Confronté à une opposition de prêtres du diocèse de Coire, Mgr Joseph Bonnemain appelle à un débat constructif | © Bernard Hallet
Suisse

Coire: fronde contre le Code de conduite de prévention des abus

Le diocèse de Coire a présenté début avril 2022 un Code de conduite destiné à lutter contre les abus dans l’Eglise. Mais plus de 40 prêtres, réunis en un «Cercle», refusent de le signer, arguant que celui-ci «viole à plusieurs reprises la doctrine et la discipline de l’Eglise catholique».

kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Mgr Joseph Bonnemain, évêque de Coire, les trois vicaires généraux et les plus hauts représentants des sept corporations ecclésiastiques du diocèse, ont signé le 5 avril 2022 un Code de conduite sur la gestion du pouvoir (Verhaltenskodex). Le sous-titre «Prévention des abus spirituels et de l’exploitation sexuelle» décrit l’objectif poursuivi par le diocèse. Le texte est destiné à guider le comportement des personnes assurant une fonction dans l’Eglise au niveau des relations inter-personnelles. Le Code de conduite se veut contraignant pour tous les aumôniers, collaborateurs et employés du diocèse et des corporations ecclésiastiques.

Karin Iten, la responsable du secteur prévention du diocèse, a défendu le «Verhaltenskodex», le décrivant comme «un instrument d’action pour les situations délicates du quotidien». Il contient, selon elle, des instructions d’action concrètes et constitue «la pièce maîtresse de la gestion des risques». Le document serait dans la ligne d’autres dispositifs mis en place dans divers endroits d’Europe, dans des milieux non-ecclésiaux.

Un «musèlement» de la doctrine?

Le document a toutefois soulevé des oppositions chez certains prêtres. Dans une prise de position datée du 28 avril, le «Cercle sacerdotal» (Priesterkreis) de Coire explique clairement pourquoi il ne veut pas signer le Code. Selon la Luzerner Zeitung, le «Cercle» est composé de 43 prêtres du diocèse de Coire. Environ 80 autres en seraient sympathisants. Selon l’Annuaire pontifical, il y aurait 347 prêtres diocésains dans le diocèse de Coire et 173 religieux.

Le groupe souligne tout d’abord que la prévention des abus revêt une «grande importance». «Nous considérons que 95% des contenus thématisés sont l’expression du bon sens et de la décence», peut-on lire dans le texte consultable sur le site internet du «Cercle». Pour les prêtres, il est nécessaire de faire tout ce qui est possible «pour assurer une meilleure prévention».

Les ecclésiastiques estiment pourtant que l’évêque «n’aurait jamais dû signer le document». En faisant cela, il restreindrait la proclamation de certaines parties de la doctrine de la foi. Les prêtres reprochent à Mgr Bonnemain de «renoncer pour lui-même ainsi que pour les supérieurs hiérarchiques qui lui sont subordonnés et pour les prêtres, diacres et collaborateurs laïcs, à ce que certaines parties de la doctrine et de l’ordre de l’Eglise soient appliquées dans la pastorale».

Le «Priesterkreis» craint que «l’Eglise du diocèse de Coire devienne un cas particulier au sein de l’Eglise universelle, car elle serait muselée par le Code en ce qui concerne la proclamation de la doctrine de la foi et des mœurs».

L’homosexualité en point de mire

Les réfractaires craignent que le document «instaure une double morale» en tolérant pour les prêtres, les diacres et les collaborateurs laïcs une division entre leur mode de vie personnel et leur activité ministérielle, qui ne serait pas valable pour les autres laïcs. La signature du Code de conduite par l’évêque plongerait ainsi dans un conflit de conscience tous les collaborateurs «qui adhèrent à la doctrine et à l’ordre non restreints de l’Église».

Le «Cercle sacerdotal» justifie son refus par des exemples qui touchent à la morale sexuelle de l’Eglise et à la conception catholique du mariage. La phrase suivante du code suscite par exemple des critiques: «Je renonce à des évaluations négatives globales de comportements prétendument non bibliques en raison de l’orientation sexuelle». Pour les membres du «Cercle», celui qui souscrit à cette phrase ne peut plus proclamer l’enseignement de l’Eglise sur l’homosexualité tel qu’il est fixé dans le Catéchisme. Le document de 1992 affirme que les actes homosexuels sont «intrinséquement désordonnés».

A l’encontre de «l’ordre général» de l’Eglise?

Un passage concernant les entretiens sur la vie intime déplaît également aux critiques: «Dans les entretiens pastoraux, je n’aborde pas activement les thèmes liés à la sexualité. Dans tous les cas, je m’abstiens de poser des questions dérangeantes sur la vie intime et le statut de la relation. Cela vaut également pour les entretiens que je mène en tant que supérieur hiérarchique».

Cette consigne signifierait, pour les protestataires, que les prêtres ne pourraient plus demander aux futurs époux, lors de l’entretien de mariage, s’ils consentent à un mariage en tant que communauté de vie et d’amour sacramentel entre un homme et une femme.

La phrase du Code selon laquelle «Je m’abstiens de toute forme de discrimination fondée sur l’orientation ou l’identité sexuelle» pose aussi problème aux membres du «Cercle». Selon eux, une telle injonction va à l’encontre de «l’ordre général» de l’Eglise. En effet, il ne serait plus possible de renvoyer du séminaire «les personnes qui pratiquent l’homosexualité», notent-ils.

Le «Cercle» veut son prope Code

Le Cercle des prêtres considère que le document «impose» un soutien aux personnes faisant leur coming-out. Il exercerait ainsi une «pression morale» pour renier l’enseignement de l’Eglise. Un passage laisse en effet entendre qu’un refus de signature aurait des «conséquences sur le droit du travail».

Les prêtres critiquent en outre le fait que l’évêque n’ait pas soumis le Code aux organes consultatifs diocésains, dont le Conseil presbytéral. Il demande en conséquence à Mgr Bonnemain de retirer sa signature et de régler ainsi le «conflit de conscience» de ses collaborateurs. Dans le cas contraire, les ecclésiastiques réfractaires avertissent qu’ils élaboreront et signeront leur propre Code de conduite «conforme à l’enseignement de l’Eglise». (cath.ch/kath/bal/rp/rz)

Mgr Bonnemain appelle au débat
La fronde des prêtres provoque un certain nombre de remous dans le diocèse de Coire. Mgr Bonnemain, a réagi le jour-même de la diffusion de la prise de position du «Cercle sacerdotal». Il a assuré prendre le texte au sérieux. «Agir autrement reviendrait à ne pas respecter ce groupe de prêtres du diocèse». Il a ainsi proposé qu’un «débat constructif» se mette en place.
Certains passages du code de conduite doivent être «lus et interprétés dans le bon contexte», a précisé l’évêché dans un communiqué. «Ici aussi, le don de différenciation et de discernement est déterminant, ce qui ne trouve pas assez de place dans les explications de la déclaration actuelle du ‘Cercle sacerdotal’ de Coire».
Mgr Bonnemain a toutefois regretté que les prêtres protestataires aient rendu publiques leurs réclamations avant qu’une rencontre personnelle n’ait eu lieu. L’évêque s’engage en tout cas à un travail de clarification, assure l’évêché.
Réformer le Catéchisme?
Pour Thomas Boutellier, responsable scout et actif dans la prévention dans le diocèse, le fait que le «Cercle» refuse de signer le document est «typique» d’une partie de l’Eglise catholique. «Avec le code, les dirigeants doivent céder du pouvoir. Et cela ne plaît pas aux prêtres cléricalistes: mieux vaut retourner dans son coin et continuer à se plaindre de la prétendue injustice.»
Mario Pinggera, curé de Richterswil (ZH), a défendu également le «Verhalentskodex» contre les critiques. «Oui, on sait ce que disent le droit canonique et le catéchisme, a déclaré le prêtre zurichois. Mais les deux documents s’inscrivent en fin de compte dans la perspective du salut des hommes. Les catéchismes ont toujours changé au fil du temps. L’actuel est vieux de plusieurs décennies et le monde d’aujourd’hui est différent. Le Code de conduite, en revanche, date de 2022 et parle pour une Eglise dans le monde d’aujourd’hui.» KATH/RZ

Confronté à une opposition de prêtres du diocèse de Coire, Mgr Joseph Bonnemain appelle à un débat constructif | © Bernard Hallet
1 mai 2022 | 16:02
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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