Gabon: L’Eglise catholique face aux nouvelles religions

Apic enquête

Silence coupable

Ibrahima Cissé, correspondant Apic

Libreville, 30 mars 2003 (APIC) L’Eglise catholique du Gabon à laquelle appartiennent environ 70% des plus de 1,5 millions d’habitants du pays, est confrontée à une poussée vertigineuse des nouvelles religions. Elle vit mal les relations étroites entre le pouvoir et les églises protestantes venues des Etats-Unis et reste silencieuse face à la multiplication des nouvelles sectes religieuses dans le pays.

«L’église catholique joue sur le fait qu’elle est majoritaire et la plus ancienne des religions du pays», estime le Père suisse Jean-Louis Rey, de la congrégation les spiritains, en service dans le pays depuis 29 ans. Les églises nouvelles, poursuit-il dans un entretien avec l’Apic, se positionnent «en fonction des besoins des populations : travail, enfants, santé et amour».

Le Gabon compte 18 paroisses à Libreville pour une population de près de 500’000 habitants, ainsi que 4 diocèses. Il a 4 évêques qui ne sont tous pas gabonais. «L’église a des problèmes pour assurer des successions locales», poursuit le père Rey, soulignant que même si «le diocèse de la capitale relève de prêtres gabonais, ceux- ci ne sont pas assez importants pour faire face au défi». Car, ajoute-t-il, les paroisses ont beaucoup de cadres religieux expatriés. «Il y a cependant un changement : la majorité de ces immigrés ne sont plus français, mais africains». Ils viennent du Congo (Brazzaville), de la République démocratique du Congo, du Sénégal et du Cameroun.

Les religions traditionnelles ont une importance dans la vie des gabonais. «C’est l’un des peuples de l’Afrique centrale le plus profondément attaché à ces cultes, malgré l’ouverture à la modernité». «Il y a par exemple quelques semaines, une haute autorité du pays s’affichait, en tenue traditionnelle, dans l’unique quotidien du pays, «L’Union»«, rappelle le père Rey.

Selon lui, il y a une «bigamie culturelle» que pratique les gabonais entre les religions modernes et celles dites traditionnelles. L’Eglise ne donne pas son opinion. Le clergé y est réticent. Le prêtre suisse évoque un culte traditionnel très célèbre dans le pays: le «Bwiti». De nombreux gabonais se réclamant catholiques, fréquentent ses temples, et vénère les images de ses saints.

Un article du journal de «M’Bolog» (’Bonjour’ en langue locale) de la compagnie nationale aérienne, «Air Gabon», présente le «Bwiti» comme une religion, un culte des ancêtres et une confrérie religieuse. Il permet, dans sa pratique, ouverte à tout fidèle de découvrir l’être suprême de Nzamba Kana, un personnage spirituel, difficile à définir, mais qui rassemble en lui-même toutes les choses surnaturelles. Il ne peut être découvert que par l’absorption d’une substance hallucinogène, contenue dans la racine d’une plante nommée iboga. C’est un bois sacré qui tient son nom de la langue locale du ghetsogho, signifiant ’soigner’.

L’initiation se fait dans un temple, lors d’une cérémonie rituelle, au son de musique traditionnelle, accompagnées de chants pour les initiés. Selon la rumeur, des sacrifices humains seraient organisés pendant la manifestation.

Religion buisines

L’Eglise catholique gabonaise est confrontée aux nouvelles religions. «Elles ont trouvé des thèmes séduisants : richesse, argent, prospérité, bonheur, succès, réussite qui fascinent», déclare pour sa part à l’APIC, le Père Jean Kazadi, un autre prêtre de la congrégation des spiritains. Ressortissant de la République Démocratique du Congo, il ajoute : «beaucoup de ces nouvelles religions sont mises en places pour éviter aux africains de comprendre la marche du monde». Il dénonce à ce sujet, «une programmation qui désoriente leurs fidèles avec des pratiques complètement démobilisatrices pour le travail, ainsi qu’avec une stratégie visant à les abrutir, en préconisant par exemple, des prières à répétition, plusieurs fois dans la journée».

Proche collaborateur de l’archevêque de Libreville, Mgr Basile Mvé Engone, le Père Kazadi souligne : «l’église a mal relevé le défi de ces nouvelles Eglises qui ont beaucoup de moyens et de facilités». En plus, estime-t- il, «l’église catholique locale veut se démarquer du pouvoir politique en place pour devenir un pouvoir indépendant et avoir une autorité morale. Cette place vide autour du pouvoir est alors occupée par les nouvelles sectes religieuses qui sont divisées. L’Etat à son tour, jour sur cette division pour mieux régner, avoir des électeurs supplémentaires, car elles sont utilisées par des hommes politiques».

Emergence des sectes chrétiennes

Selon le psychologue consultant gabonais, Steve Mvé, spécialiste des nouvelles religions et conseiller du gouvernement dans ce domaine, «depuis la deuxième moitié des années 80, on assiste à l’émergence de groupe chrétiens dissidents de l’église catholique». Plusieurs de leurs responsables sont formés dans des universités américaines.

On compte aussi dans le pays, d’autres groupes religieux marginaux, tels que la foi Ba’hai, la Fraternité Blanche, le Ekancar. Au total, il y a un peu plus de 1’070 groupes qui se réclament du mouvement chrétien du réveil, a-t-il déclaré à l’APIC, précisant que 70% de ces groupes sont des clandestins. En outre, seuls 400 d’entre eux sont officiellement reconnus et 100 ont reçu l’agrément. Plus de la moitié proviennent de pays de l’Afrique de l’ouest : Nigeria et Ghana en particulier, ainsi que de la République Démocratique du Congo.

Dans la seule ville de Libreville, la capitale, qui ne couvre que 65 km2, on dénombre 700 groupes de nouvelles religions, soit une église nouvelle à tous les 50 mètres. Les dirigeants de la plupart d’entre elles n’ont pas la formation adéquate. Il s’agit de chômeurs, de cadres d’entreprises, d’hommes politiques qui s’improvisent prêcheurs, a ajouté Steve Mwé, décrivant les fidèles de ces églises «éveillées» comme des «personnes en difficulté dans la vie, à la recherche d’une promotion, des malades dont de plus en plus des sidéens, ou encore des personnes qui vivent seules, sans enfants».

Politisation

Ces dernières années, les activités des nouvelles sectes religieuses au Gabon ont pris une orientation politique, économique et sociale plus marquée, faisant craindre des troubles dans le moyen ou long terme dans le pays.

Hervé Lipendzi, ancien tireur d’élite de la gendarmerie, aujourd’hui dirigeant de la secte des «Rachetés» a appelé récemment à la sédition et au meurtre du président Bongo. Ernest Tomodo, un autre dirigeant de l»Eglise «Jérusalem» a publié un message prophétique sur la mort prochaine du chef de l’Etat. «Ce sont des dérives très graves», souligne Steve Mwé.

Les sectes déploient beaucoup de moyens pour recruter des fidèles dans l’élite politique, dans les milieux d’affaires, de hauts dirigeants politiques, etc. L’année dernière, elles ont créé un mouvement informel qui avait lancé une campagne internationale de dénonciation d’une prétendue «persécution des catholiques et des chrétiens au Gabon C’était une stratégie pour se positionner en force face à l’Etat, afin de pouvoir bénéficier de subvention financière, de postes politiques pour leurs fidèles, et d’une immunité, car leurs dirigeants sont régulièrement poursuivi en justice pour divers délits : escroquerie, meurtres, séquestration, détournement de fonds, abus de confiance, troubles à l’ordre public». En 10 ans, il y a eu plus de 50’000 plaintes contre eux, soit 14 plaintes par jour.

Parmi les fidèles de secte, a déclaré Steve Mwé, ont cite notamment, le vice président gabonais, Divungui Dijob, des membres du gouvernement, des épouses de ministres, des membres du cabinet et de la sécurité du président Omar Bongo, le chef d’état major général des armées, un directeur de banque qui a octroyé récemment un important crédit financier au responsable de sa secte pour lui permettre d’acquérir des biens mobilier.

Rivalités

Vivier électoral très important et très dynamique en terme de mobilisation de foules, de marche ou de protestation, les nouvelles sectes religieuses du Gabon sont cependant divisés. Deux groupes rivaux s’affrontent pour leur contrôle et leurs adeptes très soumis, acceptent des prélèvements d’argent, atteignant jusqu’à 35%, sur leurs salaires.

Les sommes permettent d’aider au renforcement de la «visibilité» des groupes, l’achat ou la construction de bâtiments imposants pour la secte, de mener des actions d’infiltration dans les milieux huppés pour attirer des fidèles. Elles permettent aussi à leurs responsables, de s’enrichir, d’améliorer leur image par la médiatisation de leurs actions à travers des actions humanitaires, telles que la lutte contre le sida et la pauvreté.

Dans ce cadre, indique encore Steve Mwé, certaines nouvelles religions sont soutenues par la secte Moon, qui, à travers des Organisations Non gouvernementales, leur apporte un appui financier, notamment à leurs activités caritatives.

Au plan politique, les nouvelles religions implantées au Gabon, ont réussi à faire élire de nombreux députés lors des élections législatives de l’année dernière. En retour, ces derniers font appel à leurs dirigeants pour débattre de certains sujets sociaux qui n’ont «rien à voir avec la religion». L’un des chefs de sectes a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2005, sous le slogan : «Le Gabon pour Jésus».

Silence face au danger

«Bien que très peu intégrée par la population en représentant à peine 5% de la population elles sont un poids lourd de la vie politique nationale. Si l’Etat ne leur donne pas satisfaction, ils pourrait provoquer l’instabilité politique, porter atteinte à la sécurité intérieur et extérieure de l’état et ont une capacité de nuisance terrible», souligne le psychologue consultant.

Face à cette situation, ” les chefs des Eglises catholique et protestante se meurent dans un silence coupable et ne se prononcent pas sur ces dangers», déplore Steve Mwé, soulignant que par ce silence, ils «livrent les laïcs aux groupes religieux dissidents de l’église» Il indique en exemple, le fait que l’épouse du président Bongo s’appuie sur elles et les associe à toutes les activités de lutte contre le sida. (apic/ibc/sh)

30 mars 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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