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Homélie

Homélie du 11 mars 2018 (Jn 3, 14-21)

Abbé Marc Passera – Église St-Joseph, Genève

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16). A la manière d’un slogan, tout est dit : qui est Dieu, qui est Jésus qui nous sommes et ce qu’est notre destin.

Mais il nous faut du temps pour saisir la portée de telles paroles. L’itinéraire de Nicodème peut nous aider.

Nicodème est un pharisien, c’est-à-dire un homme qui veut vivre dans la fidélité à Dieu, et Jésus reconnaît en lui un maître qui enseigne en Israël (cf. Jn 3,10).

Tout commence par une rencontre. Jean la situe aussitôt après avoir rapporté le geste fort que Jésus avait posé dans le Temple. Quelque chose s’est probablement passé dans le cœur de Nicodème et de ceux dont il était le chef. Alors il vient trouver Jésus. De nuit. Le temps propice à la méditation, pour les rabbins, mais peut-être aussi le signe d’une certaine nuit que Nicodème porte en lui et où il recherche sincèrement la lumière.

D’entrée, il va dire à Jésus ce qui l’a touché : « personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » (Jn 3,2).

Jésus l’écoute et de manière inattendue  semble l’interrompre avant que Nicodème ait pu poser la moindre question.

Un saut qualitatif

Dans ce dialogue nocturne, Jésus veut aller à l’essentiel ; Nicodème cherche la lumière, Jésus l’invite à un saut qualitatif : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » (Jn 3,3). Et quand Nicodème manifeste son trouble, Jésus lui répète son invitation : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3,5)

A Nicodème qui voudrait comprendre, Jésus adresse  une invitation à naître. Quand on regarde de plus près le verbe utilisé par Jean (γεννηθῇ), on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas tellement du moment où l’on vient au monde, mais plutôt de ce qui se passe dans le ventre de la mère quand petit à petit l’enfant prend forme et devient lui-même. Et on sait que cela prend du temps.

« Naître d’en-haut ». L’expression est énigmatique, elle rejoint Nicodème et nous avec lui par surprise. Mais nous devinons qu’elle fait référence à Dieu. « Naître de l’eau et de l’Esprit ». Autre expression difficile à comprendre mais qui suggère la naissance à une vie nouvelle. Et on pense à ce que dit Dieu par la bouche d’Ezéchiel : « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés » (Ez 36,25). Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36,26). Et on se souvient que ce souffle fait d’un être de poussière tiré du sol un vivant  (cf. Gen 2,7).

Une vie dans toute son intensité

« Celui qui croit en moi – dit Jésus – obtient (en grec, c’est le verbe avoir) la vie éternelle » (Jn 3,16). Croire en lui, c’est naître à la Vie éternelle.

Vive de la vie éternelle. L’expression nous est familière, mais il importe de bien la comprendre. Il ne s’agit pas d’une réalité à venir dont on ne sait trop en quoi elle consisterait. Il ne s’agit pas non plus d’une récompense venant couronner un parcours admirable. Elle n’est pas éternelle parce qu’elle durerait indéfiniment, mais parce qu’elle est dépassement des limites. Elle est la vie dans toute son intensité, la vie épanouie en toutes ses potentialités.

C’est donc d’une qualité de vie qu’il s’agit, d’une vie qui ne butte plus contre la réalité de la mort, le « dernier ennemi » I Cor 15,26) dont parle Paul. Parce que l’ombre de la mort peut paralyser. Mais nous ne sommes pas des « êtres vers la mort », confrontés à une perpétuelle inquiétude. L’auteur de la lettre aux Hébreux, dit que le Christ « a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves » (He 2,15). Et Jésus dira à Marthe confrontée à la mort de son frère Lazare «quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11,26).

Naître, c’est recevoir la vie. Elle est don d’amour. Elle est marquée d’éternité en celui qui est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance. (cf. Jn 10,10).

Si nous sommes disciples du Christ, c’est parce que Dieu nous aime. Et son amour fait de notre aventure humaine une vie éternelle.

Comme l’écrit Jean dans sa première lettre : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés ». I Jn 4,10). Et qu’est-ce que le pardon des péchés sinon la libération de cette ombre de mort qui plane sur nous et nous paralyse, ou qui nous fait entrer dans une recherche désespérée de satisfactions passagères mais qui finalement, dans une logique de mort, nous exposent au risque d’une certaine autodestruction.

Le Christ élevé de terre

Autant de « serpents à la morsure brûlante » (Nb 21,6) pour citer le livre des Nombres. Le peuple d’Israël en avait fait l’expérience. Fatigué du désert, il ne cesse se plaindre, il cultive la nostalgie d’une Egypte idéalisée. Il devient indifférent au Dieu qui les fait vivre et les libère : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! ». (Nb 21,5). Les voilà les serpents qui sèment la mort ! Alors, obéissant à Dieu, « Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie ! » (Nb 21,9). Et l’auteur du livre de la Sagesse d’expliquer : « Celui qui se tournait vers ce signe était sauvé, non pas à cause de ce qu’il regardait, mais par toi, le Sauveur de tous » (Sag 16,7).

Or « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique ». Le Dieu qui sauve a pris chair de notre chair, il s’est fait l’un de nous. C’est lui maintenant qui est élevé de terre. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle » (Jn 3,14-15).

Nous l’avons compris, cette élévation, c’est sur la croix qu’elle se réalise. Dans le pire des abaissements, on ne peut pas aller plus bas ! Celui qui est élevé de terre, c’est celui qui est descendu jusque dans les abîmes de la mort. C’est celui qui « s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, (…) Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil 2,7-9) Oui, « le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (I Cor 1,18).

 Un amour qui fait vivre de la vie éternelle

Jésus se montre pleinement homme en donnant sa vie. Et en donnant sa vie, il nous donne la vie. Le verbe aimer devient pour lui synonyme de se donner. Il le dira : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13). En Jésus, et tout particulièrement dans le scandale de la croix, l’amour de Dieu devient visible. « Ma vie personne ne me la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10,18). Et dans sa prière sacerdotale, en pensant à nous, Jésus demande au Père : « que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. » (Jn 17,26).

Dieu ne peut que nous donner son amour. Un amour qui fait naître et renaître, un amour qui fait vivre de la vie éternelle.

Mais nous pouvons passer à côté de son amour, nous pouvons lui dire non, nous replier sur nous-mêmes. Nous l’avons entendu de la bouche de Jésus :« la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises ». (Jn 3,19) Et le texte grec est encore plus fort en disant les hommes ont aimé davantage (ἠγάπησαν μᾶλλον) les ténèbres à la lumière ». Et c’est cela le jugement : choisir les ténèbres, décider de rester dans les ténèbres. Dieu n’a pas besoin de prononcer un jugement, c’est nous qui  pouvons refuser la confiance, refuser l’amour. Mais « celui qui croit vit de la vie éternelle ».

« Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ » (Eph 2,4-5).

Ce n’est que dans cet amour que notre présence au monde devient signifiante. Quand l’amour reçu se traduit en amitié, en tendresse, en pardon, quand nous prenons soin des autres.

Nous n’avons pas à sauver le monde, Dieu l’a déjà sauvé ! Nous avons à l’aimer. Nous n’avons pas à convertir le monde, nous avons à l’aimer !

Le pape François écrivait : « Quand on assume un objectif pastoral et un style missionnaire, qui réellement arrivent à tous sans exceptions ni exclusions, l’annonce se concentre sur l’essentiel, sur ce qui est plus beau, plus grand, plus attirant et en même temps plus nécessaire » (EG 35). Et de préciser : « Dans ce cœur fondamental resplendit la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus Christ mort et ressuscité » EG 36).

Qu’en est-il de la nuit de Nicodème ? Jean nous laisse entendre que son chemin sera long. Et nous, qu’en est-il de notre nuit ? Jésus nous donne –si nous le voulons bien- de naître à la vie éternelle, la vie de Dieu. Il nous donne de voir (ἰδεῖν) le règne de Dieu (Jn 3,3), d’entrer (εἰσελθεῖν) dans le règne de Dieu (Jn 3,5).

Aujourd’hui, il redit à chacun de nous : accueille-moi, crois en moi, laisse-toi aimer !


4° dimanche de Carême – Année B

Lectures bibliques : 2 Chroniques 36, 14-16.19-23; Psaume 136 (137); Éphésiens 2, 4-10; Jean 3, 14-21


 

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11 mars 2018 | 10:43
Temps de lecture: env. 7 min.
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