La Jérusalem céleste/Photo:evangile-et-peinture.org
Homélie

Homélie du 26 mai 2019 (Jn 14, 23-29 et Ap 21, 10-14.22-23)

Abbé Marc Donzé – Basilique Notre-Dame, Lausanne

J’ai vu, écrit saint Jean sous le soleil de Patmos. J’ai vu un ange ; et puis j’ai vu la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle qui vient d’en haut.

Je me suis demandé alors : qu’est-ce que voir ? et peut-on entrevoir, nous aussi, à l’instar de saint Jean, les merveilles de l’avenir ?

Voir, au premier abord, c’est voir le matériel, l’événementiel, le factuel ; l’immense multiplicité des choses et des faits. C’est voir l’actu, comme on dit dans le monde médiatique. C’est fascinant par sa richesse, mais c’est aussi dispersant. Et peut-être bien superficiel. C’est plus étendu que profond.

Je me suis souvenu alors d’un ami, décédé maintenant, qui avait séjourné longtemps en Chine. Il me disait : il faut brider les yeux. Cela permet de filtrer les éclats de lumière et donc de les regarder. Cela permet aussi de voir plus large. Et cela permet de voir en dedans : la face cachée, mystérieuse et riche des choses et des faits.

Brider les yeux, à la manière chinoise : à prendre avec humour et sens du symbole.

Apprendre à voir

Il se trouve qu’un grand savant et un grand théologien a écrit, entre Pékin et le désert de Gobi, un texte saisissant qui s’intitule justement « voir » et qui se trouve en prologue de son livre Le Phénomène humain. L’auteur, c’est Pierre Teilhard de Chardin.

Apprendre à voir, rien n’est plus important. « Voir ou périr », écrit Teilhard. Ou plus loin, « voir pour être plus ». Deux qualités principales dans ce « voir ». Il faut se mettre, en pensée, comme sur un point surélevé, d’où l’on peut embrasser largement l’arrière et l’avant, et donc les grands horizons de l’espace et de l’humanité. Et puis, il faut voir l’en-dedans, la face intérieure des choses et des êtres, ce que Teilhard appelle l’esprit. Je le cite : « Le moment est venu de se rendre compte qu’une interprétation de l’Univers doit, pour être satisfaisante, couvrir le dedans aussi bien que le dehors des choses, – l’Esprit autant que la Matière. La vraie Physique est celle qui parviendra à intégrer l’Homme total dans une représentation cohérente du Monde. » Et il ajoutera plus tard que l’avenir de paix et d’unité, au niveau des hommes, se construit par l’énergie amorisante ; en mots plus simples, par l’amour. Voir la matière, l’esprit, l’amour : on retrouve les trois ordres de Pascal.

Ce que saint Jean a vu

Je pense donc qu’en bridant les yeux, à la manière de Teilhard et de tant d’autres qui étaient attentifs au mystère, nous pouvons, nous aussi, entrevoir ce que saint Jean a vu sous le soleil de Patmos.

Ce qu’il a vu, depuis une haute montagne, c’est la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel d’auprès de Dieu. Magnifique comme l’éclat d’une pierre précieuse, éclat qui a pour origine la lumière de Dieu. La Jérusalem d’en haut, c’est notre avenir.

Certains ont pensé, puisque la nouvelle Jérusalem descend d’auprès de Dieu, que Dieu faisait table rase de tout ce qui avait existé et offrait quelque chose de tout nouveau. Mais c’est une idée fausse. Car Dieu n’accompagne pas l’histoire des hommes pour un jour tout supprimer et enlever à ce que nous vivons toute signification. Le signe de cette assomption par Dieu de l’histoire des hommes, et de chaque homme, c’est que la nouvelle Jérusalem est une ville, et non pas une chaîne de montagnes ou une forêt ou un jardin. Or une ville, c’est une construction des hommes au cours d’une longue et patiente histoire ; ni Rome, ni New York, ni Pékin, ni Jérusalem ne se sont faites en un jour.

Une ville nouvelle

Que s’est-il passé alors pour que la ville soit nouvelle ? Avec toute l’évolution de l’univers, avec toute l’histoire des hommes, avec la destinée unique de chaque personne, avec l’amour qui unifie, tout a été renouvelé dans la lumière de Dieu. Renouvelé, transfiguré, embelli, débarrassé de toutes les scories du mal, pleinement illuminé par la Résurrection de l’Agneau de Dieu. En bridant les yeux, nous pouvons entrevoir cela : notre avenir, la promesse de notre avenir.

On peut prendre une comparaison pour dire ce renouveau total. Prenez un gant, celui d’un travailleur, avec ses usures, ses égratignures, ses beautés. De ce gant, on n’aperçoit que l’extérieur. Mais il a aussi une face intérieure, où se dépose la vigueur de la vie et de l’amour. Le renouveau, c’est comme retourner le gant. Alors apparaît ce qui est secrètement magnifique.

Dieu donc renouvelle tout, chacune de nos vies et l’humanité dans son ensemble. La Jérusalem nouvelle est une ville-peuple qui comprend les douze tribus d’Israël et les douze Apôtres, et symboliquement à travers eux, l’ensemble du Peuple de Dieu, aussi beau, dans sa transfiguration, que des pierres précieuses.

La voix de l’Esprit

Que c’est magnifique. Saint Jean l’a écrit pour que nous ayons plein de lumière et d’espérance pour le combat de la vie. Pour pouvoir l’écrire, il a fallu qu’il bride les yeux sous le soleil de Patmos et qu’il écoute la voix de l’Esprit. Car l’Esprit était avec lui comme un Défenseur, ce dont il avait bien besoin dans son exil sur cette petite île grecque. L’Esprit saint était son compagnon de route, celui qui rassure, celui qui met debout, celui qui permet de mettre un pied devant l’autre. L’Esprit saint donne la paix, au plus profond, une paix plus forte que tout ce que peut inventer la malice des hommes.

L’Esprit est aussi avec nous. Il nous permet d’entrevoir la Jérusalem céleste de notre avenir et d’y trouver lumière, force et consolation. Il nous donne la paix pour affronter tous les combats.

Qu’Il nous donne d’apprendre à voir avec hauteur de vue, avec la compréhension de l’esprit, avec la perception de l’amour. Qu’il nous donne un regard subtil et lumineux. Un regard qui aperçoit la croissance et le renouveau, même dans les usures et les égratignures. Ainsi pouvons-nous marcher en hommes et en femmes debout.

Et que l’Esprit donne aussi à l’Eglise la force de se renouveler profondément, comme ont su le faire au tout début les apôtres, quand ils ouvrirent la porte à ceux qui venaient d’ailleurs. Car la Jérusalem de lumière est pour tous. Seul le mal n’y entre pas.

Alors, que nous sachions voir chaque visage avec des yeux de lumière. Amen.

 


6e DIMANCHE DE PÂQUES
Lectures bibliques : Actes 15, 1-2.22-29; Psaume 66, 2-3, 5, 7-8; Apocalypse 21, 10-14.22-23; Jean 14, 23-29


 

La Jérusalem céleste/Photo:evangile-et-peinture.org
26 mai 2019 | 09:41
Temps de lecture: env. 4 min.
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