Jean-Jacques Friboulet

Stratégie agricole: un projet hors-sol

Il y a des jours où on se demande si les Conseillers fédéraux font leurs courses comme tout un chacun. S’ils le faisaient, ils auraient observé qu’un des mouvements forts de la consommation actuelle est le retour au manger local ou régional. Les grands distributeurs l’ont bien compris qui réalisent force publicité dans ce sens. Une confirmation de ce mouvement a été donnée par la votation de l’article constitutionnel sur la sécurité alimentaire du 24 septembre, qui a été approuvé par 79 % des votants. Or l’article précise «que le Conseil fédéral crée les conditions d’une production alimentaire adaptée aux conditions locales et utilisant des ressources de manière efficiente». Il ne parle explicitement d’échanges avec l’étranger que dans le cadre des relations commerciales transfrontalières.

«L’avenir n’est pas au transport transatlantique de denrées sans saveur transportées par avion ou bateau»

Début novembre, coup de théâtre. Le Conseil fédéral met en consultation une stratégie agricole qui prône la multiplication des accords de libre-échange et une réduction des droits de douane. Adieu donc la création de circuits courts et la traçabilité des aliments, conditions d’une véritable sécurité alimentaire.

Pour quelles raisons y a-t-il cette volte-face à un mois d’intervalle? Un premier point important est que nos Départements fédéraux raisonnent toujours en silos, indépendamment les uns des autres. L’économie ne s’intéresse pas à la santé qui ne s’intéresse pas à l’éducation qui… Cette forme de pensée cloisonnée oublie que la personne est une et fait comme si le bien manger n’était pas une condition nécessaire à la santé. En matière de finances publique, M.Corminboeuf rappelait à la RTS qu’on dépensait 80 milliards pour la santé mais que les 3 milliards pour l’agriculture sont toujours remis en question, ce qui défie le sens commun.

La deuxième raison est la pression des milieux industriels. La Suisse veut trouver des débouchés pour ses produits en Amérique du Nord et du Sud. Ces régions n’accepteront d’ouvrir davantage leurs marchés que si, en échange, elles peuvent écouler leurs productions agricoles en Europe. Mais à ce niveau, la négociation est vouée à l’échec sauf à condamner une partie de notre agriculture. Les coûts de production sur les grands domaines agricoles américains sont sans commune mesure avec ceux qui règnent en Suisse.

Au bout du compte on voit resurgir les vieilles idées des années 1990 qui ont toujours eu du poids dans la Berne Fédérale. L’agriculture doit être sacrifiée au bénéfice de l’industrie car c’est elle qui assure l’essentiel de nos excédents commerciaux et de nos emplois. Leurs auteurs oublient qu’on a changé de monde. Certes il y a l’évolution de la numérisation mais il y a également le changement climatique et l’épuisement de grandes ressources naturelles comme le sol. Pour les aliments, l’avenir n’est pas au transport transatlantique de denrées sans saveur transportées par avion ou bateau. II est aux productions locales et régionales qui seules peuvent garantir leur qualité au consommateur.

Jean-Jacques Friboulet | 26.11.2017

«Les coûts de production sur les grands domaines agricoles américains sont sans commune mesure avec ceux qui règnent en Suisse» | © DR
26 novembre 2017 | 17:34
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 2 min.
Agriculture (46), Economie (116)
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