée de Omar Makram, connu comme étant l’imam de la révolution, a été aussi suspendu en raison de ses positions hostiles aux Frères».

Après le renversement du président Morsi, l’Etat a multiplié les initiatives pour reprendre le contrôle de certaines mosquées contrôlées par les Frères musulmans et les salafistes. Une loi a été ainsi promulguée en 2014, limitant les prêches et les leçons religieuses aux seuls diplômés d’Al-Azhar, qui détiennent un permis du ministère des Waqfs. Les personnes en dehors de ces deux institutions peuvent aussi être autorisées à prêcher, mais seulement avec la permission du ministère. Il a été aussi interdit aux imams de soulever des thèmes politiques lors du prêche du vendredi.

Suite à l’affaire Guibril, le cheikh Mohamad Abdel-Razeq, directeur du secteur des affaires religieuses au ministère, a averti que le ministère ne permettra pas que les minarets se transforment en arènes de combat politique ou en tribunes pour ceux qui appellent à déstabiliser le pays. «L’islam ne doit pas être exploité à des fins politiques, a prévenu Abdel-Razeq.

Ahmad Kerima, professeur de droit islamique à l’Université d’Al-Azhar, estime que ce serait une grande erreur si l’Etat devait abandonner le contrôle des mosquées. «Les imams comme Guibril nuisent à la religion en l’exploitant à des fins politiques et au profit d’un mouvement déterminé. Certaines mosquées sont devenues des terreaux pour véhiculer des messages de haine et de violence et d’appel à l’affrontement, des lieux de propagande politique. Elles ont renoncé à leur rôle, celui de servir la religion. Les minarets ne doivent pas être des tribunes de propagande politique et ne doivent pas être utilisés pour propager des idées extrémistes non-conformes à la ligne modérée adoptée par Al-Azhar».

«Mesure injustifiée», pour les islamistes

Mais tous ne partagent pas le point de vue officiel. Ahmad Imam, porte-parole du parti islamiste «L’Egypte forte», dénonce une mesure «arbitraire» et «injustifiée» contre Guibril. «Les accusations adressées au cheikh sont absurdes. Est-ce un crime de prier contre les injustes et les tyrans ?», lance Ahmad Imam. Mohamad Saleh, membre du Front des oulémas d’Al-Azhar, dénonce pour sa part «la volonté de l’Etat de monopoliser le discours religieux et de nationaliser les mosquées». «Les mesures gouvernementales ne visent pas à éloigner les imams de la politique, mais plutôt à éliminer ceux qui sont opposés au pouvoir», estime-t-il. (apic/alahram/be)

Forêt de minarets dans un village de Haute-Egypte (Photo Jacques: Berset)
28 juillet 2015 | 17:15
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
Al-Azhar (83), Egypte (286), Mosquées (17), Waqfs (3)
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