Petra Del Curto, Robert Eugster, Soeur Candide Cotting et le Père cordelier Pascal Marquard (Photo: Jacques Berset)
Suisse

Pour les Caritas romandes, «l'alimentation est un miroir des inégalités sociales»

Fribourg, 20 avril 2015 (Apic) «Qui l’aurait cru ? Dans notre îlot de prospérité vivent, de nos jours, des femmes, des hommes et même des enfants pour qui la nourriture fait souvent défaut!» Cette précarité alimentaire, face cachée de la société de l’abondance, Petra Del Curto, directrice de Caritas Fribourg, et ses collaborateurs, la dévoilent dans le numéro d’avril 2015 de Caritas.mag.

Le magazine des Caritas de Suisse romande le souligne dans sa dernière édition: «l’alimentation est un miroir des inégalités sociales». En effet, ne pouvant pas limiter leurs charges fixes, de nombreuses familles économisent sur le budget dévolu à l’alimentation avec, pour conséquence, des effets préjudiciables, en particulier sur la santé. Dans le canton de Fribourg se multiplient les «repas-partage», la distribution de cabas alimentaires ou de cartons de victuailles remis discrètement à domicile.

3 millions de tonnes de denrées alimentaires sauvées de la destruction

Ainsi l’association suisse «Table couvre-toi», qui sauve des denrées alimentaires de la destruction et les distribue dans le canton de Fribourg: à Bulle, à Fribourg et à Morat. Avec sa cousine «Tables du Rhône», en Valais, l’association redistribue chaque année près de 3 millions de tonnes de denrées alimentaires irréprochables qui, sinon, seraient détruites.

Plus de 15’000 personnes dans le besoin ont ainsi pu accéder à des sacs de nourriture pour 1 franc dans un des 106 centres de distribution, dont une quinzaine se trouvent en Suisse romande. De même que la nouvelle Epicerie mobile de Caritas Vaud – qui dessert neuf agglomérations du canton, grâce à un bus mis à disposition par les Transports publics fribourgeois (TPF) – ou les «repas-partage» organisés par Caritas-Gruyère, à Bulle, ces actions animées par des bénévoles participent à une économie de la «récupération d’invendus».

Les «repas-partage», rompre la solitude autour d’un repas

Depuis une quinzaine d’années, tous les lundis, entre 11 h 30 et 13 h, les locaux paroissiaux des Halles, à Bulle, accueillent les «repas-partage» mis sur pied par Caritas-Gruyère. La vingtaine de bénévoles qui se relaient chaque semaine, hormis les périodes de vacances, le Lundi de Pâques et celui de Pentecôte, reçoivent 30, 40, voire jusqu’à 50 personnes venues non seulement se restaurer à un prix accessible, mais aussi partager des moments d’amitié ou rompre leur solitude et leur isolement, dans une ambiance très familiale.

Le partage convivial est un des objectifs majeurs de l’œuvre d’entraide catholique qui s’engage quotidiennement pour apporter un peu de chaleur humaine dans un monde ignorant trop souvent ceux qui sont laissés au bord du chemin. On peut d’ailleurs s’apercevoir que tous les convives attablés ont l’air de se sentir tout à fait à l’aise. Même si l’on peut regretter que très peu de personnes bien loties participent à ce moment de partage.

«Au départ, nous voulions nous ouvrir à toutes les couches sociales, mais nous touchons, avant tout, des personnes seules, isolées et nécessiteuses. Nous accueillons majoritairement des retraités qui ont de petits moyens ou reçoivent des prestations complémentaires, mais aussi des mamans seules avec des enfants, des personnes à l’aide sociale, des réfugiés et des immigrés également… Beaucoup sont des habitués !», commente Josiane Jæger, qui fut, durant près de sept ans responsable de cette action de Caritas-Gruyère, et qui est toujours engagée dans le Conseil de communauté de l’Unité pastorale Notre-Dame de Compassion.

Aucune contribution n’est exigée pour les repas, même si elle est souhaitée à la hauteur des possibilités des convives. Les contributions couvrent moins de la moitié des coûts, qui s’élèvent à quelque12’000 francs par an. Le reste est couvert par des dons, des quêtes ou des mentions «repas-partage» lors d’enterrements et de mariages.

Pas les moyens d’être des «piliers de bistrot»

«La paroisse nous laisse gratuitement les locaux à disposition, et l’Espace Gruyère nous prépare de copieux repas. C’est Caritas qui fournit le pain, les boissons, le dessert et le café, ajoute Pierre Cottier, président de Caritas-Gruyère. Ce qui est le plus important, souligne-t-il, c’est que, autour de la table, non seulement on se restaure, mais surtout on rompt des solitudes et on tisse des amitiés».

A une table, trois amis – l’un venant de Fribourg, les deux autres du district de la Glâne – racontent qu’ils ne roulent pas sur l’or et n’ont pas les moyens d’être des «piliers de bistrot». Ce sont des habitués qui fréquentent les lieux depuis des années. «Il n’y a pas beaucoup d’endroits comme cela dans le canton. C’est une belle initiative, lancent-ils en chœur, qu’il faudrait renouveler ailleurs !» JB


Encadré

Un pôle de compétences hébergé chez les Cordeliers

Avec la rénovation de la Maison Père Girard, au début de la rue de Morat, à Fribourg, la communauté des Cordeliers (frères mineurs conventuels) a contribué à la création d’un nouveau pôle de compétences destiné à venir en aide aux personnes vivant des situations difficiles dans le canton. Située dans l’enceinte du plus ancien couvent de la famille franciscaine encore actif en Suisse, la Maison Père Girard abrite Caritas Fribourg, «Table couvre-toi» ainsi que le Centre missionnaire, l’association Connexion Suisse-Migrant (CSM), la paroisse alémanique de Fribourg et environs et le Centre cantonal d’addictologie (CCA).

«En accueillant dans la Maison Père Girard tant Caritas Fribourg que d’autres œuvres poursuivant des buts sociaux-caritatifs, notre communauté perpétue sa mission, en développant un projet pour les temps actuels», confie le Père Pascal Marquard, père gardien du couvent sis à la rue de Morat 8.

La communauté, qui compte cinq pères et deux frères franciscains ainsi que trois autres religieux, est dynamique, avec un âge moyen autour des 50 ans. Elle est fière d’avoir eu comme supérieur le Père Grégoire Girard (1765-1850), qui développa, à Fribourg, une école primaire exemplaire, basée sur le principe de l’enseignement mutuel. Il est considéré, avec Johann Heinrich Pestalozzi, comme le plus grand pédagogue de Suisse. Durant les XIXe et XXe siècles, l’enseignement et l’éducation de la jeunesse ont d’ailleurs constitué une part importante de la mission des Cordeliers à Fribourg.

«La charité, aujourd’hui, prend d’autres formes»

«La charité, aujourd’hui, prend d’autres formes. Le couvent offre, par exemple, un accueil personnalisé, notamment pour des personnes en détresse, car la spiritualité est toujours un acte d’amour. La prière est le cœur et le moteur de la communauté. Elle la fait fonctionner en faveur des hommes qui se trouvent dans les périphéries, sous toutes les formes, selon les mots du pape François. Avec le projet de la Maison Père Girard, on permet des activités qui s’engagent pour les mêmes valeurs, pour la dignité de l’homme !» JB

 


Encadré

Le couvent des Cordeliers, une ruche bourdonnante

Outre les bureaux de Caritas Fribourg, la Maison Père Girard accueille les locaux de la pastorale alémanique de Fribourg et environs, la Katholische Pfarreiseelsorge Freiburg Stadt und Umgebung, le Centre cantonal d’addictologie (CCA), un centre de compétences spécialisé dans le traitement des troubles de l’addiction, l’Association Connexion Suisse-Migrant (CSM), un service d’aide, d’orientation et de soutien aux immigrés, le Centre missionnaire de Fribourg (CMF), dirigé par Robert Eugster, qui soutient depuis 1960 les missionnaires fribourgeois actifs dans les pays du Sud ou, encore, l’Association «Table couvre-toi», qui sauve des denrées alimentaires de la destruction et les distribue à des personnes souffrant de pauvreté.

Dans ses locaux se trouve également l’ancien «Accueil du samedi», qui est désormais ouvert le vendredi après-midi. Cet accueil, fondé il y a 18 ans par les congrégations religieuses du canton, travaille en coordination avec Caritas Fribourg et offre une aide d’urgence aux personnes nécessiteuses, leur permettant de se nourrir pendant le week-end, quand tous les services sociaux sont fermés.

Cofondatrice avec le Père Bruno Holtz de l’»Accueil du samedi», Sœur Candide Cotting, de la congrégation de la Sainte-Croix de Menzingen, rappelle la nécessité de cette œuvre. Revenue à Fribourg, il y a une vingtaine d’années, après avoir dirigé pendant 21 ans la section filles de l’Ecole ménagère rurale de Châteauneuf, près de Sion, la religieuse d’origine singinoise est interpellée par le nombre impressionnant de pauvres venant frapper aux portes de sa communauté. Il fallait faire quelque chose ! Sœur Candide se concerte alors avec l’abbé André Vienny, fondateur du Tremplin, une association d’aide aux toxicomanes. Les congrégations décident alors de ne plus donner de l’argent à l’aveuglette, mais de travailler avec Caritas Fribourg, en lui offrant également un soutien financier.

Dans la simplicité franciscaine

«La diaconie, c’est notre charisme, c’est dans nos gènes… Nous nous adaptons aux besoins de notre temps. A la fin du XIXe siècle, notre congrégation a fondé ses premières écoles dans le canton de Fribourg, à Posat et à Neyruz. Pour les filles, car, en ce temps-là, elles n’allaient pas à l’école. Les familles étaient pauvres, sans argent et les filles devaient aider à la maison. Pendant longtemps, nous avons lavé le linge de l’église, habillé les défunts, fait les piqûres à domicile chez les malades, sans oublier la distribution de nourriture aux gens nécessiteux … Tout cela dans la simplicité franciscaine !»

Actuelle supérieure de la communauté sise au 72 du boulevard de Pérolles, Sœur Candide rappelle qu’elle se demandait avec le Père Holtz ce qu’il fallait faire pour les pauvres rencontrés à Fribourg, et ceux qui faisaient le tour des couvents et des congrégations. Il y a 20 ans, le dispositif social actuel – La Tuile, Banc Public, Fribourg pour tous – n’existait pas. Et «’aide à la porte» qu’offraient alors les couvents n’était pas satisfaisante. «Il y avait des abus, et il était nécessaire d’aider avec discernement et, d’une certaine manière, de décharger les communautés en organisant un accueil en collaboration avec Caritas, qui se charge de la comptabilité et des achats». Les religieuses, qui viennent bénévolement à cet accueil, sont toujours deux sur place, pour des questions de sécurité.

«Ce qui est important, pour nous, c’est d’accueillir les gens, de leur dire d’abord bonjour et de leur donner la main. Après, nous discutons avec eux, pour leur demander leurs besoins. Il faut qu’ils se sentent comme à la maison. Lorsque nous rencontrons des cas difficiles, nous leur donnons la possibilité de s’adresser à Caritas, à la consultation sociale, aux services de désendettement et d’aide à la gestion de budget. Quinze à vingt personnes viennent à chaque fois avec, parfois, des pointes à trente». Si l’»accueil à la porte» existe toujours, les communautés religieuses sont toutefois déchargées par le travail de Caritas. Elles ne donnent plus d’argent, mais des repas ou des habits. Les sollicitations n’ont pas lieu qu’à Fribourg, mais également dans des couvents comme La Valsainte ou Hauterive. A l’abbaye cistercienne de la Maigrauge, ce sont facilement vingt personnes qui frappent à la porte chaque jour. (Pour plus d’informations: www.caritas-fribourg.ch) (apic/be)

 

 

Petra Del Curto, Robert Eugster, Soeur Candide Cotting et le Père cordelier Pascal Marquard
20 avril 2015 | 17:45
par Jacques Berset
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