Mgr Joseph Bonnemain, évêque de Coire, et Renata Asal-Steger, présidente de la RKZ | © Bernard Hallet
Dossier

Crise des abus: le financement de l’Eglise en danger?

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Dans le sillage de la crise qui touche actuellement l’Eglise catholique en Suisse sur les abus sexuels, des acteurs internes et externes mettent en question le financement de l’institution. Tour d’horizon.

«Je n’exclus pas qu’à l’avenir, nous refusions de verser de l’argent aux évêques si nous constatons que les choses ne bougent pas suffisamment», a récemment déclaré Renata Asal-Steger, présidente de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), dans l’hebdomadaire alémanique Sonntagszeitung. Dans le système dual suisse, la RKZ représente la faîtière des corporations ecclésiastiques cantonales, et en tant que telle, met des fonds à disposition pour la couverture des besoins financiers de différentes institutions liées à l’Eglise, notamment la Conférence des évêques suisses (CES).

Confiance érodée

L’avertissement de Renata Asal-Steger survient alors que les responsables de l’Eglise de droit canonique en Suisse sont sous le feu des critiques depuis plusieurs semaines, en rapport à leur gestion de cas d’abus sexuels. Le projet pilote lancé par l’Eglise en Suisse elle-même, dont la publication a eu lieu le 12 septembre 2023 à Zurich, a révélé plus de 1000 cas d’abus depuis les années 1950.

«La participation des femmes, la séparation des pouvoirs dans le droit ecclésiastique, la morale sexuelle. Nous devons repenser tout cela si nous voulons résoudre le problème»

Renata Asal-Steger, présidente de la RKZ

Mais il a aussi soulevé de graves cas de dissimulations et de négligence dans la gestion des affaires au plus haut niveau de l’Eglise. Les enquêteurs de l’Université de Zurich parlant d’un problème «systémique». Même si des mesures ont été annoncées, elles n’ont convaincu que partiellement l’opinion publique. Alors que d’autres affaires liées aux abus mises au jour par les médias dans la même période de temps ont contribué à éroder la confiance du public, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise.

Abolition du célibat demandée

Certains craignent en effet que les réformes ne soient que superficielles. «Les structures de base de l’Église doivent être modifiées pour éviter les abus dans le contexte ecclésial», affirme ainsi Renata Asal-Steger. «La participation des femmes, la séparation des pouvoirs dans le droit ecclésiastique, la morale sexuelle. Nous devons repenser tout cela si nous voulons résoudre le problème.» La Lucernoise exhorte notamment à abolir le célibat obligatoire.

«Si les dix cantons qui reversent à l’évêché [de Bâle, ndlr], une partie des recettes de l’impôt ecclésiastique participaient à ce boycott, il manquerait 3,8 millions de francs à l’évêque», calcule ainsi la présidente de la RKZ.

Renata Asal-Steger ne conteste cependant pas que l’Eglise de droit ecclésiastique doive à son tour se remettre en question. «Le recrutement des prêtres et du personnel relève également de la responsabilité des paroisses, rappelle-t-elle (…) Il faut donc professionnaliser le personnel, clarifier l’échange d’informations et mettre un terme à la destruction des dossiers».

Pression financière

Dans le monde politique, certains jugent que des conséquences devraient être tirées des dernières affaires. Le député au Grand Conseil bernois Tobias Vögeli a ainsi déposé deux motions au Parlement cantonal, demandant que les subventions à l’Eglise catholique soient gelées jusqu’à ce que celle-ci présente «un concept de protection viable».

«L’Église catholique ressemble dans sa structure à un ‘business’ ou un groupe économique»

Kathryn Bertschy, conseillère nationale (PLV/BE)

«Pour chaque institution que nous soutenons en tant que canton, nous veillons à ce que l’argent soit utilisé correctement et qu’il n’y ait pas d’abus», a-t-il justifié à kath.ch. «Nous devons traiter les églises comme n’importe quelle autre institution à cet égard.»

Tout en relevant que le Grand Conseil bernois ne remet pas en question «le travail précieux» des gens de la base de l’Eglise, et qu’il ne les soupçonne pas non plus, il demande des mesures concrètes. Il suggère notamment une vérification systématique de «l’honorabilité» des personnes désirant entreprendre une activité pastorale. Il s’agirait de s’assurer qu’aucune accusation n’ait été formulée contre le candidat ou la candidate. Le président des Jeunes Verts Libéraux Suisse demande pour cela une instance externe de contrôle.

L’Eglise traitée comme une multinationale?

La grogne se fait sentir également au niveau fédéral. La conseillère nationale Kathryn Bertschy, du parti Vert’libéral, va déposer une initiative parlementaire imposant notamment «des règles de diligence et de responsabilité (…) pour l’Église catholique, de sorte qu’elle soit responsable des cas d’abus commis par ses prêtres et ses évêques». L’Église catholique ressemble dans sa structure à un «business» ou un groupe économique, a expliqué la Bernoise. Elle doit donc assumer sa fonction de contrôle et son devoir de diligence à l’échelle du groupe, comme cela était demandé aux multinationales pour leurs filiales à l’étranger dans l’initiative populaire refusée par le peuple en 2020.

«N’importe quelle organisation où de telles horreurs se passent doit pouvoir être tenue responsable»

Samuel Bendahan, conseiller national (PS/VD)

La Vert’libérale prend d’ailleurs les autorités catholiques à leur propre jeu, note le quotidien 24 Heures. «Lors de la campagne pour l’initiative populaire, l’Église s’est fortement engagée pour l’introduction d’un devoir de diligence et d’un mécanisme de responsabilité pour les multinationales. Il est évident qu’elle doit également être soumise à de telles règles.»

Le texte de Kathryn Bertschy demande en outre des sanctions – partout où cela est possible – et la mise sur pied d’une enquête étatique. Et la conseillère nationale de brandir elle aussi la menace économique: «Si l’Église catholique veut continuer à jouer un rôle central et fournir des prestations sociales subventionnées par les cantons et les communes, l’État doit établir des règles claires, comme pour toutes les autres institutions soutenues par les deniers publics», met-elle en avant.

Opportunisme politique?

D’autres politiciens de gauche ont accueilli positivement la proposition. «N’importe quelle organisation où de telles horreurs se passent doit pouvoir être tenue responsable», estime le conseiller national socialiste Samuel Bendahan. Le Vaudois s’interroge toutefois sur la limitation à l’Église catholique: «Les enquêtes doivent le cas échéant aussi être possibles pour d’autres institutions. Généralement, nous ne faisons pas de loi spécifique pour une organisation.»

A droite, les propos sont plus nuancés. Interrogé par 24 Heures, Sidney Kamerzin, conseiller national du Centre, ne voit pas «à quoi une nouvelle enquête administrative pourrait servir,» alors que plusieurs démarches analogues sont déjà en cours. Relevant que «les outils légaux existent déjà» pour traiter ce genre de cas, il ne cautionne pas non plus la mise sur pied d’un mécanisme de responsabilité, qui «risque surtout de devenir une usine à gaz». «Cette proposition ressemble à de l’opportunisme politique, ce qui est regrettable alors qu’il s’agit de traiter d’affaires d’une telle gravité», regrette le Valaisan. (cath.ch/sz/kath/24heures/arch/rz)

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Mgr Joseph Bonnemain, évêque de Coire, et Renata Asal-Steger, présidente de la RKZ | © Bernard Hallet
17 septembre 2023 | 18:12
par Raphaël Zbinden

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

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