Jeanne-Marie Ambly

Evangile de dimanche: une parole qui déroute

S’il y a une prière qui devrait être exaucée, c’est bien celle que les apôtres adressent à Jésus: «Augmente en nous la foi!». Pourtant celui-ci ne semble pas y accéder directement. Il invite à un détour. Les images employées sont déconcertantes. Laissons-les parler et évoquer ce dont elles sont porteuses sans en attendre une logique rigoureuse.

Jésus utilise ailleurs la comparaison de la graine de moutarde: la plus petite des graines qui soient sur la terre est porteuse d’une énergie prodigieuse qui la fait devenir un arbre aux grandes branches où s’abritent les oiseaux (Marc 4, 31-32). Si minime soit la foi des apôtres, et la nôtre, elle porte en elle-même son propre principe de croissance. Elle ne s’augmente pas comme un compte en banque soigneusement gardé mais se déploie d’être mise en œuvre. Elle n’est pas un bien qu’on accumule et thésaurise, mais un dynamisme qu’on active. Elle se fortifie en se risquant «aux imprévus de Dieu», à qui rien n’est impossible.

C’est cet impossible qu’évoque la curieuse injonction: «Déracine-toi et va te planter dans la mer». Chez l’évangéliste Matthieu (Mt 17, 20) l’image employée par Jésus est forte – elle a donné naissance à l’expression: une foi à transporter les montagnes – mais elle est moins déroutante. On peut comprendre qu’il y ait parfois des montagnes à déplacer pour faire advenir le Royaume. Ici il s’agit qu’un arbre quitte son milieu naturel (stable et nourricier) pour un environnement mouvant (où il est impossible de s’enraciner) et hostile (salé). Quel appel découvrir dans cette parole insolite? Peut-être celui qui a mis en route Abraham, qui par la foi partit sans savoir où il allait, ou Pierre qui enjambe la barque et commence à marcher sur l’eau à la rencontre de Jésus, et tant d’autres qui, laissant pays, famille, biens, se déracinent pour se lancer dans des aventures tout aussi incertaines que celle d’un arbre allant se planter dans la mer. C’est qu’ils trouvent leur assurance et leur stabilité en Celui qui est le Rocher inébranlable.

Agir comme un serviteur qui attend une récompense de son maître, c’est passer à côté de ce que Jésus propose.

La petite parabole qui suit cet enseignement sur la foi fait appel à une réalité moins extravagante, mais elle déconcerte car elle semble contredire ce que nous avons entendu il y a quelques dimanches, que le maître ferait mettre à table ses serviteurs et lui-même les servirait (Luc 12, 37). Dans le texte proposé à notre écoute ce dimanche, les auditeurs de Jésus et les lecteurs que nous sommes sont invités à agir gratuitement, à faire ce qui est à faire parce que c’est à faire sans attendre de reconnaissance. Cela dit quelque chose du style de rapport qui caractérise les disciples, entre eux et vis-à-vis de Jésus. A la fin de l’évangile de Jean, celui-ci leur révèle comme un secret avant de les quitter: «Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis» (Jean 15, 15). La gratuité, une des notes fondamentales de l’amitié. Elle colore la relation à laquelle Jésus appelle ses apôtres. Agir comme un serviteur qui attend une récompense de son maître c’est passer à côté de ce que Jésus propose. Il offre son amitié, gratuitement, et attend qu’elle soit accueillie, gratuitement. Jésus, à la fois Maître et ami, comme nous le chantons:

Qui prendra Jésus pour Maître et pour ami ?

L’humble serviteur a la plus belle place !

Servir Dieu rend l’homme libre comme lui.

Jeanne-Marie d’Ambly | 30.09.2016


Luc 17, 5-10

En ce temps-là,
les Apôtres dirent au Seigneur :
« Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit :
« Si vous aviez de la foi,
gros comme une graine de moutarde,
vous auriez dit à l’arbre que voici :
›Déracine-toi et va te planter dans la mer’,
et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous,
quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes,
lui dira à son retour des champs :
›Viens vite prendre place à table’ ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt :
›Prépare-moi à dîner,
mets-toi en tenue pour me servir,
le temps que je mange et boive.
Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ?
Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur
d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi,
quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné,
dites :
›Nous sommes de simples serviteurs :
nous n’avons fait que notre devoir’ »

En ce temps-là, les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! ». Luc 17, 5-10
30 septembre 2016 | 17:30
par Jeanne-Marie Ambly
Temps de lecture: env. 3 min.
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