Jean-Jacques Friboulet

Protectionnisme et populisme

Nous assistons à l’heure actuelle à une montée conjuguée du protectionnisme et du populisme en Europe et en Amérique du Nord. Que ce soient le mouvement initié par D.Trump aux U.S.A, celui qui prône le «Brexit» en Grande-Bretagne, le Front national en France et les mouvements populistes en Autriche ou en Hongrie, tous proposent de se protéger de l’immigration et de la concurrence étrangère.

Le lien qui unit protectionnisme et populisme n’est pas évident. Il tient aux conséquences de la récente mondialisation qui a appauvri la frange inférieure de la classe moyenne (employés, ouvriers qualifiés) et enrichit sa partie supérieure composée de personnes très qualifiées. Cette frange inférieure subit la concurrence directe de l’extérieur soit à travers les importations qui mettent en cause son activité, soit à travers une main d’œuvre immigrée susceptible de lui faire concurrence. Elle se tourne vers des mouvements qui proposent du protectionnisme. Quelle est la pertinence de ces propositions?

«Le discours (…) qui prône un protectionnisme à tout-va est mensonger».

Pour l’évaluer il faut faire référence à l’économie politique anglaise qui a dominé le monde jusque dans les années 1930. Le protectionnisme est nécessaire du point de vue agricole car les agriculteurs dépendent des conditions naturelles. Sans protection, les paysans des régions de montagne n’auraient aucune chance de vendre leurs produits sur les marchés. Cette protection leur est apportée, par exemple, par les Appellations d’origine protégée. Elle est encore plus nécessaire aujourd’hui pour des raisons écologiques. Que deviendraient nos montagnes sans nos agriculteurs?

Pour l’industrie le raisonnement conduit à une conclusion inverse. L’histoire suisse prouve que l’industrie a tout intérêt à ouvrir les frontières si elle sait former sa main d’œuvre et obtenir des conditions-cadres favorables. L’ouverture des frontières dope l’innovation et permet d’engager les personnes qualifiées dont les usines ont besoin.

Pour les services le tableau est nuancé. Il faut distinguer les services utilisant une infrastructure en réseau, les services aux personnes et les services commerciaux ou aux entreprises.

Pour les premiers, l’ouverture est nécessairement réduite car les réseaux jouent un rôle stratégique et ne peuvent pas être cédés à des intérêts étrangers. Qui serait prêt en Suisse à vendre le réseau de chemins de fer ou de fibre optique à une entreprise étrangère?

Les services commerciaux et aux entreprises sont actuellement pris dans une révolution numérique. Ils sont obligés de modifier leurs techniques de production et de vente. Limiter la concurrence à leur niveau serait poser un emplâtre sur une jambe de bois. Leurs clients auraient toujours accès à leurs concurrents via les cartes de crédit et l’internet.

Les services aux personnes posent des problèmes en termes de normes et d’immigration. L’éducation et la santé ne peuvent être livrées sans garde-fous à la libre concurrence car les personnes aux faibles revenus perdraient très vite leur accès à des soins et à une éducation de qualité. Les professions dans ces domaines doivent être réglementées pour garantir la compétence et l’immigration contrôlée pour éviter tant un excès d’offre de travail, facteur de hausse des coûts qu’un excès de demande, facteur de pénurie d’éducation et de soins.

Comme on le constate à travers le tableau dressé ici, la situation est contrastée. Le discours qui prône un libre échange dans toutes les activités économiques est potentiellement destructeur dans certains domaines, en particulier l’agriculture. Le discours inverse qui prône un protectionnisme à tout-va est mensonger. Celui-ci n’est pas la solution face à la révolution numérique et ne fera pas retrouver leur emploi aux mineurs de charbon. C’est en cela que le protectionnisme tisse des liens étroits avec le populisme.

Le FN, ainsi que d'autres mouvements populistes propose de se protéger de l’immigration et de la concurrence étrangère. (Illustration: flickr/blandinelc/CC BY 2.0)
17 mai 2016 | 15:05
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 2 min.
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