100 ans après le génocide de 1915, la tragédie des chrétiens du Moyen-Orient se poursuit

Beyrouth, 31.08.2015 (cath.ch-apic) 100 ans après le génocide de 1915 perpétré par les Ottomans, la tragédie des chrétiens du Moyen-Orient se poursuit, en particulier en Syrie et en Irak, où les communautés chrétiennes sont actuellement persécutées, décimées ou contraintes à l’exil.

La persécution visant les chrétiens à l’époque les a quasiment fait disparaître de la Turquie, rappelle le patriarche d’Antioche des Syriens, Ignace Youssef III Younan.

A l’occasion de la béatification de Mgr Flavien Michel Melki, samedi 29 août au couvent de Notre-Dame de la Libération, à Harissa, au Liban, le prélat a rappelé que le génocide de 1915 a pratiquement effacé la présence des syro-catholiques en Turquie: «sur les 80 millions de Turcs, il n’y a aujourd’hui, au mieux, que 50’000 fidèles de l’Eglise syriaque-catholique, désormais considérée comme l’une des plus petites Eglises orientales». Mgr Melki, jeune évêque syro-catholique, est mort à l’âge de 57 ans durant les massacres de masse perpétrés le 29 août 1915 à Djézireh, dans la Turquie actuelle.

Martyr «en haine de la foi»

La cérémonie s’est tenue en présence des patriarches maronite Béchara Raï, grec-melkite catholique Grégoire III Laham, et arménien-orthodoxe Aram Ier, de représentants de tous les patriarches orientaux ainsi que des nonces apostoliques au Liban et en Syrie, Gabriele Caccia et Mario Zenari. C’est le préfet de la Congrégation pour les causes des saints, le cardinal Angelo Amato, qui a lu la bulle papale conférant à l’évêque martyr le titre de bienheureux.

Le quotidien libanais «L’Orient-Le Jour» rappelle le 31 août 2015 que le nouveau bienheureux est le second évêque oriental à être reconnu officiellement par le Vatican comme martyr «in odium fidei» (»en haine de la foi»). En 2001, le pape Jean Paul II avait béatifié dans les mêmes conditions Mgr Ignace Maloyan, archevêque arménien-catholique de Mardin, en Turquie, «dans un effort pour valoriser son sacrifice et encourager les fidèles de son Eglise à rester attachés à leurs terres».

«Mon sang, je le verserai pour mes brebis»

Né en 1858 à Kalaat Mara (proche de Mardin, dans l’actuelle Turquie), Mgr Melki avait vu, enfant, son église saccagée et brûlée durant les massacres de 1895, et sa mère assassinée. Ordonné en 1913 évêque de Mardin et de Gazarta (l’actuelle Cizre dans le sud-est de la Turquie), Mgr Melki vivait dans une extrême pauvreté: il avait même vendu ses parements liturgiques pour secourir les pauvres. Au cours de l’été 1915, alors qu’il se trouvait loin de son diocèse, il avait décidé d’y retourner rapidement après avoir appris que des violences s’abattraient bientôt sur sa ville, afin de soutenir ses fidèles. Aux supplications que lui adressaient ses amis à cette période afin de le faire sortir de Turquie et de le conduire dans un endroit sûr, Mgr Melki répétait: «Jamais! Mon sang, je le verserai pour mes brebis».

Il est arrêté le 28 août aux côtés de l’évêque chaldéen Jacques Abraham, et les deux religieux sont exhortés à se convertir à l’islam. Ils refusent: Mgr Abraham est tué d’un coup de fusil tandis que Mgr Melki, alors âgé de 57 ans, est frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance, avant d’être décapité. Son corps sera jeté dans le fleuve Tigre.

«Nous assistons bien à une répétition de l’Histoire»

Dans son homélie, le patriarche Younan a relevé que, par une coïncidence extraordinaire, la béatification de Mgr Michel Melki intervient le 29 août, date à laquelle l’Eglise catholique commémore la décapitation de Jean-Baptiste. Faisant le lien entre le génocide de 1915 et ce qui se passe aujourd’hui, en particulier en Syrie et en Irak, le patriarche a affirmé qu’au «pourquoi ?» lancé au ciel par tant de fidèles, il n’y a pas d’autre réponse que celle que l’on peut recevoir dans la foi. «Le secret de la souffrance, a-t-il dit, ne se comprend pas. Il s’accepte dans l’esprit du Christ».

Evoquant le sort de cet évêque martyr, Mgr Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient à Paris, une association française qui vient en aide aux chrétiens du Moyen-Orient, relève que cette béatification est proclamée alors que les chrétiens vivent aujourd’hui un drame en Syrie et en Irak.

Béatification des victimes de l’attaque terroriste de la cathédrale de Bagdad ?

«Cette histoire est liée, car beaucoup de chrétiens de Syrie et d’Irak sont des survivants réfugiés dans ces pays. Nous assistons bien à une répétition de l’Histoire (…) Comment ne pas être édifié par la poignée de chrétiens qui demeure dans le Tur Abdin, où a vécu Mgr Melki? Ils étaient des centaines de milliers de son vivant!»

Le patriarche Ignace Youssef III Younan a annoncé lors de la cérémonie qu’une nouvelle cause de béatification sera introduite par son Eglise en 2016, celle des 48 victimes de l’attaque terroriste, le 31 octobre 2010, de la cathédrale Sayidat al-Najat (Notre-Dame du Perpétuel secours), dans le quartier de Karrada, à Bagdad, en pleine messe dominicale.

Les grandes puissances se dérobent à leur devoir d’hospitalité

Lors de la cérémonie, le chef de l’Eglise syro-catholique a une nouvelle fois dénoncé la passivité des grandes puissances «qui se vantent de défendre les libertés» et qui abandonnent à leur sort des populations qui avaient pris le risque de rester, rapporte le quotidien francophone libanais. Et le patriarche Younan de reprocher aux grandes puissances de se dérober à leur devoir d’hospitalité, alors qu’elles laissent «généreusement» envahir un aussi petit pays que le Liban, et s’interroge: «Où donc est partie la conscience du monde ?» (apic/orj/be)

Patriarche d’Antioche des Syriens, Ignace Youssef III Younan | © Radio Vatican
31 août 2015 | 09:55
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
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