Jean-Jacques Friboulet

Argent sale

Le  chiffre donne le vertige: 180 milliards d’euros, soit le montant de la fraude fiscale initiée par la banque HSBC entre 2006 et 2007, d’après les révélations de grands journaux internationaux. Mais 180 milliards d’euros, c’est aussi 30% du produit de la Suisse en 2013, ou plus de la moitié de la dette publique de la Grèce. Comment en est-on arrivé là et quels enseignements peut-on en tirer pour aujourd’hui?

Le processus est assez simple. A partir de 2005, date de l’entrée en vigueur d’un accord sur la fiscalité de l’épargne négocié par la Suisse avec l’Union européenne et qui imposait une taxe de 15% sur les actifs détenus à titre anonyme, les gestionnaires de HSBC ont systématiquement conseillé à leurs gros clients européens de contourner l’accord en créant des sociétés fictives basées dans les paradis fiscaux. Pour les clients non européens, HSBC n’appliquait pas les normes anti-blanchiment décrétées  en 1998 par la Confédération, qui imposaient aux banques de signaler à la Commission fédérale les entrées d’argent d’un certain montant d’origine douteuse (crime organisé, dictatures, terrorisme, trafic de drogue…). Elle aidait également ses clients américains à contourner la loi pour frauder le fisc. Au total, pour retrouver une certaine légitimité et une certaine crédibilité au début des années 2010, HSBC a dû clôturer les deux tiers de ses comptes et réduire son volume d’actifs d’un peu moins de 50%. Il s’agit du plus grand scandale connu par le monde bancaire suisse dans la période récente.

L’Association suisse des banquiers a déclaré que ceci était de l’histoire ancienne et que les pratiques avaient complètement changé depuis 2010. La FINMA est dorénavant chargée de la surveillance des banques, en particulier du respect des normes anti-blanchiment. La pratique du secret bancaire vis-à-vis des clients non-résidents a été ou est sur le point d’être abandonnée obligeant ces derniers à déclarer leurs avoirs à leur fisc d’origine. Ceci est vrai, mais trois observations doivent ici être formulées.

La première est relative aux normes anti-blanchiment. La Suisse se targuait de ces normes dans les années 2000 pour protéger son secret bancaire. On constate a posteriori que ces normes étaient un tigre en papier car fondée sur l’autodiscipline bancaire. Il a suffi d’une grosse brebis galeuse (et HSBC n’était probablement pas seule en cause) pour faire voler cette pratique d’autorégulation en éclats.

La seconde observation est relative à l’accord signé avec l’UE en 2005 et mentionné plus haut. Que faut-il penser d’institutions établies en Suisse qui transgressent systématiquement un accord laborieusement négocié par nos diplomates? Ceux-ci peuvent avoir l’impression d’être pris pour des imbéciles. Les grands pays européens  en ont tiré la leçon et ont refusé de négocier avec eux.  La Suisse s’est vue imposer la fin du secret bancaire.

Enfin, il ne faut pas oublier la motivation essentielle des gestionnaires dans cette gabegie qui n’a pas encore produit tous ses effets (cf. les procédures en cours aux U.S.A et dans les pays européens), à savoir la course aux bonus. Certes ceux-ci ont été réduits par l’initiative Minder et l’agonie du secret bancaire, mais ils continuent à sévir. Comme le souhaite Ethos, leur montant ne devrait jamais dépasser la part fixe des salaires.

Plutôt que d’affirmer «circuler il n’y a plus rien à voir», l’Association suisse des banquiers pourrait s’excuser pour les dommages causés à la réputation de la Suisse et à sa politique extérieure en raison des pratiques décrites ici. La Banque nationale suisse l’avait fait à propos de la politique de l’or suivie pendant la deuxième guerre mondiale et cette démarche l’avait honoré.

Jean-Jacques Friboulet

 

 

La Suisse est confrontée au problème de l'argent sale
16 février 2015 | 10:05
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 2 min.
Banque (9), Blanchiment (24), Economie (116)
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