Chantal Reynier

Evangile de dimanche: «Femme, grande est ta foi»

Après l’enseignement sur le pur et l’impur, entre deux multiplications des pains, Jésus franchit la frontière qui sépare Israël de Tyr et de Sidon. Il quitte l’espace de la Galilée où il va et vient habituellement pour entrer dans un territoire non juif: la Phénicie (le Liban actuel). Ce séjour, présenté par l’évangéliste comme un retrait, va être troublé par l’irruption d’une femme dont les cris d’appel au secours dérangent la quiétude des disciples.

La femme qui se prosterne devant Jésus crie sa souffrance: sa fille est malmenée par un démon. Le petit groupe des disciples supplie Jésus de la faire taire. Celui-ci leur rétorque alors que sa mission ne s’étend pas au-delà des «brebis perdues de la maison d’Israël». Réponse qui n’admet pas de discussion, semble-t-il.

«Et nous qui assistons à cette scène, interrogeons-nous sur les frontières que nous construisons.»

La femme ne se décourage pas. Or, c’est une cananéenne surgie de ces territoires païens, autrement dit c’est une étrangère, une idolâtre qui ne reconnaît pas le Dieu d’Israël, une impure. Jésus a franchi une frontière géographique: il est à l’étranger. Cette femme lui fait franchir deux autres frontières, une première, sociale – il l’écoute, elle, une femme – et une seconde, religieuse: c’est, une païenne, une impure qui ne partage pas la table familiale, sous-entendu celle d’Israël.

La femme, en se mettant du côté des petits, des méprisés, des «petits chiens» dont la place est sous la table, parvient à faire sortir Jésus de son silence à son égard et à le faire changer de point de vue. A cause de la persévérance et de la «grande foi» de cette femme, Jésus passe outre la distinction entre les membres de la parenté qui ont droit à la nourriture c’est-à-dire Israël, tandis que les autres en seraient écartés sous prétexte qu’ils ne sont pas de cette parenté: tous, quels qu’ils soient, sont invités à la même table familiale. Tous peuvent approcher Jésus et tout attendre de lui, et donc tout recevoir de lui.

Et nous qui assistons à cette scène, interrogeons-nous sur les frontières que nous construisons. Nous nous pensons libérés des catégories de «purs» et d’«impurs», «d’élus». Pourtant ne sommes-nous pas conscients d’appartenir à une église, à une parenté, à un groupe d’amis ou de relations dont ceux qui ne sont pas de notre monde sont souvent exclus? Etant «au-dessous de la table», ceux-ci échappent même à notre regard. 

Or, le salut n’est pas réservé à ceux de la «maison». Jésus nous invite à aller au-delà des frontières. Il est là pour rejoindre les plus petits, ceux que nous déclarons impurs, que nous réduisons au rang des «petits chiens» indignes. Sommes-nous en capacité de nous reconnaître dans ces petits et de nous prosterner comme cette femme devant Jésus? Jésus libère l’humanité et la fait sortir des catégories oppressantes du sacré et du profane, du pur et de l’impur, rendant à tout être humain sa pleine dignité. «Dieu fait à tous miséricorde.» (Rm 11, 32)

Chantal Reynier | Vendredi 14 août 2020


Mt 15,21-28

En ce temps-là,
    partant de Génésareth,
Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon.
    Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant :
« Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David !
Ma fille est tourmentée par un démon. »
    Mais il ne lui répondit pas un mot.
Les disciples s’approchèrent pour lui demander :
« Renvoie-la,
car elle nous poursuit de ses cris ! »
    Jésus répondit :
« Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. »
    Mais elle vint se prosterner devant lui en disant :
« Seigneur, viens à mon secours ! »
    Il répondit :
« Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants
et de le jeter aux petits chiens. »
Elle reprit :
« Oui, Seigneur ;
mais justement, les petits chiens mangent les miettes
qui tombent de la table de leurs maîtres. »
    Jésus répondit :
« Femme, grande est ta foi,
que tout se passe pour toi comme tu le veux ! »
Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.

«Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux!» Et, à l’heure même, sa fille fut guérie». Mt 15, 28 | Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
14 août 2020 | 17:00
par Chantal Reynier
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