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Homélie

Homélie du 19 juin 2016 (Lc 6, 41-42)

Nassouh Toutoungi, curé – Chapelle catholique-chrétienne St-Pierre à la Chaux-de-Fonds

 Chères auditrices, chers auditeurs, chers frères et soeurs en Christ,

Nous la connaissons bien, cette petite histoire de la paille et de la poutre, un peu trop bien, peut-être… Elle a trop souvent été comprise comme une leçon de morale qui consiste à respecter l’autre. Ce qui, il faut le dire, n’est déjà pas si mal. Mais est-ce tout ? Si tel était le cas, ce serait un peu court !

«J’aime voir en l’autre ce qui nous est commun»
La poutre que j’ai dans l’œil encombre ma vue de l’autre. Elle m’empêche de l’observer tel qu’il est. Ce sont mes présupposés, mes idéaux, mes recettes à moi qui ne vont pas forcément être applicables par l’autre dans sa situation. Nous ne réagissons pas toutes et tous de la même manière dans des situations semblables, et c’est très bien comme cela. Mais est-ce que cela veut dire qu’il y a automatiquement de bonnes et de mauvaises manières de réagir ? En général – et il faut bien le dire clairement – la bonne manière de réagir est la mienne. Au fond, j’aime beaucoup voir en l’autre ce qui nous est commun, mais cette tendance me fait oublier que l’autre est différent, qu’il ne réagit pas forcément de la même manière que moi.
«Voir la réalité de l’autre telle qu’elle est»

Dieu, le tout autre, me rappelle simplement qu’il n’est pas comme moi. Il agit autrement. Il est miséricordieux, c’est-à-dire qu’il sait se mettre à la place de l’autre, à tel point que Dieu est devenu humain pour que j’apprenne à lui ressembler. Quelle belle preuve de miséricorde et d’empathie ! L’incarnation n’est pas une chose à croire. C’est une chose à vivre ! Je suis invité à apprendre de ce Dieu fait homme ce qu’est la miséricorde. C’est d’abord enlever la poutre qui est dans mon œil. Elle m’empêche d’être lucide. Etre lucide, c’est laisser passer la lumière pour qu’elle frappe l’œil. C’est voir la réalité de l’autre telle qu’elle est et non pas telle que je souhaite la voir. Désencombrer mon regard sur Dieu et sur l’autre. Faire de la place pour l’autre dans ma vie, en le laissant m’interroger sur mes jugements, mes valeurs, mes présupposés, s’il le faut.

La légèreté de la paille paraît dérisoire à côté de la lourdeur de la poutre. Jésus me montre aussi que j’ai tendance à exagérer ce qui ne me ressemble pas. En effet, j’aime ce qui me ressemble. C’est pourquoi l’Evangile du jour insiste beaucoup plus sur la relation que j’entretiens avec l’autre que sur la relation que l’autre entretient avec moi. La paille dans l’œil de mon frère ou de ma sœur n’est pas très importante, elle se laisse facilement balayer. Par contre la poutre, elle, est imposante. Il s’agit de convertir, c’est-à-dire de désencombrer mon regard sur l’autre, que cet autre soit mon frère et ma sœur en humanité, ou Dieu lui-même.

Si mon système de pensée spirituel ou idéologique fait obstacle à ma perception des réalités humaines que vivent mes frères et sœurs, il convient de le modifier, car ce qui compte c’est ma fidélité au réel, concernant les êtres humains ou les situations que je rencontre. La paille dans le regard de l’autre dérange, mais peut-être est-ce simplement le défaut de ses qualités, moins problématique que la place prise par ma poutre, c’est à dire mes critères personnels devenus trop rigides pour garantir ma lucidité.

«Jésus cherche à désencombrer l’esprit et le cœur»

Il semble que Jésus vise le plein exercice de la liberté par chacun. Et pour qu’il soit possible de penser et d’agir sans être l’otage d’une idéologie, il cherche à désencombrer l’esprit et le cœur. Il désire que ses disciples soient au plus près du réel, et qu’ainsi leur conscience des réalités ne devienne jamais un système prêt-à-penser, dommageable pour eux-mêmes et pour les autres. Une vision du monde, si enthousiasmante soit-elle, peut sécréter du conformisme, de la langue de bois. L’idéologie désamorce toute volonté de transformation. Jésus ne dit pas qu’il faut fermer les yeux sur les défauts de l’autre. Non, il dit seulement qu’avant de porter un jugement, il s’agit de se convertir.

Jésus ne nous défend pas d’exercer la correction fraternelle mais il nous appelle à purifier notre intention. Quel est le souci qui m’habite lorsque je veux corriger tel ou tel ? Ma parole pour lui n’aura de poids et ne le portera à changer que dans la mesure où elle sera animée par l’humilité de me savoir aussi pécheur que lui et aussi nécessiteux que lui de la miséricorde divine.

Que Dieu nous aide à convertir notre regard sur nos frères et sœurs en humanité et sur lui-même, qu’il nous aide à agir à son image et à sa ressemblance, tel que lui le veut, et non pas tel que nous le souhaiterions. Que Dieu nous apprenne à être véritablement disponibles pour lui et nos frères et soeurs en humanité. Amen.


12e Dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Zacharie 12, 10-11a ; 13, 1; Psaume 62; Galates 3, 26-29; Luc 6, 41-42 ou 9, 18-24
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19 juin 2016 | 09:15
Temps de lecture: env. 4 min.
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