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Homélie

Homélie du 26 juin 2016 (Lc 9, 51-62)

 Mgr Charles Morerod – Basilique Notre-Dame, Lausanne

Saint Paul nous dit, dans la deuxième lecture (Galates 5, 1.13-18) : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage ». De quelle liberté parle-t-il ? Quand il ajoute « Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté », est-ce que cela nous concerne aussi ?

Il parle d’une manière légaliste de vivre la religion, telle qu’il l’avait vécue lui-même dans sa manière d’observer la Loi de Moïse. Nous pouvons aussi vivre notre propre religion comme un ensemble de règles. Mais saint Paul, profondément renouvelé par sa rencontre avec le Christ, a aussi renouvelé son approche de la Loi : « Toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C’est donc à la lumière de l’amour, tel que Jésus nous en a donné l’exemple, que l’on comprend le sens de la liberté.

«La liberté consiste à faire ce qui est me rend heureux et rend les autres heureux»

Comprendre la liberté à la lumière de l’amour du Christ permet d’éviter de penser que la liberté consiste à faire tout ce qu’on veut. Saint Paul nous l’indique indirectement : « Que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres ». L’égoïsme pousse à faire tout ce que je veux, mais l’amour de l’autre me retient sur une pente qui, sous prétexte de liberté, ne rend personne heureux. On pourrait prendre la comparaison de la musique : si on me met devant un piano, ma liberté consiste-t-elle à en faire sortir n’importe quel son, en tapant n’importe quoi ? Certes je peux le faire, j’ai cette liberté, mais le piano n’est pas fait pour ça, nos oreilles non plus, et personne ne restera pour écouter. La vraie liberté consiste à pouvoir faire sortir de cet instrument un son qui me rende heureux, et qui rende heureux les autres. La liberté consiste aussi à faire avec ma vie ce qui est me rend heureux et rend les autres heureux parce que c’est beau, et Dieu nous l’enseigne.

C’est donc à la lumière de l’amour de Dieu que saint Paul comprend à la liberté, ou plus précisément à la lumière de l’amour de Dieu tel que nous l’a montré le Christ. On pourrait le dire aussi avec les mots de saint Jean : « Voici comment nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères » (1 Jean 3,16).

«Nous sommes faits pour aimer»

Nous sommes libres en étant ce que nous sommes, et nous sommes faits pour aimer. La liberté implique de chercher activement le bonheur de l’autre, et c’est à cette condition que peut exister une société libre, faite d’hommes libres.

Fondamentalement, si Dieu nous donne la liberté, c’est à cause de l’amour. Ce n’est qu’en étant libre que nous pouvons répondre à l’amour de Dieu en lui disant oui ou non. Sans liberté, il n’y a pas de vie humaine, parce que sans liberté, l’amour n’est pas possible.

Cette vision de la liberté à la lumière de l’amour de Dieu change le monde. J’en prends deux exemples, qui se trouvent être deux exemples allemands.

Le premier exemple est Dietrich von Hildebrand (1889-1977), philosophe catholique antinazi. Au matérialisme radical du communisme et au matérialisme biologique du nazisme (« biologique » parce que l’homme y est défini par la race) il oppose la vision chrétienne de l’homme, créé par Dieu pour l’aimer et qui doit donc être capable de répondre à son amour. En d’autres termes, la vision chrétienne provient de l’importance du salut éternel, dit-il dans ses œuvres de critique du nazisme : « La destinée des Etats, des nations, des peuples comme tels est incomparablement moins importante que le salut éternel d’une seule âme immortelle »[1]. Or cela implique que nous puissions répondre librement à l’amour de Dieu, ce qui est possible par sa grâce : « C’est de l’effet commun du libre arbitre de la personne individuelle et de la grâce que le christianisme attend un changement des hommes »[2]. A cause de la relation avec Dieu, qui est avant tout une relation d’amour, l’homme doit être libre et la société doit permettre cette liberté.

«La liberté nécessite une conviction»

Le deuxième exemple allemand est Benoît XVI dans un texte remarquable, passé assez inaperçu, de son encyclique de 2007 sur l’espérance, Spe Salvi (§ 24) :« La condition droite des choses humaines, le bien-être moral du monde, ne peuvent jamais être garantis simplement par des structures, quelle que soit leur valeur. De telles structures sont non seulement importantes, mais nécessaires; néanmoins, elles ne peuvent pas et ne doivent pas mettre hors jeu la liberté de l’homme ». Une structure qui peut sembler parfaite, qui peut sembler résoudre les difficultés, doit être humaine pour être vraiment bonne. Or une structure sans liberté n’est pas humaine. A cela s’ajoute, continue Benoît XVI, que ce qui est proposé à notre liberté n’est pas accepté une fois pour toutes, et que nous ne pouvons pas simplement hériter de ce que d’autres ont accepté : « Même les structures les meilleures fonctionnent seulement si, dans une communauté, sont vivantes les convictions capables de motiver les hommes en vue d’une libre adhésion à l’ordonnancement communautaire. La liberté nécessite une conviction; une conviction n’existe pas en soi, mais elle doit toujours être de nouveau reconquise de manière communautaire. »

Si nos sociétés sont libres, si on y respecte la personne humaine comme telle, c’est un héritage du christianisme. Certes il a fallu du temps pour que l’on tire les conséquences du christianisme dans ce domaine, mais la vraie révolution a été que chaque être humain est personnellement aimé par Dieu et doit être libre pour répondre à cet amour. A nous de garder en vie ces racines !


[1] Dietrich von Hildebrand, Memoiren und Aufsätze gegen den Nationalsozialismus 1933-1938, Mit Alice von Hildebrand und Rudolf Ebneth herausgegeben von Ernst Wenisch, Mainz, Matthias-Grünewald-Verlag, 1994, p.331.

[2] Dietrich von Hildebrand, Memoiren und Aufsätze gegen den Nationalsozialismus, p.293.


13e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

1 Rois 19, 16b.19-21 ; Psaume 15 ; Galates 5, 1.13-18 ; Luc 9, 51-62


 

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26 juin 2016 | 09:32
Temps de lecture: env. 4 min.
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