La volée de diplômés de 2019 pose devant l'entrée de l'institut Al Mowafaqa | © Max Savi Carmel
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Au Maroc, un institut forme prêtres et pasteurs depuis 10 ans

Installé au centre-ville de Rabat, l’institut œcuménique de théologie de formation Al Mowafaqa (‘trait d’union’ en arabe) forme prêtres catholiques et pasteurs protestants depuis 10 ans. Un institut unique en son genre dans le monde, et devenu un symbole dans un pays où l’islam est religion d’État. Parmi la trentaine d’étudiants cette année, essentiellement des laïcs, se trouvent cinq prêtres. Reportage.

Une discrète entrée et une cour vide cet après-midi de mai. La plaque indicative à peine visible, la discrétion est de mise dans ce pays où «toute visibilité peut être assimilée au prosélytisme», selon Jean Koulagna, directeur de l’institution. Pasteur méthodiste, ce quinquagénaire venu du Cameroun est bibliste formé à la Faculté protestante de Strasbourg en France.

Et comme le veut une règle non écrite dès la fondation de Al Mowafaqa, un pasteur en aura la direction d’autant que sous la coupole du cardinal Lopez, archevêque de Rabat, le Conseil d’administration est majoritairement catholique. «Certains professeurs sont musulmans», tient à préciser le directeur, aussi spécialiste de l’Ancien Testament, pour qui «cela est un signe d’ouverture». Et dix ans après sa création, l’institution reste l’unique lieu de formation de prêtres ou de pasteurs de tout le Maghreb.

L’idée est venue l’été 2010 de Samuel Amédro, à l’époque président de l’Église réformée de France au Maroc. Lors d’une rencontre avec Mgr Vincent Landel, à la tête du diocèse de Rabat, sur la vie des communautés chrétiennes dans le royaume chérifien, il a proposé «la création d’un séminaire commun». Le projet s’est concrétisé en 2012, une promotion pilote est reçue à l’essai. Dix ans plus tard, en plus des catholiques et des protestants, les musulmans y ont aussi leur place.

Passage obligé pour les missionnaires catholiques

«La formation pastorale y est une expérience exceptionnelle», avance Cristobal Lopez Romero. Le cardinal archevêque de Rabat y envoie systématiquement chaque année tous ses nouveaux prêtres et religieux. Objectif? «Apprendre les subtilités et codes de la pastorale en pays musulman» selon Daniel Nourissat. Le curé de la cathédrale de Rabat, qui est l’un des cofondateurs de Al Mowafaqa, y voit «une œuvre de solidarité entre chrétiens» dans un pays où les non-musulmans «doivent être discrets».

Des cours de pastorale mais aussi d’arabe marocain, et d’histoire du Maroc y sont dispensés aux nouveaux missionnaires pour les préparer à l’apostolat local. Al Mowafaqa est à mi-chemin entre un séminaire classique et une faculté religieuse. Il ne dispose pas de cycles traditionnels de philosophie et de théologie comme dans les maisons de formations de prêtres et reçoit des clercs qui sont déjà ordonnés. «On n’y vient pas pour devenir prêtres, mais pour se préparer à l’apostolat de terrain», selon le cardinal Lopez. Même si la quasi-totalité des étudiants protestants sont ordonnés pasteurs en marge de leur formation.

«Une maison d’immersion pastorale»

En une décennie, des dizaines de prêtres fidei donum venus de France, d’Espagne, du Congo, du Cameroun, du Mali, du Burkina Faso, du Bénin ou encore du Togo ou du Gabon y sont passés. «C’est à la fois une maison de formation et d’immersion pastorale», résume Jean Koulagna. Au-delà des prêtres et futurs pasteurs, Al Mowafaqa reçoit aussi de nombreux fidèles.

Toutes obédiences chrétiennes y trouvent leur part

Si les étudiants sont catholiques et protestants, «nous faisons des cours de théologie sans les séparer selon leur obédience religieuse» résume le directeur. A la fin de la formation soit en théologie, soit en dialogue pour les cultures ou encore en Religions, Société et Dynamiques transnationales, les diplômes de licence ou de master sont délivrés par l’Institut catholique de Paris et la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. «Nous avons aussi une formation à la carte pour les Églises du réveil», rappelle Jean Koulagna pour qui «les dirigeants de ces petites églises dites de salon sont ainsi formés gracieusement» ce qui conforte la vocation œcuménique de l’institution.

Non loin de son bureau se tient un cours d’islamologie. Dans la classe, Maick Euloge Lebath est très attentif. A 28 ans, ce Congolais, venu de l’Église protestante au Maroc (Epm), tout comme Jessica, du Gabon, et Georges Pascal Kendema, de la Guinée Conakry, suit un cycle de théologie. «Je sentais depuis mon pays natal (Congo-Brazzaville, ndlr) une soif de connaître plus profondément Dieu», avoue Maick Euloge qui «remercie le Seigneur de lui en donner l’occasion au Maroc», où il faut évangéliser «par sa présence et son attitude».

A 27 ans, Georges est, quant à lui, très sensible au symbole du pays: «Une telle formation est d’autant plus impressionnante qu’elle se déroule au milieu de populations qui partagent une autre foi», concède-t-il. Une impression que partage Jessica qui mise sur «une vie de témoignage qui ait plus d’impact que tout prosélytisme». Si dans quelques années les deux premiers seront ordonnés pasteurs, Georges, catholique, ne deviendra pas prêtre. Il doit toutefois rester pendant les quatre ou cinq années de formation assistant pastoral sur la paroisse de Rabat dont il dépend. 

Bourses contre missions pastorales

A la Maison d’accueil Notre Dame de la Paix de Rabat, Georges Pascal Kendema prend part à une séance de travail avec le prêtre qui a en charge la communication du diocèse. Il assiste ce dernier dans ses fonctions. C’est en échange de cela que le diocèse lui accorde sa bourse pour ses études de théologie à Al Mowafaqa. Quant à Jessica, elle doit assurer un service bénévole auprès de l’Église protestante au Maroc où elle est assistante pastorale. Un vrai système de troc de bourses contre pastorale qui fait l’unanimité.

Une opportunité qui «constitue une expérience unique de rencontre avec Dieu et les hommes», indique la trentenaire originaire du Gabon et du Bénin. L’idée étant que, pour faire face à l’absence de vocations, «nous puissions disposer aussi de jeunes qui assistent les prêtres», explique le cardinal Lopez. Ainsi, selon le directeur, la grande majorité des étudiants, «au moins huit sur dix», laïcs catholiques et protestants, bénéficient de bourses contre quelques heures de pastorale et de missions. «Une forme de stage», résume le Père Antoine, vicaire général qui, en débarquant de son diocèse d’origine de Rennes, en Bretagne, en 2016, n’a pas échappé au passage obligé au séminaire œcuménique.

Dix ans après le début de l’aventure, Daniel Nourissat, co-fondateur, cherche vainement dans le monde une institution similaire à Al Mowafaqa. Le prêtre français qui est au Maroc depuis deux décennies n’oublie pas que le nom a été inspiré par le ministre marocain du culte de l’époque. Comme quoi, «l’Esprit saint peut nous parler même à travers un frère musulman» sourit-il aujourd’hui, satisfait du chemin parcouru. (cath.ch/msc/bh)

La volée de diplômés de 2019 pose devant l'entrée de l'institut Al Mowafaqa | © Max Savi Carmel
22 juin 2022 | 17:03
par Max Savi Carmel
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