Alice Chablis (g.) et Maud Amandier ont déconstruit les stéréotypes sexistes (Photo: Priscilia Chacon)
Suisse

L’Evangile pour lutter contre les stéréotypes

Genève, 13 mars 2015 (Apic) Déconstruire nos schémas et aborder de façon nouvelle la question des relations homme-femme dans l’Eglise. Tel était l’objectif de la conférence-débat qui a réuni, le 12 mars 2015, une cinquantaine de personnes à l’Espace Fusterie, à Genève.

Suite à la parution de leur livre «Le Déni. Enquête sur l’Eglise et l’égalité des sexes», Maud Amandier et Alice Chablis (pseudonymes) ont exposé les thèses fortes de leur ouvrage, qui veut soulever les tabous sur les représentations sexistes de la femme. Invité à ce temps de dialogue, le Père Philippe Lefebvre a affirmé la nécessité de se replonger dans la Bible pour déconstruire nos schémas et aborder de façon nouvelle la question des relations homme-femme.

 Des stéréotypes bien ancrés

«L’enjeu de ce travail: la justice. Nous voulons faire prendre conscience de la violence exercée contre les femmes, qu’elle soit économique, politique ou physique». C’est sur cette conviction qu’Alice Chablis, bibliste, a entamé l’exposé de ses recherches sur les représentations symboliques des sexes et du pouvoir, qui a abouti à la publication d’un livre en janvier 2014. Ses deux auteurs ont partagé leurs découvertes au public, en majorité d’un certain âge, présentant les mécanismes de pensées quasi-inconscients qui contribuent à maintenir la femme dans une position inférieure à celle de l’homme. «Nous sommes tous sexistes sans le savoir», a affirmé Maud Amandier, journaliste et co-auteur de l’ouvrage. Une démonstration solidement construite et centrée sur une attention au langage. Sur un écran se sont alternés citations d’hommes d’Eglise et affiches publicitaires sexistes, pour dénoncer la facilité avec laquelle les mots véhiculent les stéréotypes. Selon les auteurs, le pape François n’échappe pas à l’utilisation de ces images, associant dans un de ses discours les femmes au repassage, ou encore les qualifiant de «fraises sur un gâteau».

 Ouvrir les tabous dans l’Eglise

L’Eglise catholique est tenue comme une des responsables de la promotion de ces représentations. Pris en exemple, l’insistance sur l’opposition entre Eve et Marie, créée comme une fausse alternative, engendrerait une culpabilisation spécifique des femmes. Les auteurs ont insisté sur l’image de la femme servante et discrète présente dans les textes et discours du magistère, cachant selon elle des injonctions faites au sexe féminin. Dans le public, certaines femmes ont pris la parole pour remercier les intervenantes d’ouvrir des tabous et exprimer leur pessimisme face à une situation qui perdure depuis des siècles. En refusant la discussion approfondie sur ce sujet, mais également sur le mariage des prêtres et l’ordination des femmes, l’Eglise refuserait de poser la question du pouvoir. «La pensée de l’égalité n’est pas un but en soi, mais un concept qui permet de comprendre qu’on peut dépasser le désir de domination», a expliqué Alice Chablis. La rencontre de Jésus et de la Samaritaine, étrangère et pécheresse, a été présentée comme une «parabole de l’égalité».

 »Un bienheureux désarroi»

Le Père Philippe Lefebvre est intervenu en dialogue avec les auteurs du «Déni» et a éclairé la réflexion par sa connaissance des textes bibliques. «La Bible fait miroiter des stéréotypes, avant de s’en emparer pour les transformer», a-t-il soutenu. Il a cité en exemple le Livre des Juges, où des femmes prisonnières, qui acceptent leur statut de butin, sont mises à côté de prophétesses comme Deborah, prenant la parole pour sauver les Hébreux. Philippe Lefebvre est également revenu sur l’importance accordée aux mots et la nécessité du travail sur les langues pour ne pas tomber dans le piège d’une interprétation univoque. Il a ainsi rappelé que le mot «aide» en hébreu n’a pas de connotation négative, et qu’il signifie «Dieu». Rejoignant Alice Chablis et Maud Amandier, le prêtre a parlé de «bienheureux désarroi» pour qualifier la situation que traverse l’Eglise face à l’évolution de notre société. «C’est l’expérience du désarçonnement que l’on refuse. Il y a un déficit de Bible dans les réflexions pour se désarmer et chercher», a-t-il analysé.

 


Encadré

Maud Amandier est journaliste. Elle a longtemps travaillé dans la presse chrétienne et sociale.
Alice Chablis est plasticienne et enseignante. Bibliste, elle a été aumônier de grandes écoles et d’université. Elles sont les co-auteurs de l’ouvrage «Le Déni. Enquête sur l’Eglise et l’égalité des sexes», paru en janvier 2014 aux éditions Bayard. Celui-ci contient les résultats d’une enquête s’appuyant sur les textes bibliques et ceux du magistère de l’Eglise catholique, ainsi que sur l’histoire du christianisme et de la société.

Le dominicain Philippe Lefebvre est professeur d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg.

Pour poursuivre la réflexion sur ce sujet: le 27 avril 2015 à Uni Mail, conférence d’Elisabeth Parmentier (professeure de théologie pratique à l’Université de Strasbourg) intitulée «L’ordination des femmes au ministe»re pastoral dans les Eglises issues de la Réformation». Elle s’inscrit dans le programme du cours public se déroulant de février à mai 2015 autour du thème «genres et religion», et organisé par la Faculté de théologie protestante et l’Institut des études genres. (apic/pc/rz)

Alice Chablis (g.) et Maud Amandier ont déconstruit les stéréotypes sexistes
13 mars 2015 | 14:25
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 3 min.
Eglise (115), femmes (165)
Partagez!