Prière à la basilique du Saint Sépulcre à Jérusalem (photo Maurice Page 2014)
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Arnaud Join-Lambert: «Il n'y a pas d'humanité sans rites»

Après la délicate question des abus sexuels dans l’Eglise, les évêques de France ont abordé le 6 novembre 2018, une réflexion sur l’évolution des rites dans la société et dans l’Eglise. Ils avaient invité pour cela Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie pastorale, à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.

Haut-lieu de la dévotion mariale et de la piété populaire, la cité de Lourdes, avec sa grotte, ses cierges, son eau miraculeuse ou ses innombrables échoppes de ‘bondieuseries’, était un cadre très propice pour se pencher sur le thème Rites, liturgie et mission Critères de discernement. cath.ch y revient avec le professeur belgo-suisse. 

La pratique de divers rites est un trait quasiment universel de l’humanité. On en trouve aussi beaucoup dans l’Eglise catholique. Comment l’interpréter?
Arnaud Join-Lambert: Je me base sur la distinction entre ce que certains théologiens appellent une foi ‘élémentaire’, universelle, dans la force de la vie et la foi comme don de Dieu, personnelle, intime dans une relation avec le Christ. La question est de rendre possible le passage de l’une à l’autre. La liturgie et les rites font partie des lieux et des chemins possibles pour expérimenter cette proximité de Dieu.

«Dans d’autres rites, parfois presque païens, Dieu peut être présent»

Ces lieux ou ces chemins doivent être reconnus et balisés?
J’ai proposé quatre critères. Les deux premiers sont d’ordre théologique. Le premier est la priorité à l’assemblée, ecclesia en latin, au ‘nous’ par rapport au ‘moi’. Il s’agit de s’ouvrir à l’autre et de célébrer ensemble.

Le deuxième est de penser la sacramentalité au-delà des sept sacrements de l’Eglise. C’est dire que dans d’autres rites, parfois presque païens, Dieu peut être présent.

Les deux autres critères sont plus pastoraux. Il y a d’abord l’idée exprimée par le pape François que «le temps est supérieur à l’espace». C’est-à-dire qu’il faut accompagner, pas à pas, le chemin des croyants. Les rites accompagnent cette route. Certains sont pleinement liés à la foi, d’autres le sont moins, mais ils sont des étapes.

Nous devons ensuite faire le ‘pari nécessaire de l’émotion’, c’est-à-dire penser à la manière d’intégrer la joie dans cette démarche.

Saint-Maurice le 20 novembre 2016. Mgr Jean Scarcella lors de la messe pontificale de clôture du jubilé de la Misércorde. (Photo: B. Hallet)

Précisément, beaucoup aujourd’hui reprochent à l’Eglise de ne pas laisser assez de place à l’émotion, au ressenti.
La tradition catholique latine s’est toujours méfiée de l’émotion et des risques de débordements dans les rites ou la liturgie. Il faut distinguer entre la recherche de l’émotion au sens de ‘feeling’, dans une certaine exubérance, et l’émotion que les rites peuvent provoquer. Une liturgie qui ne touche pas la sensibilité des fidèles pose la question de sa pertinence. Etre touché ne signifie pas forcément être bouleversé, mais être en communion profonde avec ce qui se vit dans le rite, avec les autres et avec le Seigneur.

La liturgie et les rites catholiques sont pleins de symboles. Mais souvent ils ne parlent plus. Les croyants ne s’y retrouvent pas.
On constate un nivellement de la ritualité, au sens où tous les rites se valent, à partir du moment où les gens sont contents. Le problème est que le rite est une institution codifiée non-verbale dont il faut précisément connaître le code. Lorsque ces codes ne sont plus transmis, les personnes ne s’y retrouvent plus. C’est un défi majeur pour l’Eglise catholique qui a des rites anciens et très codifiés. J’y vois trois pistes de réponses. Le travail dans le domaine catéchétique est important, mais il reste souvent dans le cadre du groupe des convaincus. L’initiation par insertion familiale ou sociale est un autre moyen de transmission. Et en dehors de ces deux possibilités, il faut saisir chaque occasion de rencontre lors d’un rassemblement, comme un mariage ou un enterrement, pour prendre un grand soin du rite, dans sa dimension communautaire et esthétique, afin de le rendre signifiant. Ce qui est très difficile aujourd’hui.

«Il faut aujourd’hui redéployer les rites»

Pour certains, cette perte de repères remonte à la réforme de la liturgie après le Concile Vatican II et à l’abandon du sens du sacré.
Non, d’un point de vue un peu objectif, cela ne tient pas la route. Mais je peux admettre, qu’en partant d’une liturgie en latin peu comprise, la réforme a voulu la rendre beaucoup plus compréhensible, en particulier en adoptant le français et en simplifiant les rites. En fait, la question n’était peut-être pas si simple, car la dimension rituelle est irremplaçable. Par le langage rituel, passe quelque chose de non-verbal qui touche les personnes. Il faut aujourd’hui redéployer les rites, mais pas en faisant de l’ancien, car cela ne fonctionne pas hors de quelques milieux ultra-identitaires.

L’encens, eau bénite, la lumière, les cierges peuvent encore faire sens?
Oui, car ils restent des symboles primaires à partir des éléments naturels, l’eau et le feu. Ils peuvent donc être compris par tous. On peut y mettre les joies, les peines, les souffrances, les questions et les doutes. En les ritualisant, le croyant peut mieux vivre ces diverses phases de la vie. Il ne s’agit pas alors d’improviser et de bricoler, mais de bien y réfléchir.

Le pape François se réfère souvent à la piété populaire et demande de la mettre en valeur.
Dans l’Eglise catholique beaucoup ont pensé que la piété populaire allait disparaître par l’éducation. Mais ce n’est pas le cas du tout. La ritualité est au cœur de l’être humain et la dévotion populaire est une expression de cette foi ‘élémentaire’. Elle s’exprime beaucoup dans les crises. Il faut alors orienter ces pratiques vers une participation plus plénière à la vie liturgique, notamment sacramentelle. Le pape François incite à accompagner à investir ces lieux de piété populaire, à ne pas les laisser à la marge, mais de voir tout ce qui se vit.

La petite fille des fermiers avec l’abbé Jacques Rime au moment de la bénédiction des troupeaux (Photo: Bernard Litzler)

Comment les évêques ont-ils réagi à vos propositions?
Beaucoup se questionnent par rapport à l’émotion. Il est assez difficile de ne pas confondre l’émotion du divertissement et du spectacle avec l’émotion liturgique gratuitement offerte dans un rite. Ils voient bien qu’il y a là un enjeu. Le forum qui a suscité le plus de participation a été celui consacré aux prières de guérison. Il s’y vit quelque chose de l’histoire du salut. Beaucoup de baptisés ne fréquentent ni la communauté, ni la liturgie. Ils peuvent néanmoins avoir une vie spirituelle avec des désirs. Comment rejoindre alors leurs aspirations? (cath.ch/mp)

Prière à la basilique du Saint Sépulcre à Jérusalem (photo Maurice Page 2014)
7 novembre 2018 | 16:12
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
Arnaud Join-Lambert (4), CEF (129), Liturgie (117)
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