Le professeur Mariano Delgado est théologien et historien de l'Eglise | DR
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Covid-19: pour le professeur Delgado, une invitation à changer de cap

Dans une réflexion à destination des membres de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, le doyen Mariano Delgado invite, à l’ère du coronavirus, à «un changement durable de notre mode de vie». Le théologien et historien de l’Eglise plaide pour un nouvel humanisme et une nouvelle spiritualité.

Le professeur Delgado, parlant de la «théologie à l’ère du coronavirus», affirme certes que «nous  surmonterons aussi cette crise, comme nous l’avons fait en d’autres occasions», mais qu’il faudra en payer le prix. Et ce prix, humain et économique, sera élevé, estime le théologien fribourgeois d’origine espagnole.

Ce spécialiste de l’histoire de l’Eglise, de la missiologie et du dialogue interreligieux, relève que quand nous aurons surmonté cette crise, la question sera de savoir «si nous allons en tirer des enseignements et entamer enfin un changement de cap».  

«La théologie vit des temps difficiles»

Le doyen de la Faculté de théologie remarque qu’au premier abord, la théologie vit des temps difficiles: «des églises sont fermées, il n’y aura pas de liturgies le Vendredi Saint et à Pâques… le vieux pape solitaire devant la place vide de Saint-Pierre à Rome, l’ostensoir à la main, dans un geste émouvant, bénit ‘la ville et le monde’, toute l’humanité, et proclame que nous sommes tous dans la même barque, que Dieu ne quittera pas l’homme (…) puisqu’il l’a créé comme son interlocuteur (…)  Car, si l’homme existe, c’est que Dieu l’a créé par amour et, par amour, ne cesse de lui donner l’être».  

Et dans des moments comme celui-ci, rappelle le théologien, Dieu n’est pas le seul à demander à l’homme: «Où es-tu ? «(Gen 3,10). L’homme appelle aussi Dieu des profondeurs: «Où es-tu ?»

Il ne manque certes pas d’aumôniers qui, à l’instar de saint Charles Borromée, sont présents dans les hôpitaux et autres lieux pour apporter un réconfort et une assistance spirituelle, relève-t-il.

La culture chrétienne de la miséricorde

«Mais les héros de notre époque sont les ambulanciers et le personnel médical qui tentent d’aider de manière désintéressée, au péril de leur vie. Nous pouvons y voir un héritage séculaire de la culture chrétienne de la miséricorde, sur le sol de laquelle étaient autrefois construits des hôpitaux, des foyers pour les pauvres et des maisons de retraite: réjouissons-nous que le message chrétien ait été si fécond dans ce domaine !»

«Il en va de même pour la pensée du ‘seul’ monde et de la ‘seule’ famille humaine, qui est devenue une évidence et qui, en cas de catastrophe, déclenche une vague de solidarité mondiale», poursuit-il.

Des crises qui auraient dû nous apprendre «l’humilité»

Suite aux crises similaires qui auraient dû nous apprendre l’humilité et la connaissance de soi, ainsi qu’un nouveau mode de vie, «l’humanité a fait un bond et est retombée dans l’orgueil de l’hubris», à savoir la démesure, la fatale ambition, l’aveuglement funeste. Ainsi la peste noire du 14ème siècle a été suivie par la Renaissance, où l’homme s’est  considéré comme le couronnement de la création, appelé à exploiter la nature.

La Guerre de Trente Ans et les épidémies des XVIIe et XVIIIe siècles ont été suivies par le siècle des Lumières avec la «sapere aude» kantienne (»ayez le courage d’utiliser votre propre esprit !») et le positivisme technique du XIXe siècle. Les guerres mondiales et les épidémies du XXe siècle ont été suivies par les voyages dans l’espace et la révolution technologique-numérique. «Que va-t-il se passer maintenant ?», se demande le professeur Delgado.

Vers un «nouvel humanisme»

La devise des Jeux olympiques «citius, altius, fortius» (plus vite, plus haut, plus fort) devrait-elle continuer à s’appliquer à l’humanité et aux différents pays en concurrence économique ? Ou alors est-il enfin venu le temps de prendre un virage, comme le Club de Rome nous l’a rappelé en 1972 avec son rapport Les limites de la croissance, et le pape François en 2015, avec l’encyclique Laudato si‘ ?

Il y est dit que l’homme d’aujourd’hui n’a «aucune éthique solide, aucune culture ni spiritualité … qui lui fixent réellement des limites et le freinent dans une autolimitation claire» (Laudato si’ 105). On parle ici d’une «croissance avec modération», d’un «retour à la simplicité», de la «frugalité et de l’humilité», d’un adieu à la «grande vitesse» de notre temps.

A la recherche d’une nouvelle spiritualité

«Il s’agirait là de quelques pas vers le ‘nouvel humanisme’ tant recherché, qui laisse de côté l’hubris et pratique humblement la connaissance de soi», analyse le théologien. Qui prône «un humanisme, même sous une forme laïque, qui soit marqué par les valeurs fondamentales du christianisme: le souci d’une ‘vie d’abondance’ (Jean 10, 10) pour tous, en particulier pour les plus faibles, la construction d’un monde dans lequel la justice et la vérité, la liberté et la paix, la solidarité et la fraternité trouvent un foyer».

La théologie d’aujourd’hui est appelée à participer à la recherche de cette nouvelle spiritualité et de cet humanisme dans la polyphonie des cultures et des religions du monde. «Le monde après le coronavirus ne doit plus être marqué par l’hubris fatal ! Ce test difficile doit enfin conduire à un changement de cap !» (cath.ch/be)

Le professeur Mariano Delgado est théologien et historien de l'Eglise | DR
8 avril 2020 | 08:10
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 3 min.
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