Steve Bannon, ancien président de Breitbart News, est l'un des plus proches conseillers du président Trump (Photo: Don Irvine/Flickr/CC BY-SA 2.0)
International

Aux Etats-Unis, les «vérités alternatives» séduisent nombre d'évangéliques

Les «fake news», en français les fausses nouvelles, que le média politique ultra-conservateur américain Breitbart et le président américain Donald Trump ont popularisées, ne sont pas un phénomène récent aux Etats-Unis.

«La logique des ‘vérités alternatives’ s’est perpétuée au sein des cercles évangéliques tout au long du XXe siècle», constate Randall Stephens, professeur d’histoire des religions à l’Université anglaise de Northumbria, à Newcastle.

Changement climatique et sexualité humaine

Ces «vérités alternatives» s’appliquent aujourd’hui à de nouveaux domaines scientifiques comme le changement climatique ou encore la sexualité humaine, note Randall Stephens, coauteur, avec Karl Giberson, du livre «The Anointed: Evangelical Truth in a Secular Age», qui traite de la «vérité évangélique» dans un monde séculier.

Le phénomène des «fake news» a des ancrages chrétiens, estime aussi Noémie Taylor-Rosner, journaliste franco-américaine basée à Los Angeles. Cette spécialiste en questions sociales, religieuses et environnementales, analyse ces manifestations de «vérité alternative».

Les médias «alternatifs» séduisent

Méfiants à l’égard des sources d’information traditionnelles, de plus en plus de chrétiens américains se tournent aujourd’hui vers des médias dits «alternatifs», souvent générateurs de «fausses nouvelles». «Une défiance ancienne, qui plonge ses racines dans l’anti-sécularisme des évangéliques américains du début du XXe siècle, et qui se trouve aujourd’hui amplifiée par internet et la montée du populisme», écrit la journaliste dans un article cité par Radio Ville-Marie à Montréal.

«Les Etats-Unis ont une longue histoire avec les fausses nouvelles. Pendant la révolution américaine, les gens les utilisaient déjà sciemment pour asseoir leurs ambitions politiques», rappelle Benjamin Park, spécialiste de l’histoire religieuse des Etats-Unis et professeur à l’Université Sam Houston State, de Huntsville, au Texas. Mais c’est aux XIXe et XXe siècles, que ce phénomène va également pénétrer le champ du religieux, poursuit-il.

Fragilisés notamment par la diffusion de la théorie de l’évolution de Darwin, et son adoption par l’opinion majoritaire, y compris par certaines Eglises protestantes traditionnelles, «les évangéliques chrétiens vont alors s’engager dans une bataille contre la sécularisation de l’université et de la société et se mettre à diffuser leurs ›vérités alternatives’. Ils s’appuient pour cela sur leurs propres universités et structures religieuses, qui voient progressivement le jour, au début du XXe siècle», précise Benjamin Park.

Défiance historique à l’égard des élites du savoir

C’est cette familiarité historique avec les «vérités alternatives» qui rendrait aujourd’hui les évangéliques si sensibles aux «faits alternatifs». Ces croyants fréquentent aussi bien des sites chrétiens comme Charisma News que des médias ultra-conservateurs sans affiliation religieuse comme Breitbart ou Infowars. «Le point commun de tous ces sites: la même défiance à l’égard des élites, contre lesquelles se battaient déjà, en leur temps, les chrétiens hostiles à Darwin ou à l’interprétation historico-critique de la Bible».

Adoubé par 81% des évangéliques chrétiens lors de la présidentielle, Donald Trump a bâti l’essentiel de sa campagne autour du même rejet du système qui anime ses électeurs: il consulte lui-même régulièrement ces sites internet dits «alternatifs» et n’hésite pas à propager leurs «fausses nouvelles», sur les réseaux sociaux, afin de servir ses intérêts politiques. Accusé d’avoir perdu le «vote populaire» lors de l’élection présidentielle de 2016, Trump avait par exemple contre-attaqué, en reprenant une fausse information du site Infowars affirmant que 3 millions de sans-papiers avaient illégalement pris part au vote, relève Noémie Taylor-Rosner.

Internet accélère le mouvement

Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, l’impact de ces «faits alternatifs’ est beaucoup plus fort. «Les algorithmes de YouTube par exemple, redirigent les gens continuellement vers le même type de vidéos, ce qui contribue à les renforcer en permanence dans leur idéologie. Aux Etats-Unis, ceci concerne des millions d’évangéliques, qui représentent 25% de la population américaine», précise Randall Stephens.

Karl Vaters pasteur de l’église pentecôtiste Cornerstone Christian Fellowship, à Fountain Valley, en Californie, est lui-même le témoin de ce phénomène au sein de sa propre communauté. A tel point qu’il envisage même d’en faire le sujet de son sermon de Pâques.

«Dans les années 70 et 80, de nombreuses théories du complot circulaient déjà dans les cercles chrétiens, pointant du doigt les athées, par exemple. Mais la grande différence, c’est que dans ces années-là, il n’y avait pas internet. Aujourd’hui, ce phénomène des fausses nouvelles se trouve largement amplifié par le fait que l’on peut tout partager en un clic», souligne-t-il. «En tant que chrétiens, lorsque nous propageons de fausses nouvelles, nous contribuons à discréditer la foi chrétienne et son exigence absolue de vérité. Jésus n’a-t-il pas dit: vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres?», interroge-t-il.

Jeunes évangéliques plus critiques

Selon Randall Stephens – et comme en témoigne la réaction du pasteur Karl Vaters – cet intérêt pour les «faits alternatifs» ne touche pas pour autant l’ensemble des évangéliques, qui sont loin de constituer un bloc monolithique. L’historien parle à ce propos d’une «vraie division générationnelle chez ces croyants […] Les jeunes de la génération Y, sensibles au mouvement de l’Eglise émergente [ndlr: une vision postmoderne du christianisme évangélique], n’adhèrent pas forcément aux mêmes idées que leurs parents. Ils sont souvent beaucoup plus ouverts sur la question de l’homosexualité et n’ont pas de problème avec la théorie de l’évolution». Cela les rend moins enclins à rejeter les croyances majoritaires qui fondent la société américaine et donc moins avides de «vérités alternatives». (cath.ch/rvm/be)

 

Steve Bannon, ancien président de Breitbart News, est l'un des plus proches conseillers du président Trump
24 mars 2017 | 11:42
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!