La Fête nationale suisse est pour certains l'occasion de remercier Dieu (Photo:Elliott Brown/Flickr/CC BY-SA 2.0)
Homélie

Homélie TV du 1er août 2017 (1 S 15)

Mgr Valerio Lazzeri, évêque de Lugano – Col du St-Gothard

 

Chers amis,

Le 1er Août en Suisse est une journée particulière, un moment vraiment privilégié de réflexion et de fête. A cette occasion, nous sommes invités, chaque année, à nous pencher sur les débuts d’une histoire singulière qui dure depuis des siècles: sur un territoire riche en beautés naturelles mais pas très vaste et, à bien des égards, rude et exigeant, des cultures diverses se sont rencontrées. Ces cultures sont entrées en relation réciproque et, en affrontant les obstacles avec ténacité, elles ont trouvé le moyen de s’unir pour cheminer ensemble.

C’est l’histoire, modeste et glorieuse en même temps, de ce que nous aimons évoquer à propos de notre patrie.

Pour garder cela à l’esprit, pour remercier le Seigneur et lui témoigner que tout ce concerne notre vie collective nous tient à cœur, nous rend fiers, mais aussi pour tout ce qui nous préoccupe, nous laisse insatisfaits et nous ennuie, nous sommes réunis, une nouvelle fois, dans ce magnifique cadre naturel.

La racine de la communion entre les êtres humains

Ici, au Col du Saint-Gothard, la montagne, l’élément qui semble constituer un obstacle insurmontable, se révèle comme un lieu de passage et de changement, un présage pour surmonter toute forme d’isolement et d’exclusion.

Et ici, chez les chrétiens habités du désir de nous faire les interprètes des demandes de tout un peuple, nous cherchons dans l’Ecriture la parole de Dieu. Nous voulons ainsi nous préparer par l’écoute à célébrer la Pâque du Seigneur, à reconnaître dans le pain rompu et dans le sang versé la racine ultime de la communion entre les êtres humains, le mystère qui nous pousse vers le haut, la victoire définitive sur tout ce qui sépare et nous oppose les uns aux autres.

Un don orienté vers le bien de tous

Nous l’avons entendu dans la première lecture, les mots que laisse Samuel, presque en passant, mais astucieusement, dans les oreilles de Saül, après avoir versé sur sa tête l’huile qui l’a consacré premier roi d’Israël «N’est-ce pas le Seigneur qui t’a oint comme chef de son peuple Israël?».

C’est une phrase curieuse. Elle ne dit pas directement au destinataire quelle est sa mission. A travers la forme interrogative, elle veut faire naître en lui la conscience intérieure d’avoir reçu de Dieu un don orienté vers le bien de tous.

Aujourd’hui aussi, le Seigneur sollicite notre responsabilité. Il n’y a rien d’automatique dans ses choix. Ils viennent de Lui, sur son initiative, mais ils ne deviennent pas notre histoire sans notre vigilance, notre attention, notre assentiment du cœur.

C’est le premier point que je voudrais noter. Une identité nationale, le rôle d’un peuple au milieu des autres, la fonction confiée à chacun au service de la communauté: rien de cela ne peut être réduit à une donnée acquise une fois pour toutes, à une possession statique, indiscutable pour garder une prérogative.

Consacrés à une collectivité concrète

Chacun de nous est appelé chaque jour à se demander ce que le Seigneur a fait de lui en le plaçant au milieu des autres. Nous sommes constamment attirés par les racines de notre engagement, en remarquant que nous ne pouvons vivre uniquement pour nous-mêmes, mais en étant consacrés à une collectivité concrète, avec ses caractéristiques, et toujours à un moment particulier de l’histoire.

Malheur quand le roi va considérer son statut pour acquis! Il sera nécessaire pour lui de garder la surprise des débuts et de ses origines modestes: «Ne suis-je pas la plus petite des tribus d’Israël? Et ma famille est peut-être la plus petite de toutes les familles de la tribu?».

Il ne devra pas y manquer, avant tout, une touche d’auto-ironie, une juste relativisation de sa propre importance. Comment Saül peut-il oublier qu’il a découvert son destin royal en cherchant les ânes perdus par son père?

Pas d’autocélébration

Vous voyez? Cet épisode ancien nous aide à adopter la bonne attitude pour souligner les circonstances d’aujourd’hui. Il nous aide à vivre la fête de ce jour de manière vraie, loin de la rhétorique et de l’autocélébration.

En fait, avoir au cœur sa propre patrie ne signifie pas qu’il faut exalter sans discernement un modèle intouchable, et déjà tout fait de la société civile. Pas besoin de s’attarder sur la liste de nos réussites ou les soi-disant valeurs que nous ne voulons pas perdre. Au contraire, nous devons oser nous demander ce que nous vivons réellement et ce que nous voulons faire vivre aux générations futures qui vivront dans ce pays.

Développer tout le potentiel des dons reçus

De fait nous faisons un travail utile, précieux pour tout le monde quand nous nous arrêtons et que nous reconnaissons, avec simplicité et humilité, la substance des choses: ce que nous sommes aujourd’hui est non seulement le fruit de notre débrouillardise, de notre courage ou de nos capacités. Mais nous sommes obligés de réaliser que les opportunités qui nous ont permis d’arriver là où nous sommes, nous ne les avons pas méritées, parce nous étions particulièrement doués ou plus dignes que d’autres.

Elles nous ont simplement été données et peut-être – une conclusion toujours difficile – que nous n’avons même pas développé tout leur potentiel, toute leur virtualité de vie bonne, belle et heureuse, non seulement pour nous assurer nous, les quelques chanceux, mais de les rendre possibles pour le plus grand nombre d’hommes et de femmes de notre temps, d’où qu’ils viennent et quelles que soient leur race, leur religion et leur culture.

Prévoir ce qui va arriver

A cet égard l’Evangile d’aujourd’hui est d’une gravité et d’une pertinence auxquelles nous ne pouvons pas échapper. Il contient une invitation à donner un sens universel au discours de Jésus à la ville de Galilée, où il avait vécu la première partie de son ministère public.

Le nombre de ceux qui ne sont pas à l’écoute – septante deux – correspond au nombre des nations de la Terre selon le livre de la Genèse. Cela semble signifier qu’il n’existe personne au monde pour dénoncer le risque dénoncé ici.

Il y a, de fait, une croyance illusoire qui tend à nous bloquer, à nous rattraper et à éteindre notre force de vie. C’est ce que nous sommes déjà en faisant le maximum pour développer les ressources mises à notre disposition.

Personne à Corazyn, à Bethsaïda, à Capharnaüm n’aurait pensé appartenir à une civilisation arriérée et peu dynamique. C’était des centres vivants, en plein développement.

Et pourtant, Jésus met en évidence avec souffrance leur incompatibilité et leur fragilité radicale. C’était des centres prospères et prometteurs, mais ils n’ont pas été en mesure de prévoir ce qui leur arriverait.

Une réalité cruelle

Ils sont restés indifférents, aveugles à l’heure décisive. Ils auraient eu besoin d’une secousse, d’un sursaut de dignité, d’une prise de position. Cela ne s’est pas passé. Ainsi Jésus n’a rien à faire d’autre que de les mettre en contact direct avec cette réalité cruelle.

«Si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que leurs habitants auraient fait pénitence, avec le sac et la cendre». Tyr et Sidon étaient pour Israël le symbole de cités païennes, étrangères, de peuples lointains dont il fallait se préserver et contre lesquelles il fallait se défendre, car la culture barbare menaçait le peuple de l’alliance. Pourquoi les regarder, pourquoi se confronter à eux?

On pourrait dire: «Ils ne sont pas avec nous». «Leur sort ne nous intéresse pas». «La seule chose que nous pouvons faire est de nous tenir à distance, de n’avoir aucun contact avec leurs impuretés.»

Au contraire, Jésus vient même les présenter comme de meilleurs auditeurs de la parole de Dieu, des récepteurs potentiellement plus disposés et dociles au salut qu’Il veut que tous gagnent ensemble dans la connaissance de la vérité.

Chers frères et sœurs, notre Fête nationale d’aujourd’hui ne serait pas complète, si nous ne savions pas recueillir en nous cette provocation évangélique. Personne n’ignore combien sont tragiques et complexes les flux migratoires de notre époque. Personne à l’heure actuelle ne semble être en mesure d’indiquer seul et unilatéralement le chemin à prendre pour y répondre efficacement, ni ceux qui voudraient verrouiller les frontières une fois pour toutes, ni ceux qui voudraient les voir totalement disparaître pour faire entrer tout le monde sans discrimination.

Il est évident que seule les communautés humaines qui sauront s’interroger sérieusement sur ce qui les unit et les rend vivantes pourront résister vivement à l’impact.

Erreur de jugement, faute dramatique

A cet égard, le renversement annoncé par Jésus impressionne: «Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevée jusqu’au ciel? Non! Tu descendras jusqu’au séjour des morts!».

Faisons attention! Ce n’est pas la menace de la peine qui vient de l’extérieur. Il s’agit plutôt de la découverte brusque d’une erreur de jugement, d’une faute dramatique, celle de s’être préoccupés avant tout de se préserver, de se défendre, de se tenir éloignés des problèmes et de rester hors de la mêlée! La vérité est qu’en faisant ainsi, ils ont été précipités profondément dans un vide sans espoir.

L’obsession de maintenir un niveau de vie élevé

Il est absurde de penser que nous pouvons toujours grandir, croître, avoir de plus en plus de succès! Le cœur humain ne peut être enfermé dans le besoin de sécurité, dans l’obsession de maintenir notre niveau de vie élevé. Bien sûr, pour beaucoup, il est étonnant notre niveau de vie, atteint au fil du temps et qui bénéficie à une grande partie de la population de notre pays.

Il y a beaucoup de bonnes choses positives dans le système social dont nous bénéficions tous. Nous sommes reconnaissants envers le Seigneur et envers tous ceux qui y travaillent. Tout cela ne sera pas suffisant sans quelque chose de plus essentiel pour assurer la vitalité de notre pays et faire prospérer l’héritage que nous avons reçu.

Une manière inédite d’entrer en relation

La vraie force, selon l’Evangile, nous devons être prêts à l’accueillir ensemble, sur un plan plus humble et quotidien, dans la rencontre de personne à personne, dans l’exercice quotidien de la rencontre et de l’accueil en devenant le porteur d’une autre parole, d’une voix différente, d’une manière inédite d’entrer en relation: «Celui qui vous écoute m’écoute et celui qui vous rejette me rejette. Et celui qui me rejette rejette celui qui m’a envoyé».

Que ce 1er-Août, en cette année où nous célébrons le 600e anniversaire de la naissance de notre patron, saint Nicolas de Flue, nous conduise à redécouvrir aussi en ce sens, le secret de la vocation propre de l’homme, du chrétien, du médiateur entre les hommes.

Que son témoignage nous aide à trouver dans les profondeurs de nos cœurs, la libération de toutes les formes de mépris, la joie et le courage de l’humilité, de l’ouverture à l’autre, du service de la paix qui est Dieu.

Une nouvelle perspective

Nous accueillons avec Bruder Klaus le magistère silencieux de nos montagnes. Nous apprenons à écouter ce qu’elles nous disent réellement en profondeur. Elles sont hautes, raides, insurmontables à première vue, mais quand vous y allez avec un élan commun et avec confiance, vous découvrez une nouvelle perspective sur les réalités, en réalisant avec étonnement l’immensité du monde. Vous trouvez alors de nouvelles idées et de nouvelles ressources pour l’améliorer.

Alors les raisons de se plaindre se transforment en motif de rencontre, d’amitié et de fête. Le rocher improductif devient le sommet atteint ensemble.

Nous ne sommes pas montés ici pour y rester ou pour nous accrocher, mais pour regarder en avant, au-delà du bout de notre nez, avec confiance et espérance, et, avec l’aide du Seigneur, de plus en plus loin.


Lectures bibliques : 1 S 15; Lc 10, 13-16, Année A

La Fête nationale suisse est pour certains l'occasion de remercier Dieu
1 août 2017 | 14:15
Temps de lecture: env. 8 min.
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