Dilma Rousseff, présidente du Brésil.
(Photo: JFlickr/onas Pereira/CC BY 2.0)
International

Brésil: procédure de destitution de Dilma Rousseff controversée

Alors que l’Assemblée nationale brésilienne va désigner aujourd’hui les 65 députés chargés d’examiner la demande de destitution de la présidente Dilma Rousseff, les réactions des Églises et de la société civile se multiplient dans le pays pour condamner une démarche le plus souvent jugée «antidémocratique».

Cette procédure de destitution a été lancée le 2 décembre dernier par Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, leader du Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB – centre). L’ancien allié du gouvernement du Parti des Travailleurs de Dilma Rousseff est désormais son ennemi juré et l’accuse accuse d’avoir maquillé les comptes publics en 2013, un an avant sa réélection.

Lui-même empêtré dans le scandale de corruption autour de l’entreprise pétrolière nationale Petrobras et les géants du bâtiment et des travaux publics (BTP), Eduardo Cunha est soupçonné de vouloir se venger personnellement de la présidente, qui lui a refusé son soutien politique dans cette vaste affaire de corruption, et de vouloir ainsi détourner l’attention de ses propres problèmes judiciaires. C’est en tout cas le sentiment de nombreux représentants de la société civile et des Églises du Brésil.

«Pas d’arguments avérés»

Le Conseil National des Églises Chrétiennes du Brésil (Conic) observe avec préoccupation la procédure d’impeachment, «basée sur des arguments fragiles, ambigus et pas réellement avérés». Dans un communiqué, l’entité en appelle à la sérénité et à une profonde réflexion. Elle en profite au passage pour rappeler qu’il y a sans doute des faits plus graves sur lesquels la classe politique doit se concentrer, comme la catastrophe écologique de Mariana, dans l’Etat du Minas Gerais, début novembre.

«Nous nous demandons quelles seraient les conséquences pour la démocratie brésilienne si une procédure venait à aboutir sans aucune consistance, ne permettant pas à un gouvernement élu démocratiquement, d’exercer ses responsabilités. Un impeachment sans légitimité nous conduirait à des situations chaotiques».

La CNBB très préoccupée

La Conférence des évêques du Brésil (CNBB) a affirmé très rapidement son inquiétude à propos du comportement du Président de l’Assemblée. Après avoir manifesté une «grande inquiétude» sur la crise politique qui s’ouvre, la Commission Justice et Paix de la CNBB a publié une nouvelle déclaration dans laquelle elle se dit «indignée que l’autorité morale puisse avaliser une décision capable d’aggraver la situation nationale, avec des conséquences imprévisibles pour la vie du peuple».

Léonardo Boff : «le risque d’affecter la démocratie»

Pour le théologien Leonardo Boff, le lancement de la procédure d’impeachment est un «acte irresponsable» qui peut mener la nation à «un grave retour en arrière», à même d’affecter la démocratie brésilienne. Dans son blog, il fait appel au Procureur Général de la République, Rodrigo Janot, et à l’ensemble des membres du Tribunal Suprême Fédéral pour qu’ils prennent en considération «sans tarder» les nombreuses accusations qui pèsent à l’encontre d’Eduardo Cunha.

«Cette procédure n’est rien d’autre qu’un acte de vengeance de la part de quelqu’un qui a perdu la notion de la gravité et des conséquences de son acte de rancœur. C’est une honte que l’Assemblée soit présidée par une personne sans aucune rectitude morale qui ment, qui manipule et fait pression sur les députés». Pour Leonardo Boff, «Eduardo Cunha devrait avoir honte pour le cynisme dont il fait montre en lançant une procédure de destitution à l’égard d’une personne d’une grande correction et irréprochable, comme Dilma Rousseff».

«Vengeance politique»

Pour João Pedro Stédile, dirigeant du Mouvement des Travailleurs ruraux sans terre (MST), l’attitude d’Eduardo Cunha n’est qu’une «vengeance politique», dont l’unique objectif est de déstabiliser le climat politique et de gagner du temps. Dans une déclaration publique effectuée ce week-end, João Pedro Stédile a souligné que le président de l’Assemblée parlementaire n’a aucune légitimité morale pour déclencher une quelconque procédure d’impeachment.

«S’il avait ne serait-ce qu’un soupçon de dignité, il aurait déjà renoncé à cette initiative pour se concentrer sur le Tribunal Suprême Fédéral (STF), où il est accusé de corruption, avec de lourdes preuves contre lui». Selon le dirigeant du MST, «les mouvements populaires vont s’organiser dans les prochains jours et programmer des manifestations pour empêcher les tentatives de blesser la démocratie». «Le peuple brésilien a élu la présidente et 27 gouverneurs (en octobre 2014, ndlr). Et tous ont le droit de mener à terme leurs mandats constitutionnels», a-t-il ajouté.

Alliance des médias et des partis de droite

Dans un communiqué, le Mouvement des Travailleurs ruraux sans terre (MST) condamne l’attitude d’Eduardo Cunha et milite pour l’annulation du mandat parlementaire du président de l’Assemblée Nationale et pour que ce dernier soit emprisonné. Le MST souligne également «la nécessité pour le gouvernement de Dilma Rousseff d›assumer le programme pour lequel elle a été élue en octobre 2014 et faire de son mandat celui de la défense des travailleurs».

Le leader du MST a également critiqué le traitement de l’information par une partie de la presse. «Nous affirmons que le comportement d’Eduardo Cunha est le réflexe de l’alliance explicite entre une partie des médias, menés par la Globo (TV, radio, presse écrite) et les partis politiques de droite». Mais pour João Pedro Stédile, «ni ces médias, ni ces partis politiques n’ont de légitimité pour mener une telle campagne de désinformation». (cath.ch-apic/jcg/bh)

Dilma Rousseff, présidente du Brésil.
8 décembre 2015 | 10:18
par Bernard Hallet
Temps de lecture: env. 4 min.
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