Le bouddhisme est largement majoritaire en Thaïlande (Photo: Akkupa John Wigham/Flickr/CC BY 2.0)
International

Thaïlande: Le bouddhisme pas encore religion nationale

Le comité de rédaction du nouveau projet de Constitution thaïlandaise a fait face ces derniers mois à la demande de certains milieux bouddhistes d’insérer une clause stipulant que le bouddhisme est «la religion nationale du pays». Même si la requête a été refusée, le débat est toujours vif dans ce pays où 9 habitants sur dix sont bouddhistes.

De telles demandes avaient déjà été formulées lors de l’élaboration des projets de Constitution, en 1997, en 2007 et en 2014, rapporte Eglises d’Asie (Eda), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.

En 2007, les pressions avaient été particulièrement fortes et des groupes de laïques et de moines, regroupés autour de quelques associations, avaient manifesté devant le Parlement après que les rédacteurs de la Constitution eurent refusé d’insérer la clause en question.

Cette fois-ci encore, le Comité de rédaction a rejeté le 10 janvier dernier cette demande. Une telle clause, a simplement déclaré Meechai Ruchupan, directeur du Comité, serait «dangereuse à long terme» pour le pays. Il a ajouté que des mesures spéciales seraient insérées pour protéger et soutenir le bouddhisme.

Un bouddhisme coloré de nationalisme

Ce débat qui ressurgit régulièrement atteste de la force du lien entre bouddhisme et Etat en Thaïlande et, conséquence directe, la forte coloration nationaliste du bouddhisme thaïlandais. Cette volonté de faire du bouddhisme la religion nationale est populaire dans une grande majorité de la communauté monastique et dans une partie significative de la population, affirme EdA. Chaque fois qu’une telle campagne est lancée, les sermons nationalistes résonnent dans les temples du royaume et les pétitions circulent.

Le premier argument avancé par les partisans d’une telle clause est d’abord qu’il est tout simplement logique de faire du bouddhisme la religion nationale, puisque plus de 90% des 68 millions de Thaïlandais sont bouddhistes. L’exemple birman (pour le bouddhisme) et l’exemple malaisien (pour l’islam) sont cités en appui, ce qui n’est pas sans ironie lorsque l’on observe les dérapages du «bouddhisme nationaliste» birman et, dans une moindre mesure, de l’islam malaisien, souligne EdA. Le second argument est que le bouddhisme est menacé, de l’intérieur, à cause de la méconduite d’un nombre croissant de moines, mais aussi de l’extérieur – une allusion au conflit entre rebelles et forces de sécurité dans le sud thaïlandais où la population est à 80% de culture malaise et de religion musulmane. Parfois même, le poids de la communauté chrétienne de Thaïlande, qui représente pourtant moins de 1% de la population, est cité.

Vertueux dans des vies antérieures

Depuis 1997, les Constitutions du royaume ont toujours comporté des dispositions visant à promouvoir le bouddhisme, la première étant que le roi, chef de l’Etat, doit être de confession bouddhiste. Le bouddhisme est enseigné dans toutes les écoles publiques du pays. Les lois régissant la consommation d’alcool et interdisant l’avortement ont été prises sous pression des groupes bouddhistes.

L’idée que le pays doit être dirigé par des «hommes vertueux» – vertueux parce qu’ils ont accumulé des mérites dans leur vie présente et dans leurs existences antérieures – est ancrée dans le bouddhisme. Cette idée s’est encore renforcée ces dernières années, alors qu’une partie de la population dénonçait la corruption des élus.

Monopolisation étatique

L’expert du bouddhisme Vichak Panich a longuement expliqué sur sa page Facebook quels seraient, à ses yeux, les dangers de l’inscription du bouddhisme dans la Constitution. «Le bouddhisme comme religion d’Etat serait une version purement étatique du bouddhisme, liée à l’idéologie ›Nation, Religion, Monarchie’ et qui n’ouvrirait pas la porte à d’autres interprétations du bouddhisme», a-t-il écrit. «Qui plus est, le bouddhisme qui tient au cœur des gens, est un bouddhisme diversifié, imaginatif, qui n’a que peu à voir avec le bouddhisme national envisagé par ces groupes», a-t-il ajouté. La remarque fait écho aux explications données par certains historiens du déclin du bouddhisme en Inde après le 8e siècle, lorsque la religion n’était plus pratiquée que par une élite restreinte et délaissée par le petit peuple.

D’autres commentateurs, comme le journaliste Prasit Preuksajansiri, pensent qu’une telle nationalisation du bouddhisme aboutirait immanquablement à accroître les tensions dans le sud à majorité musulmane, donnant aux musulmans malais le sentiment d’être rejetés de la communauté nationale. Un projet de parc bouddhiste d’une superficie de 16 hectares dans la province méridionale de Pattani, près de la frontière malaisienne, a soulevé une vague d’opposition de la part des musulmans locaux en janvier dernier, montrant la sensibilité du sujet.

Le bouddhisme national gagne du terrain

Malgré le nouveau rejet de cette clause religieuse dans la Constitution, il est cependant clair qu’à chaque fois la campagne pour un «bouddhisme national» gagne du terrain, note EdA. Des dizaines de milliers de laïcs signent des pétitions, galvanisés par les sermons des moines qui lancent l’alarme sur «l’éradication future» du bouddhisme dans le sud du pays. Il est difficile de ne pas établir un parallèle entre cette campagne nationaliste et la fragilisation du bouddhisme thaïlandais. Cette dernière n’est pas seulement due aux scandales financiers ou sexuels au sein de la communauté monastique ou sangha (ceux-ci ont existé de tout temps), mais à son incapacité de s’adapter à la Thaïlande du 21e siècle et de son peu d’attrait parmi les nouvelles générations, comme en atteste le nombre d’ordinations – même pour de brèves périodes – en forte chute, souligne EdA. Cette campagne reflète aussi, selon Duncan McCargo, une étroitesse d’esprit due au manque de leadership intellectuel et moral du sangha thaïlandais actuel. (cath.ch-apic/eda/rz)

Le bouddhisme est largement majoritaire en Thaïlande
8 février 2016 | 17:33
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!