De g. à dr.: le Père Christian Rutishauser  provincial de Suisse, Pierre Emonet, Arturo Sosa, supérieur général des jésuites, Lucienne Bittar, Céline Fossati et Stjepan Kusar, documentaliste | © Choisir
Suisse

«choisir», 60 ans d'une revue «implantée dans le monde»

La revue culturelle jésuite «choisir», basée à Genève, fête ses 60 ans en novembre 2019. Portrait d’une publication qui s’est toujours voulue, à l’instar des jésuites, engagée et implantée dans le monde.

A l’automne 1959, la revue «choisir» sortait son premier numéro mensuel. Lucienne Bittar, l’actuelle rédactrice en chef du désormais trimestriel, présente une publication qui a atteint l’âge de la maturité.

Arriver à 60 ans d’existence pour un titre de la presse romande, c’est déjà un exploit par les temps qui courent…
C’est effectivement extraordinaire d’avoir pu tenir aussi longtemps. Il faut dire que cette réussite est en grande partie liée à la volonté des jésuites de Suisse romande, qui se sont pleinement impliqués pour faire vivre cet outil. Ils ont toujours été clairement conscients de la nécessité d’offrir un organe de formation d’adultes, d’information et de réflexion. Et donc ils ont accepté que le projet ne soit pas forcément rentable.

La principale préoccupation aujourd’hui est finalement moins d’ordre financière que liée au manque de nouveaux postulants au sein de l’Ordre. Les jésuites travaillent donc de plus en plus avec des laïcs, en conformité avec les options privilégiées par leur Ordre. C’est le cas des deux journalistes qui composent la rédaction, moi-même et Céline Fossati.

La revue jésuite n’est donc pas écrite par des jésuites?
Oui, un certain nombre d’articles sont toujours écrits par eux car nous bénéficions d’un réseau ignatien international important. Et nous avons toujours un directeur jésuite, Pierre Emonet, et un conseil de rédaction composé de jésuites et de laïcs. Cela dit, même si Céline Fossati et moi-même ne faisons pas partie de l’Ordre, nous connaissons très bien sa spiritualité. Une bonne relation de confiance est établie avec les membres de la Compagnie de Jésus. Ils nous laissent une grande indépendance et nous suivons une ligne éditoriale qui correspond à leurs principes et aux valeurs chrétiennes.

«L’arrivée de choisir a été une petite révolution en Suisse romande»

Comment concevez-vous exactement votre mission?
«choisir» est en fait l’une des rares œuvres jésuites qui restent en Suisse romande. Comme l’Ordre a été interdit pendant très longtemps en Suisse, il n’a pas d’institutions de formation, comme dans d’autres pays. La revue a donc pris ce rôle de plateforme de «formation des esprits».

Elle a été fondée un peu avant Vatican II, à un moment où l’Eglise fourmillait d’idées nouvelles, vivait un formidable élan. L’arrivée de «choisir» a été une petite révolution en Suisse romande. Car il n’y avait pas encore à l’époque de revue d’approfondissement chrétien de ce genre.

Mais l’offre de «choisir» trouve-t-elle sa place dans le monde actuel?
C’est un travail de longue haleine face à l’évolution de la société. Notre principale tâche, selon les principes de saint Ignace (le fondateur de la Compagnie de Jésus), est de fournir des outils pour permettre aux personnes de réfléchir et de discerner sur toute question avant d’agir. Plus les individus sont capables d’acquérir un jugement sûr et de discerner ce qui est véritablement bon pour eux, plus ils deviennent des citoyens responsables puisqu’ils réalisent que la recherche du bien commun a des retombées positives pour eux. Bien sûr, il y a souvent une tension entre son propre bien et le bien de la société, mais elle est nécessaire à la créativité et elle amène à avoir des opinions nuancées et à poser des compromis.

Qu’elle est votre particularité face aux autres médias?
Surtout, de permettre de considérer l’information avec du recul. Une approche importante face au flot d’information brute qui nous inonde. Avec en plus une composante spirituelle, qui est toujours en filigrane.

En France, les jésuites ont une revue spirituelle et une culturelle. Nous essayons de couvrir ces deux spectres. Le contenu est ainsi équilibré, entre articles touchant à la théologie, à la psychologie, à la sociologie, à la politique ou encore à la culture.

Ce qui nous distingue d’autres médias religieux, c’est peut-être que nous avons un regard externe sur l’Eglise tout en étant à l’intérieur, avec un bon réseau d’information. Ce qui permet d’être parfois critique, mais toujours dans un esprit constructif.

«L’écrit est un vecteur essentiel de formation de la conscience»

«choisir» a en outre été dès le départ une revue engagée, avec une sensibilité très claire. Elle s’efforce de suivre notamment la ligne de justice sociale mise en place par Pedro Arrupe (supérieur général de la Compagnie de Jésus entre 1965 et 1981). L’un des points les plus importants pour nous est de rappeler que chaque individu doit agir selon sa conscience, mais que cette conscience doit être formée.

Mais pour survivre, «choisir» a également dû faire preuve d’une capacité d’adaptation…
Depuis la crise de la presse écrite, en Suisse romande, tout est devenu plus compliqué. Ce n’est pas pour rien que nous sommes passés à une revue trimestrielle (en octobre 2016). Même si cela n’a pas résulté réellement en une réduction des coûts.

La tendance est à la baisse pour les abonnés, mais on se démène pour en trouver de nouveaux. Dans ce contexte, nous avons augmenté notre offre internet. Mais cette offre vise un autre public que la version papier, qui reste pour nous essentielle.

Pour ce qui est de l’adaptation interne, elle a toujours été très importante. Le principal enjeu est de choisir les thèmes qui affectent le plus l’époque actuelle. Car «choisir» se veut pleinement implantée dans le monde. Un principe qui fait la force des jésuites.

Cette «foi» dans l’écrit se manifeste également par le concours de nouvelles lancé dans le cadre du 60e anniversaire…
Absolument. Nous considérons que l’écrit, le livre, est un vecteur essentiel de formation de la conscience. «choisir» a ainsi toujours porté une attention spéciale à la littérature, notamment romande. Nous publions régulièrement des productions d’écrivains romands. Georges Haldas a notamment écrit pendant 20 ans une chronique mensuelle dans la revue.

Le concours littéraire, avec comme thème «le choix», est principalement destiné à faire découvrir et promouvoir auprès du public les jeunes auteurs de Suisse romande, et à entendre ce que les jeunes ont à nous dire, quels sont leurs espoirs et préoccupations. Cela va certainement nous réserver des surprises !

L’arrivée d’un pape jésuite, avec François, vous a-t-elle donné un coup de pouce?
Pas dans le sens d’une hausse des abonnés (rires). Ce que l’on a pu espérer un moment. Cela nous a par contre permis de toucher beaucoup plus de gens dans l’Eglise. On s’est retrouvé soudainement éditorialement plus aligné avec Rome. «L’effet pape François» a créé un certain courant de sympathie pour l’Eglise catholique. Les personnes voyaient le monde «catho» avec moins de réticence. L’on pouvait donc plus facilement les approcher et les intéresser. Un sursaut qui s’est néanmoins passablement affaibli avec les affaires d’abus sexuels dans l’Eglise.

Comment voyez-vous donc l’avenir?
Nous avons beaucoup de projets en cours, en particulier pour se faire voir «autrement» du public. Nous tentons notamment d’être vendus en librairie et dans les kiosques. Nous développons également des partenariats, par exemple avec l’Institut littéraire suisse, à Bienne, ou le festival «Histoire et Cité», à Genève. Nous parrainons également un film au festival «Il est une foi», organisé par l’Eglise catholique romaine de Genève (ECR).

Nous allons continuer à étoffer l’option web, mais en cherchant de nouveaux abonnés papier. Je pense personnellement que l’option papier pourrait bien revenir au goût du jour.

Mais nous faisons également attention de ne pas nous laisser accaparer par la recherche d’abonnés, car cela pourrait nous éloigner de notre mission, qui dépasse largement l’aspect matériel. (cath.ch/rz)

Les grandes dates de «choisir»

Novembre 1959: fondation de la revue culturelle mensuelle choisir à Fribourg, par un groupe de jésuites romands (Raymond Bréchet, Jean Nicod, Robert Stalder), sous l’impulsion de Joseph Stierli, provincial suisse. Préoccupation : l’ouverture sur le reste du monde et l’accueil de «toute valeur spirituelle authentique dans la fidélité à notre foi».

1960 – 1962 : la revue affirme sa préoccupation œcuménique choisir déménage à Genève ; des personnalités réformées collaborent avec elle.

1962 – 1966 : Vatican II

Le mouvement conciliaire est suivi de Rome par le rédacteur en chef et soulève l’enthousiasme de la rédaction.

1966 – 1976 : inquiétudes face aux divisions de l’Église et préoccupations sociales Les pages de choisir trahissent les tensions et hésitations du catholicisme face à la modernité (révolte de Mgr Lefebvre, théologie de la libération…).

La revue s’implique dans la défense de la justice sociale et dans les questions de développement Nord-Sud.

1973 : fondation de l’AOT à Genève

choisir participe, avec la Faculté de théologie, à la création de l’Atelier œcuménique de théologie. Ce lieu de rencontre entre catholiques et réformés et entre théologiens et laïcs est toujours en fonction. Actuellement, le supérieur de la communauté jésuite de Genève, le Père Bruno Fuglistaller sj, y enseigne.

1975 : création du CEDOFOR

Le Centre de formation et de documentation religieuses est créé à partir du fond de bibliothèque de la revue choisir.

1979 – 1981 : des « affaires » agitent la rédaction

Exemple, Hans Küng : la Congrégation pour la doctrine de la foi sanctionne le théologien suisse H. Küng, suite à sa critique du dogme de l’infaillibilité pontificale. choisir publie la prise de position de H. Küng sur la déclaration à son encontre.

Les années 80 : dialogue interreligieux

choisir assiste à la perte d’autorité de l’Église et s’interroge sur le développement des sectes et de la mouvance New Age, ainsi que sur la montée de l’islam et des spiritualités orientales en Europe. Le dialogue interreligieux devient une préoccupation.

Les années 90 : questions environnementales

À l’occasion du rassemblement œcuménique de Bâle de 1989, la revue insiste sur les responsabilités humaines à l’égard de la création. Les questions environnementales deviennent une préoccupation majeure.

Les années 2000 : bioéthique, asile…

Différentes questions politiques et d’Église sont suivies par choisir, dans une optique d’ouverture: femmes dans l’Église, asile en Suisse, bioéthique, guerre « juste », subprimes, prêtres pédophiles…

Les jésuites de Suisse romande travaillent toujours plus étroitement avec les laïcs. En 2007, une femme devient rédactrice en chef de choisir, une première chez les revues culturelles jésuites européennes.

2002-2016 : choisir se lance à l’assaut du web

Le premier site www.choisir.ch est créé en 2002. En 2013, le site wwwjesuites.ch et la page facebook @jesuitesdeSuisse sont lancés par la rédaction.

28 septembre 2016 : choisir devient un trimestriel avec deux thèmes développés par numéro et une présence renforcée sur le web. La page facebook @RevueChoisir est lancée, ainsi qu’un nouveau site, avec des articles d’information plus courts et des commentaires complémentaires.

5 novembre 2019 : choisir fête ses 60 ans et lance un concours d’écriture de nouvelles pour jeunes auteurs de Suisse, sur le thème du choix.

De g. à dr.: le Père Christian Rutishauser provincial de Suisse, Pierre Emonet, Arturo Sosa, supérieur général des jésuites, Lucienne Bittar, Céline Fossati et Stjepan Kusar, documentaliste | © Choisir
3 novembre 2019 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 7 min.
Arturo Sosa (5), Choisir (41), Jésuites (142)
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