François-Xavier Putallaz

Ce dieu pour gens aimables

Un peu comme dans l’antique Grèce, quand la terre était « pleine de dieux », nous voilà de nouveau envahis par eux. Les dieux pullulent alentour. Le phénomène signe un retour du paganisme, avec ses divinités ombrageuses qui parfois se livrent à des guerres intestines.

Progrès ou Ecologie, Science ou Nature, Santé ou Egalité, Argent ou Dignité, chaque fois, ce sont les hommes et les femmes qui trinquent en de tels combats, à commencer par les plus petits et plus vulnérables.
La situation vient de loin, et les causes en sont multiples, dont l’une pourrait bien être la suivante : ce qui a disparu, laissant un vide aussitôt occupé par cette floraison néopolythéiste, ce n’est pas tellement le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, ce n’est pas Celui qui Est de la grande métaphysique chrétienne, c’est plutôt le grand Horloger de Voltaire, l’Architecte franc-maçonnique ou l’Etre Suprême du laïcisme ; bref, une abstraction. Cela faisait longtemps en effet qu’on avait troqué le Dieu véritable pour un fantôme philosophique, un dieu taillé sur mesure, un prêt-à-porter le monde, adapté aux besoins du temps : une grande hypothèse, si l’on veut, qui revêt les couleurs et attributs dont rêvent les hommes pour que leur monde continue de fonctionner sans heurt, un dieu adapté à l’univers qu’ils découvrent. Cette divinité-là est construite sur le patron de la fonction philosophique qu’on attend d’elle, afin qu’elle réponde à nos exigences : un Etre suprême censé avoir été l’Auteur du monde, Chiquenaude initiale, qui accomplit à la lettre ce que les hommes lui imposent d’accomplir, une Projection réalisant ce que les hommes auraient réalisé eux-mêmes s’ils avaient été Dieu.
Si l’athéisme a, par bonheur accidentel, aidé à se débarrasser de ce fantôme, il n’a pas pour autant renoncé au vague sentiment de religiosité qui l’accompagne usuellement : car dans ce monde, voyez-vous, on vit entre soi, au sein d’une gentille familiarité, vaguement conscient de ce camarade bienveillant vers lequel il arrive qu’on se tourne comme vers un autre soi-même quand on est dans la peine : un dieu des gens aimables.
Tout à l’inverse, la pensée chrétienne met l’accent sur l’irréductible altérité de Celui qui Est. Lui n’est pas un Horloger. Il est Quelqu’un, océan d’existence, qui n’a rien de bonhomme, mais arrache plutôt les humains à leur somnolence. Quelqu’un, qui n’est pas autre que le Dieu de la foi, lequel n’en finit pas de nous inviter par amour en des contrées où nul ne l’attend jamais: «Va, quitte ton pays!» et «suis-moi».

Voir: http://pensees.ch/index.php/l-actualite/dieu-de-la-religion/le-visage-de…

A lire avec délectation, ce livre écrit en anglais en 1941, et qui paraît pour la première fois en français, dans la langue maternelle de l’auteur : Etienne Gilson, Dieu et la philosophie, Préface de Rémi Brague, Editions Petrus a Stella, 2013.

Pour l’anniversaire de Ad le 27.12.

 

21 décembre 2013 | 11:11
par François-Xavier Putallaz
Temps de lecture: env. 2 min.
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