Jean-Jacques Friboulet

Panama et transparence

Jusqu’à ces derniers jours, Panama était célèbre pour son canal inauguré en 1914 par les Etats-Unis. Aujourd’hui, ce pays l’est par les informations publiées dans de grands journaux internationaux sur des comptes off-shore, informations qui ont déjà poussé à la démission plusieurs ministres. Au-delà de ces démissions, il faut insister sur le tournant historique que marquent ces événements.

A partir de 1980, la libéralisation des mouvements de capitaux sans contrepartie a conduit à une évasion fiscale gigantesque, tant de la part des particuliers que des entreprises. Les Etats-Unis ont été les premiers à réagir en adoptant la loi FATCA en 2010, qui a obligé les citoyens américains à déclarer leurs avoirs à l’étranger. Cette loi a mis à terre le secret bancaire de la Suisse. On connaît la suite : plus de 5 milliards de francs d’amendes pour les banques suisses et des retraits massifs de capitaux avec, à la clé, des recettes fiscales importantes pour les pays concernés (cinq milliards d’euros par exemple pour l’Etat français dans les trois dernières années). A titre de comparaison l’impôt fédéral direct représentait en Suisse 20 milliards de francs en 2015 et la TVA 22 milliards.

Si l’informatique permet en trois clics de créer une société dans un paradis fiscal, elle est très fragile en termes de sécurité

La suppression du secret bancaire, et son corollaire l’échange automatique d’informations, ont réduit massivement l’évasion fiscale des particuliers  et ont incité certains d’entre eux à cacher leurs avoirs derrière des sociétés-écrans comme au Panama. Cette démarche est illusoire, car si l’informatique permet en trois clics de créer une société dans un paradis fiscal, elle est très fragile en termes de sécurité. Les Etats, s’ils le souhaitent, peuvent toujours pénétrer les systèmes de logiciels. On arrive donc à un tournant historique où les particuliers  ne peuvent plus cacher de façon certaine et légale leurs actifs dans les paradis fiscaux. Cette démarche peut toujours être remise en cause par une enquête fiscale, un changement de législation ou à une attaque de hackers.

Dans le même registre, l’Organisation de Coopération et de Développement Economique(OCDE) s’est attaquée récemment à l’évasion fiscale des firmes multinationales, ce qu’on appelle couramment l’optimisation fiscale, qui est aujourd’hui parfaitement légale. Pour réduire leur impôt sur les bénéfices, les firmes utilisent des techniques qui conduisent toutes à concentrer leurs ressources dans les pays où la fiscalité est avantageuse. Grâce à ces techniques, ces grandes firmes ne payent que 3 à 4% d’impôt sur leurs bénéfices. Cette situation a créé des remous dans les Parlements, en particulier en Grande- Bretagne.

Pour tenter d’y mettre fin, les pays appartenant à l’OCDE (en gros tous les pays riches à économie de marché) ont décidé d’obliger, à partir de 2018, les grandes multinationales à faire des déclarations pays par pays sur leur chiffre d’affaires, les impôts acquittés, la localisation de leurs activités et le nombre d’employés. Ces déclarations seront transmises aux Etats par le biais d’un échange automatique d’informations auquel la Suisse s’est engagé à participer. Il faut attendre la mise en place de cette transparence pour évaluer ses résultats, mais celle-ci est, en tant que telle, une bonne nouvelle.

On peut donc constater, qu’après un processus massif de dérégulation dans les années 1980-2000, on est entré depuis 2010 dans un processus de nouvelle régulation. Il faut s’en réjouir pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour des raisons éthiques. Une contribution raisonnable aux charges publiques fait partie du bien commun. Si l’Etat dépense trop ou mal, il faut s’attaquer à ces dépenses et non pas, en temps de paix, essayer de faire échapper ses revenus à l’impôt à n’importe quel prix. La deuxième raison tient au fait que les politiques de libéralisation sans frein des mouvements de capitaux ont conduit aux excès bancaires des années 2000, dont on supporte encore aujourd’hui les effets négatifs. La troisième raison tient à la nécessaire contribution des Etats aux dépenses d’investissement et d’infrastructure exigées par la troisième révolution industrielle. Les investissements dans les énergies nouvelles et le renoncement aux énergies fossiles exigent des incitations financières que seul un Etat ayant des ressources suffisantes peut promouvoir.

Jean-Jacques Friboulet | 20.04.2016

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20 avril 2016 | 08:30
par Jean-Jacques Friboulet
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