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Homélie

Homélie du 24 septembre 2017 (Mt 20, 1-16.)

Abbé Jean-Pascal Vacher – Basilique Notre-Dame, Lausanne

Un Denier mystérieux !

Il y a un mois, la liturgie de la messe en semaine nous offrait déjà cette parabole. A cette occasion, j’ai posé à l’assemblée cette question : « A quoi correspond dans la parabole de Jésus cette pièce d’un denier ? » J’ai ajouté : « Je ne vous donnerai pas la réponse maintenant mais lors de la messe radiodiffusée dont ce sera également l’évangile. » Avec un peu de malice, j’ai encore dit : « Allez vous confesser ! Vous aurez peut-être la réponse ! Et si vous ne l’avez pas, vous aurez au moins eu la grâce du pardon. Car aux yeux de Dieu et de Saint Matthieu, collecteur d’impôts converti et évangéliste, la véritable TVA, la Taxe sur la Valeur Ajoutée, c’est le pardon divin. »

Pour avoir la réponse, frères et sœurs, vous n’aurez pas besoin d’attendre un mois mais seulement quelques minutes. J’espère cependant que votre attente maintiendra votre cœur en alerte au moins jusqu’à la fin de l’homélie, peut-être même au-delà et aiguisera votre désir, jusqu’à s’épanouir en espérance théologale.

Le Maître de la parabole ne semble avoir comme unique préoccupation que l’embauche des ouvriers. On peut avoir l’impression du reste qu’il a une journée bien décousue. Il interrompt son sommeil tôt le matin pour appeler au travail les premiers ouvriers. Il revient à 9h00, à midi, à 15 heures et finalement à 17h00 pour faire de même. Dans une période de chômage, c’est peut-être sympathique. Mais avouons-le, ce patron-semble-t-il- n’a rien à faire de ses journées, sinon d’appeler !

Aux premiers, il fixe un salaire d’un denier pour la journée. Aux suivants, il dit simplement : « Je vous donnerai ce qui est juste. » Et aux derniers, il propose de travailler mais il ne leur promet rien ; ces derniers sont réduits à faire confiance au maître.

La manière dont il organise la remise du salaire est encore une fois surprenante. S’il avait voulu susciter de la jalousie entre les ouvriers, il ne s’y serait pas pris autrement. De fait, si nous nous mettons dans la peau des ouvriers de la première heure, nous ressentons assez spontanément une réaction de révolte : « Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur ! » Mais il est aussi vrai que si nous nous mettons dans la peau des ouvriers de la dernière heure, nous nous réjouirions de recevoir le salaire qui correspond à une journée de de travail.

Garder le cœur ouvert aux surprises de Dieu

Dans notre expectative, nous nous tournerons peut-être vers cette parole sortie de la bouche de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins. » Nous garderons notre cœur ouvert aux surprises de Dieu, même si nous ne comprenons pas sa logique et que nous gardons notre perplexité.

N’est-ce pas aussi cet étonnement qui a saisi le Pape Benoît XVI au moment de son élection comme successeur de Pierre ? Il s’attendait enfin à avoir un peu de répit après une vie de service déjà bien remplie. Il s’apprêtait à finir sa vie dans la contemplation du mystère de Dieu. Et voilà qu’il est appelé par l’Esprit Saint à cette fonction suprême. Or, avant sa première bénédiction solennelle « Urbi  et Orbi », il ne dit pas : « Seigneur, ça suffit ! J’ai donné ! J’ai assez travaillé ! Laisse-moi tranquille ! Donne-moi maintenant mon salaire ! Je veux, je réclame et j’exige mon salaire ! » Non, il prononce, devant la foule rassemblée sous le soleil de la place Saint-Pierre  ces paroles d’humble confiance désormais célèbres: « Chers frères et sœurs, après le grand Pape Jean-Paul  II, les cardinaux m’ont élu moi, un humble et simple ouvrier de la Vigne du Seigneur. Je suis réconforté de savoir que le Seigneur sait œuvrer et agit aussi avec des instruments insuffisants. Et avant tout, je m’en remets à vos prières. Dans la joie du Seigneur ressuscité, confiants dans son aide permanente, nous devons aller de l’avant. Le Seigneur nous aidera et Marie sa Mère sera avec nous. Merci. »

Travailler de bon cœur pour le Seigneur

Le Pape Benoît XVI, en jouant les prolongations bien au-delà de l’âge de la retraite, et ne voyez là aucune consigne de vote pour ce dimanche, devient un exemple qui nous dit que nous avons à travailler pour le Seigneur de bon cœur jusqu’au bout de notre vie. N’ayons aucune amertume quand nous servons le Seigneur, même si nous devions travailler 1000 ans et attendre jusqu’à la fin des temps avant de recevoir notre salaire. Mais soyons dans la joie d’avoir été appelés à cette dignité de Le servir avec beaucoup d’amour.

Maintenant, j’aimerais vous proposer deux exemples dans l’évangile. Une ouvrière qui a commencé son travail au premier instant de sa vie et un ouvrier qui a commencé le sien presque au dernier instant de la sienne.

Marie continue à s’occuper de nous

Il s’agit tout d’abord de la Vierge Marie. Dès sa conception, Marie est l’Immaculée. Cette grâce la place, certes après Jésus, mais bien devant Saint Pierre, la première de tous les ouvriers et ouvrières de la vigne du Seigneur, toutes catégories confondues. Nous savons aussi qu’elle a travaillé sans relâche toute sa vie sans décrocher un seul instant et sans jamais rouspéter devant l’énorme tâche qui était la sienne. Nous savons même qu’elle continue sans interruption, non plus dans les larmes et les fatigues, mais dans une paix éternelle à travailler pour que le Règne de son Fils arrive. Et c’est pour nous tous, ses enfants, un profond réconfort de savoir que notre Mère du Ciel veille sur nous, mieux s’occupe toujours de nous.

Le bon larron, ouvrier de la dernière minute

L’autre ouvrier, celui de la dernière minute, c’est celui que la Tradition a appelé le bon larron. Il n’était cependant pas si bon. Parlant de la crucifixion qu’il est en train de subir, il dit à son ami de forfaiture : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. » (Luc 23, 41.) Cet homme a donc commencé par chercher à détruire le Royaume de Jésus. Il a employé son temps et son énergie à faire le mal. Il a commis des injustices et probablement tué des innocents, pour qu’il puisse penser qu’un supplice aussi atroce que la crucifixion lui était dû. Il n’y a pas beaucoup de condamnés à la chaise électrique qui affirment que leur peine est juste et pourtant mourir avec des clous plantés dans sa chair est bien plus douloureux qu’une décharge électrique. Or, après avoir reconnu l’innocence absolue de Jésus, il se tourne vers lui et lui dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Et sur le champ, Jésus lui déclare : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » (Luc 23, 42-43.) Cet homme semble bien recevoir son salaire immédiatement.

Marie a été témoin de cet échange bouleversant. Pouvons-nous imaginer sa réaction ? A-t-elle dit : « Jésus, tu ne vas tout de même pas offrir ton Royaume à ce criminel ! Pense à moi qui ai tant souffert pour toi ! Mes moindres pensées, paroles et actions, je les ai accomplies avec une fidélité de tous les instants ! Donner ta grâce à ce brigand, l’introduire dans la gloire avec toi et cela avant moi serait trop injuste ! » Ou au contraire, n’a-t-elle pas plutôt dit à Jésus: « Quelle joie pour mon cœur de Mère de voir cet homme, qui semblait avoir pris le chemin de la perdition et pour lequel tu as versé ton sang précieux, être sauvé ! Quel réconfort pour moi de voir immédiatement les fruits merveilleux de la Rédemption pénétrer dans ce cœur meurtri par ses nombreux péchés être pleinement restauré et vivre ses derniers instants dans l’Amour de Dieu et du prochain ! Merci Jésus pour ton immense bonté. » Ces dernières paroles de la Vierge ne sont-elles pas un encouragement pour nous pécheurs ? Ne sont-elles pas un appel à la conversion bien plus puissant que toutes les condamnations motivées par la haine destructrice de la jalousie ? Marie ne sait faire qu’une chose : s’unir aux intentions de son Fils. Et Jésus ne vise qu’un objectif : accomplir la volonté de son Père qui est de sauver tous les hommes, même les pires.

L’intégralité de notre salaire : Dieu lui-même

Frères et sœurs, ce denier mystérieux, devinez-vous enfin de quoi il s’agit ? S’agit-il d’une pièce de monnaie sonnante et trébuchante ? Bien évidemment non. Cependant, ce denier est le symbole du salaire juste, du salaire qui permet de vivre. Or, Dieu seul est le Juste ; Dieu seul est la Vie. Par conséquent, ce denier représente Dieu Lui-même qui est absolument juste et nécessaire à notre vie. Ce denier est la Trinité Sainte, la Vie éternelle. Dieu ne peut pas nous donner plus que Lui-même. Dès le baptême, même avant de commencer à travailler, sans attendre, et pour Marie dès le premier instant de sa vie, la générosité de Dieu nous donne l’intégralité de notre salaire puisqu’Il se donne Lui-même en faisant de nous sa demeure. Mais nous en prenons possession avec de plus en plus de fermeté au fur et à mesure que nous travaillons à sa vigne et progressons dans la fidélité à l’Amour. Si le péché peut nous faire perdre ce salaire, le pardon de Dieu nous le fait retrouver, parce qu’il nous ouvre à la communion au Christ présent dans son Eucharistie et ultimement il nous ouvre son Royaume, d’où mon invitation de départ à expérimenter la miséricorde du Père en allant nous confesser. Mais cette possession de Dieu sera pleine d’une sécurité absolue lors de notre entrée dans le Paradis. Récriminer en qualifiant ce salaire d’insuffisant est le comble de l’ingratitude. Le reconnaître pour ce qu’il est réellement, c’est être dans la lumière de la Vérité. Le recevoir, c’est le bonheur suprême. Le vouloir pour soi et pour tous les hommes, c’est la charité. Et plus la charité est intense au jour de notre mort, plus ce bonheur de Dieu envahira notre cœur et le comblera.

Alors, demandons d’entendre l’appel du Seigneur à travailler à sa vigne. Réjouissons-nous de pouvoir commencer tôt notre travail à son service. Remercions-Le de pouvoir y travailler longtemps. Et désirons que beaucoup nous rejoignent dans ce travail exaltant et même à la dernière minute, car nous les aurons tous comme compagnons de Béatitude. Amen.


25e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – Année A

Lectures bibliques : Isaïe 55, 6-9 ; Psaume 144, 2-3, 8-9, 17-18 ; Philippiens 1, 20c-24.27a ; Matthieu 20, 1-16.


 

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24 septembre 2017 | 18:42
Temps de lecture: env. 7 min.
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