"La réalité est plus importante que l’idée." Que peut signifier dans le flux d’informations, vraies ou fausses, ce principe énoncé par le pape François? | Flickr 
Mike MacKenzie CC-BY-2.0
Suisse

'Fake News' et Cie au menu de 'Dignité et Développement'

«La réalité est plus importante que l’idée.» Que peut signifier dans le flux continu d’informations, vraies ou fausses, ce principe énoncé par le pape François dans La Joie de l’Evangile ? A l’heure des «fake news», la Plateforme Dignité et Développement s’est interrogée, le 19 avril 2018, à Lausanne, sur le poids du réel face à la force des idées.

L’affirmation du pape François: «la réalité est supérieure à l’idée» est très typique de son style, estime le journaliste Patrice Favre invité pour ce 3e atelier transversal de la Pateforme D+D. Sans grand discours, il nous met devant la réalité. Plutôt que de parler des jeunes, il convoque un pré-synode des jeunes à Rome pour leur donner le parole. Parmi eux, il invite aussi des athées et des agnostiques. «Quelque chose se passe et se met en mouvement».

Depuis le serpent de la Genèse, la tentation de manipuler le réel pour l’adapter à nos idées est constante, relève le rédacteur en chef de l’Echo Magazine. Y compris dans nos sociétés démocratiques modernes que l’on croyait vaccinées contre la propagande. Les «fake news» le rappellent à l’envie.

«La réalité est ce que je veux en faire.»

Pour le journaliste, modernité et réalité ont un rapport très particulier. La modernité a introduit la notion de distance, de séparation d’avec le réel. Il s’agit de le dominer. Est vrai, et donc bon, ce qui est mesurable, quantifiable, exploitable. La nature n’est plus crainte ni respectée. Devenue une chose, elle devient notre esclave. Le credo de la modernité est que l’homme est le seul maître à bord. Le développement des médias ne fait qu’accélérer ce phénomène. «La réalité est ce que je veux en faire.»

Patrice Favre, rédacteur en chef de l’Echo magazine (Photo: Pierre Pistoletti)

Quelles parades à la manipulation?

Pour éviter ou réduire les risques de manipulation, les médias ont développé de nombreuses parades, mais, pour Patrice Favre, il n’est pas certain qu’elles permettent d’appréhender la réalité de manière plus juste. La multiplication des sources, le recours au débat contradictoire, l’appel aux experts sont des moyens utiles. Trop souvent ils ne servent cependant pas à faire progresser le dialogue, mais plutôt à renforcer sa propre opinion.

D’autres choisissent un journalisme militant, écologiste, socialiste, catholique… mais le danger de l’idéologie est alors bien présent. La valorisation du témoignage est une autre piste, mais là encore le risque de dérive comme celle de «balance ton porc» est sérieux. Le résultat global est que l’idée ‘écrase’ la réalité avec le discours dominant des «médias mainstream», le règne du politiquement correct et une méfiance généralisée.

Comment aller au plus près de la réalité?

Comment dès lors, pour un journaliste, un chercheur, un citoyen, un chrétien, aller au plus près de cette réalité si chère au pape François? Patrice Favre insiste sur l’importance de l’événement qui brise les engrenages, met en mouvement un processus. Cette notion de processus demande du temps et un engagement personnel. Prendre le temps d’un sourire ou d’une parole avec un mendiant est plus que lui donner ou lui refuser une pièce. Il faut se laisser toucher par le réel.

«La réalité est plus riche, plus mystérieuse, plus ouverte que l’idée»

Il s’agit néanmoins d’aller, au-delà de l’émotion et du sentiment, vers un jugement. «De faire l’expérience que la réalité répond à mes aspirations les plus profondes au bonheur, au vrai, au beau.» Pour l’enfant, la réalité passe toujours avant l’idée. Comme lui, il faut apprendre à se laisser chaque matin surprendre par la réalité.

Enfin, et c’est là l’essentiel de la vision chrétienne, il faut avoir la certitude que la réalité est bonne parce qu’habitée par la résurrection du Christ. Donc qu’il existe une espérance pour moi dans le quotidien.

Il faut donc aller de la réalité à l’idée, parce que la réalité est plus riche, plus mystérieuse, plus ouverte que l’idée.

Le savoir à portée de tous?

Geneviève Auroi-Jaggi, seconde invitée de la soirée et spécialiste de la communication, a invité à réfléchir au transfert des savoirs via les technologies de l’information. La révolution numérique est largement aussi importante que celle de l’imprimerie. Mais le rêve du savoir à portée de tous ne peut être qu’une illusion si la transmission se fait sans respect des cultures et de la diversité religieuse, sans souci de la qualité des contenus.

«Les idées peuvent aussi conduire à l’injustice ou à la persécution»

Une seule réalité: la mort?

Reprenant les réflexions de l’assemblée, le professeur Paul Dembinski, président de la Plateforme, rappelle que la réalité est ‘ce qui nous résiste’ et que la mort en est l’expérience ultime. Les idées ne peuvent pas être des marionnettes ni des cache-sexe de la réalité.

Les idées se traduisent dans des comportements, des lois, elles peuvent aussi conduire à l’injustice ou à la persécution. Pour un chercheur, le va-et-vient entre réalité et idée doit demeurer constant. «Pour apprendre le latin à Jean, il faut connaître le latin, mais il faut aussi connaître Jean.» Distinguer les constructions intellectuelles qui aident à comprendre le réel de celles qui, au contraire, le rendent opaque, sèment la confusion et l’erreur reste une tâche permanente. (cath.ch/mp)

«La réalité est plus importante que l’idée.» Que peut signifier dans le flux d’informations, vraies ou fausses, ce principe énoncé par le pape François? | Flickr Mike MacKenzie CC-BY-2.0
22 avril 2018 | 18:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
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La Plateforme Dignité et Développement

La Plateforme Dignité et Développement (D+D) a vu le jour en 2016 à Fribourg. Souhaitée par l’évêque du diocèse, Mgr Charles Morerod, l’association présidée par le professeur d’économie Paul Dembinski ambitionne de réconcilier vie spirituelle et engagement social.

Selon ses statuts, Dignité et Développement est «une plateforme chrétienne d’analyse, de prospective, de formation et de discernement des enjeux sociétaux à la lumière de l’enseignement social- chrétien».  Elle a pris le relais de la  Commission Tiers-Monde de l’Eglise catholique (COTMEC) à Genève dissoute en 2014.  Elle est dotée d’un secrétariat à mi-temps assuré par Pascal Ortelli.