Colombie: Le Christ mutilé de Bojayá accueille le pape à Villavicencio

Le pape François, en visite pastorale en Colombie depuis le mercredi 6 septembre 2017, sera accueilli le 8 septembre au Parc Las Malocas de Villavicencio par la statue du Christ mutilé de Bojayá, témoin d’un des pires massacres qu’a connus le pays durant les décennies de la guerre civile.

La présence de cette statue hautement symbolique marquera la grande rencontre de prière pour la réconciliation nationale.

La Conférence Episcopale colombienne a voulu que ce «Cristo mutilado», symbole de réconciliation et de pardon, soit présent lors de la messe que présidera le pape François dans la capitale du département du Meta, au centre du pays, en présence de milliers de victimes du conflit. Parmi eux se trouveront 16 survivants du massacre de Bojayá arrivés la veille à Villavicencio, venus en pèlerinage avec la statue du Christ mutilé, et bénéficiant du soutien de l’archidiocèse de Villavicencio et du Secrétariat national de la Pastorale Sociale de la Conférence épiscopale.

Colombie Paroissiens de la paroisse de Bellavista à Bojayá (Photo: Jacques Berset)

Symbole de réconciliation et de pardon

La statue aux jambes et aux bras sectionnés par une bombe est la figure emblématique d’un sanctuaire du diocèse de Quibdo où périrent, le 2 mai 2002, près d’une centaine de villageois – dont la moitié d’enfants – réfugiés dans l’église St-Paul apôtre de  Bojayá-Bellavista. Ils fuyaient les combats entre la guérilla et les paramilitaires qui voulaient occuper la zone du Rio Atrato. (*)

Ni la remise de ses armes par les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), la plus ancienne du continent latino-américains désormais transformée en parti politique, ni le cessez-le-feu temporaire négocié par l’Armée de libération nationale (ELN), deuxième groupe rebelle du pays, ne signifient encore la fin des violences en Colombie. La véritable paix, liée à la justice sociale, n’a pas encore pris véritablement forme dans le pays.

Toujours pas la paix dans le pays

Le Père Francisco De Roux a estimé, sur la chaîne de télévision locale Telesur, que le pape venait en Colombie «dans un esprit de pardon» et qu’il aura «un effet sur la paix». Le jésuite colombien a relevé l’important engagement de l’Eglise colombienne en tant qu’accompagnante du processus de paix, soulignant qu’elle tendait «une main amie» vers les hommes et les femmes vivant dans les zones touchées par le conflit. «Nous avons signé des accords avec les FARC, mais nous n’avons toujours pas la paix dans le pays, car il existe de nombreux problèmes structurels».

Luz Estella, du Colectivo Mujeres al Derecho, et Romero Ricardo Esquivia, de l’ONG Sembrando Semillas De Paz (Photo: Jacques Berset)

Il y a encore des actions militaires dans divers départements colombiens, dans le Choco, le Sur de Bolivar, l’Arauca, la région de Catatumbo, et des attentats à Bogota, confiait cet été à cath.ch l’avocat Ricardo Esquivia, fondateur et directeur de l’ONG pour la paix Sembrando Semillas De Paz, basée à Sincelejo et à Carmen de Bolivar, dans la région caribéenne de la Colombie. Et le responsable de l’ONG basée à Sincelejo et à Carmen de Bolivar, dans la région caribéenne de la Colombie d’ajouter les violences à mettre sur le compte des paramilitaires, des narcotrafiquants, et tout simplement de la population, «qui doit être désarmée».

«Au moins 2,5 millions d’armes sont en circulation au sein de la population. Trop de conflits en Colombie se règlent avec les armes. Nous devons travailler à un changement des mentalités!»

Une société machiste et violente

«La société colombienne est machiste, et la violence est avant tout le fait des hommes. Nous, les femmes, sommes les premières victimes de cette violence. Nous sommes souvent traitées comme si nous n’existions pas, alors que nous sommes pleinement citoyennes. 60% des 6 millions de personnes déplacées par la violence sont des femmes et des enfants», témoigne l’avocate Luz Estella Romero, qui dirige l’ONG féministe Colectivo Mujeres al Derecho à Baranquilla, dans le département d’Atlantico.

Alors que la question foncière est une des principales racines du conflit (les FARC, fondées en 1964, sont issues d’une insurrection paysanne visant à l’autodéfense), de nombreuses communautés afro-colombiennes et indigènes se voient encore refuser leur droit inaliénable sur leurs territoires et leurs terres. Les terres sont convoitées par de puissants groupes, notamment dans les zones les plus proches des grands axes commerciaux. La violence est aussi ethnique: les populations afro-colombiennes et indigènes subissent encore fortement le racisme.

Le pape François, un élément-clé pour la paix

Le pape François a joué un rôle déterminant dans le processus de paix signé à La Havane entre le gouvernement colombien et les FARC, a déclaré le 5 septembre au quotidien colombien «El Tiempo» le président Juan Manuel Santos. Le pontife a été un «élément-clé» quand, dans les moments difficiles de la négociation, les protagonistes ont eu la tentation de «jeter l’éponge».

Santos a déclaré que chaque fois qu’il a entendu le pape parler du processus de paix, il a ressenti comme un signal pour aller de l’avant. «Le pape nous a encouragés et stimulés pour persévérer dans la recherche de la paix, a-t-il ajouté, et il est convaincu, comme nous devons l’être tous en tant qu’êtres humains, que la paix est l’objectif le plus noble de toute société».

Un long chemin à parcourir

Le président Santos admet que la construction de la paix ne va pas se faire du jour au lendemain, que cela requiert beaucoup de travail. «Il faut que nous soyons tous unis, et avant tout réconciliés! (…) Que nous laissions derrière nous les haines, les préjugés, et que nous puissions pardonner, respecter les différences et travailler ensemble».

Juan Manuel Santos espère que la visite du pape permettra de réfléchir aux effets si négatifs de la «polarisation» de la société colombienne, notamment au plan politique, «qui nous a fait tant de mal et ne conduit à rien!»

L’ex-président Uribe jette un pavé dans la mare

Mais à la veille de la venue du pape, l’esprit n’est pas à la réconciliation de la part de l’ex-président colombien Alvaro Uribe. Dans une lettre envoyée au pape François, ce politicien ultraconservateur – il est aujourd’hui sénateur – adresse de sévères critiques concernant le processus de paix.

L’ancien président y affirme que l’accord de paix avec les FARC a pour conséquence «l’impunité totale pour les responsables de crimes atroces, leur éligibilité politique, l’autorisation légale qu’ils ont reçue pour dépenser de l’argent acquis illicitement afin de développer leurs activités politiques, et d’autres points qui constituent des stimulations au crime».

Une lettre revancharde au ton «amer»

C’est une lettre revancharde au ton «amer», «de quelqu’un d’aveugle qui ne voit pas le bien qui se passe dans le pays», a rétorqué le sénateur Roy Barreras, du Parti social d’unité nationale, appelé «Parti de la U», en référence au nom de l’ancien président Uribe.  Plusieurs autres sénateurs ont déploré qu’Uribe tentait ainsi de «politiser» la visite du pape.

Alors que certains affirment que le nouvel accord du gouvernement colombien avec la guérilla de l’ELN est «le premier miracle du pape» en Colombie, l’opposition au président Santos ne s’est pas calmée et dénonce les négociations de paix. Le président Santos estime que ce cessez-le-feu «est une grande nouvelle aussi pour le pape» et que sa venue a certainement eu une influence sur cet accord.  (cath.ch/be)

(*) La communauté de Bojayà, dans le département du Choco, sur les rives du Rio Atrato, au cœur de la selva humide de la Côte du Pacifique, avait été prise entre deux feux en ce mois de mai 2002 dans les combats entre les FARC et les paramilitaires des AUC (Autodefensas unidas de Colombia), soutenus par l’armée nationale. Les AUC avaient transformé la population civile, qui s’était abritée dans l’église, en un véritable «bouclier humain».

Le 2 mai 2002, au deuxième jour de la confrontation militaire entre les Fronts 5 et 57 du Bloc «José Maria Córdoba» de la guérilla des FARC et les paramilitaires du Bloc «Elmer Cardenas» des AUC, une des «pipetas» lancée par les FARC – une bouteille de gaz remplie de poudre et de ferraille propulsée par un mortier artisanal – a traversé le toit de l’église pour atterrir sur l’autel. L’explosion qui a suivi a éventré le bâtiment et fait voler le toit de l’édifice, déchiquetant les corps sur son passage.

 

Colombie Le Christ mutilé de Bojaya, témoin de la barbarie de la guerre
6 septembre 2017 | 14:40
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 6 min.
Colombie (118), pape françois (2270)
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