Jean-Jacques Friboulet

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Jean-Jacques Friboulet | Je n’ai pas l’habitude de résumer mes chroniques par un chiffre mais celui-ci vaut la peine. Il s’agit du taux d’imposition des bénéfices d’Apple en Irlande en 2014, au lieu du taux légal de 12,5%. En conséquence de quoi, la Commission européenne exige que la firme rétrocède 14,3 milliards de francs à l’Etat irlandais pour la période 2003-2014. Ce montant représente un tiers du total des impôts prélevés par Dublin en 2015 ou un sixième des dépenses de la Confédération en 2014. Il donne le vertige et il apporte plusieurs enseignements.

Le premier est le grand mépris avec lequel certaines multinationales traitent le pouvoir politique. En commentant la décision courageuse de la commissaire danoise Margrethe Vestager, un dirigeant d’Apple a parlé de « foutaise politique ». Aveuglés par leur ultralibéralisme et leur volonté de réduire la force des Etats, quelques dirigeants croient leur pouvoir sans limites.

Le second est relatif au mouvement conduit par l’OCDE qui veut réduire l’optimisation fiscale et dont nous avons déjà parlé dans une précédente chronique. Ce mouvement est salutaire mais il doit viser aujourd’hui les grandes firmes multinationales qui profitent de leur taille et de leur puissance pour vider de leur substance leurs filiales travaillant en Europe et transférer les profits dans des paradis fiscaux.

Le troisième enseignement est que ce mouvement pour de nouvelles règles fiscales sera vain sans une autorité capable de sanctionner les entreprises gravement fautives. Les petits Etats n’en ont pas la capacité, soumis qu’ils sont au chantage des firmes sur l’emploi. L’Irlande en est un excellent exemple. Alors que son taux d’impôt officiel sur les bénéfices est de 12,5%, elle a accepté en sous-main des taux ridiculement faibles. L’Union européenne trouve à ce niveau sa justification. Elle peut empêcher qu’une concurrence fiscale sauvage s’instaure entre les Etats et fausse la concurrence entre entreprises.

La question est chez nous d’une brûlante actualité. Les Cantons s’apprêtent à baisser, grâce à Mme Widmer-Schlumpf qui en avait pris l’initiative, les taux d’imposition sur les bénéfices des entreprises. Ils veulent ainsi, sous la pression européenne, égaliser l’imposition des firmes suisses et étrangères. Après la réforme, les taux d’impôt sur les profits se situeraient dans une fourchette en Romandie de 13% à 15%. Cette réforme est inévitable compte tenu du contexte international. Il reste à définir les compensations pour les Cantons qui vont perdre dans l’affaire des dizaines de millions. Mais surtout cette réforme montre que la concurrence fiscale à des limites. Sans une réforme en bon ordre grâce à l’intervention de la Confédération qui va apporter des subsides, aurait prévalu le règne du chacun pour soi et le risque de graves problèmes financiers cantonaux. Tout mécanisme de concurrence suppose l’intervention de son pendant : un mécanisme de solidarité.

Enfin  et contrairement à ce qu’affirme le dirigeant d’Apple, il ne faudrait pas oublier dans cette affaire le Bien Commun. Il est légitime que les entreprises contribuent à due proportion aux ressources des Etats, autrement dit aux dépenses de santé, d’éducation ou d’infrastructures car elles en bénéficient directement. Elles ne peuvent jouer le rôle de ce qu’on appelle, en économie, un passager clandestin, c’est-à-dire de quelqu’un qui bénéficie d’un service public sans cotiser. Quelle que soit leur réputation, elles doivent payer un impôt sur le bénéfice qui correspond au standard du pays dans lequel elles travaillent. Toute autre politique est contraire à l’éthique. Les personnes morales, comme les personnes physiques, ont le devoir de contribuer au Bien Commun sans quoi la société ne peut fonctionner.

 

La contribution fiscale d'Apple en Irlande était bien maigre (Photo d'illustration/PixaBay.com)
6 septembre 2016 | 06:47
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 2 min.
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