Jean-Jacques Friboulet

La France décroche

Il ne faut jamais se réjouir du malheur de ses voisins, en particulier de la France avec qui nous entretenons des relations étroites depuis tant d’années. Or ce pays traverse une mauvaise passe. Le mal est profond.  Il date des années 1980 avec le développement d’un chômage de masse. Mais il est plus aigu depuis les années 2000. La France n’a pas su s’adapter à la nouvelle donne de la mondialisation. La mise en place simultanée de l’Euro et des trente-cinq heures a beaucoup affaibli son industrie.

Plutôt que de détailler ces maux économiques, nous voudrions élargir le débat en nous attachant aux institutions. Contrairement à ce qu’affirment les penseurs ultralibéraux, l’économie est intensément politique et de mauvaises institutions empêchent l’économie de prospérer.

Dans une récente interview au Temps, l’académicien E. Orsenna cerne trois déficits institutionnels que nous reprenons à notre compte.

Tout d’abord la forte centralisation de l’Etat français a supprimé toute coopération horizontale. Il existe une juxtaposition de plusieurs Frances qui ne communiquent pas et jouent chacune leur partition  sans véritable solidarité: les grandes métropoles régionales plutôt prospères, la campagne qui se situe sur un axe nord-est/sud-est, les banlieues. Les deux dernières se sentent à juste titre appauvries et délaissées. La campagne n’est plus représentée, sauf au Sénat qui est une chambre sans réel  pouvoir. Certaines banlieues sont également marginalisées et le calmant est ici la drogue ou la radicalisation dans l’Islam. Sans solidarité régionale et une meilleure représentation des campagnes et des banlieues, celles-ci s’enfonceront dans la crise.

Ces maladies des institutions provoquent des craquements de l’Etat.

Le second déficit institutionnel tient à la bureaucratie d’Etat qui ne comprend pas le monde de l’entreprise et bénéficie de privilèges qui n’existent pas dans les autres pays européens. Tel est par exemple, le privilège de pouvoir rester attaché à son corps d’origine si on poursuit une carrière politique et d’y continuer son avancement. Tous les élus locaux et nationaux peuvent ainsi bénéficier, à la fin de leur carrière, de deux retraites à taux plein. Pas étonnant que, dans ces conditions, la plupart des élus soient des fonctionnaires ! Cette bureaucratie  s’oppose à la fin du cumul des mandats. Elle est en grande partie responsable de l’inertie des grands services publics comme l’Education nationale.

La troisième maladie est la concentration des pouvoirs dans les mains du Président. Le général de Gaulle a conçu un statut pour des hommes exceptionnels qui se situeraient en dehors des partis. Or les partis ont mis la main sur l’élection du Président et ceux-ci sont devenus des hommes d’appareil. C’était le cas de Messieurs Chirac et Sarkozy. C’est encore le cas de Monsieur Hollande. Les Présidents n’arrivent plus à incarner et à faire vivre le bien commun.

Ces maladies des institutions provoquent des craquements de l’Etat. Privé de ressources à cause de ses déficits successifs, celui-ci ne peut plus jouer les rôles d’incitateur et de régulateur qui étaient les siens du temps du gaullisme ou de F. Mitterrand. Il ne traite plus les problèmes au fond mais se contente de tâches sécuritaires à l’intérieur et à l’extérieur comme en Afrique sahélienne et en Syrie. Celles-ci sont  utiles. Elles pallient l’absence de politique étrangère européenne. Mais elles n’entrent pas dans une véritable stratégie car la France n’en a plus les moyens. Au sein de l’Union européenne, elle est à la remorque de l’Allemagne pour des raisons économiques. L’Etat français est affaibli. Souhaitons que les Français se ressaisissent et comprennent que de profondes réformes institutionnelles sont nécessaires pour que la France déploie tous les talents qu’elle possède et qui ne demandent qu’à se manifester.

Jean-Jacques Friboulet | 31.05.2016

Les Invalides, Paris
1 juin 2016 | 06:44
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 3 min.
France (492)
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