Jean-Jacques Friboulet

Le revenu de base inconditionnel: une fausse bonne idée

Nous aurons à voter le 5 juin sur la proposition d’un revenu de base inconditionnel pour tous. Ce revenu se substituerait à l’actuelle aide sociale et aux autres prestations de solidarité jusqu’à un certain montant. Il serait inconditionnel c’est-à-dire non soumis à des conditions financières ou sociales. Les initiants n’en fixent pas la valeur qui serait déterminée par la loi. Ils suggèrent cependant un niveau de F 2500 par personne adulte. Ce revenu coûterait un peu plus de 150 milliards aux finances publiques, déductions faites du montant actuel de l’aide sociale. Cette initiative n’a pas trouvé grâce auprès des chambres fédérales qui l’ont toutes les deux rejetées à une large majorité.

L’idée du revenu de base inconditionnel est ancienne et nous vient de la pensée libérale américaine. Elle est séduisante dans le contexte de notre société individualiste, car elle semble offrir davantage d’autonomie aux personnes qui auraient le libre choix de partager leur temps entre travail et famille, entre travail et loisirs ou entre travail et études. Elle permettrait, selon les initiants, de donner une impulsion aux tâches bénévoles et aux associations. Qui ne serait d’accord avec ce programme?

Ce dont ont besoin les personnes qui sont en grande difficulté économique ou sociale, ce n’est pas seulement d’argent.

Le hic de tout ceci est le financement (les fameux 150 milliards d’impôts à trouver). Mais au-delà du financement, le point de départ du raisonnement est faux du point de vue économique. Les auteurs font abstraction de la notion de valeur qui est encore, dans nos économies, essentiellement créée par le travail. Les deux cents milliards de revenu de base devront être ponctionnés sur une valeur produite dont les initiants ne disent mot et pour cause. Leur hypothèse, et cela est écrit noir sur blanc dans leur brochure, est la fin du plein emploi. Dans l’avenir, les robots supprimeraient le travail et les investisseurs refuseraient de partager leurs profits pour relancer l’économie ce qui provoquerait un déséquilibre permanent entre l’offre et la demande de travail. Au total les initiants font l’hypothèse de la décroissance et d’une forme de fin du travail, thèse qui resurgit aujourd’hui alors qu’elle a déjà été énoncée au 19è siècle puis dans les années 1930 sans succès.

Nous avons traité de la décroissance dans notre dernière chronique. Ce que je veux souligner ici c’est le conflit fondamental existant entre la volonté d’augmenter massivement les transferts sociaux et la prévision que l’on va diminuer massivement la source de ces transferts (le travail). Actuellement les salaires représentent environ deux tiers de notre revenu national.

Cette initiative suscite une deuxième difficulté qui montre le défaut d’expérience de terrain des initiants. Ce dont ont besoin les personnes qui sont en grande difficulté économique ou sociale, ce n’est pas seulement d’argent, c’est d’un accompagnement personnel et humain. Elles sont écrasées par les problèmes car le plus souvent elles sont seules à y faire face. C’est un constat que j’avais fait à Fribourg en observant les chômeurs dits en fin de droit. C’est le constat que font tous les jours les permanences sociales de Caritas et les conférences St Vincent de Paul. En réduisant les systèmes sociaux actuels à la portion congrue, l’initiative supprimerait les postes de travail qui sont liés à ces systèmes, et donc l’aide personnelle déjà insuffisante pour les demandeurs.

L’idée d’un revenu de base inconditionnel peut séduire les personnes éduquées et bien portantes qui pensent ne pas avoir besoin de la solidarité concrète des autres. Elle serait gravement dommageable aux personnes les plus vulnérables de notre société.

«Les deux cents milliards de revenu de base devront être ponctionnés sur une valeur produite dont les initiants ne disent mot et pour cause.»
3 avril 2016 | 19:08
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 2 min.
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