Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation pour l'Entre-Connaissance | © Jacques Berset
Suisse

Dix ans après l'interdiction des minarets, les choses bougent

Il y a tout juste dix ans, le 29 novembre 2009, les Suisses acceptaient à la surprise générale l’initiative populaire «Contre la construction des minarets», inscrivant ainsi dans la Constitution l’interdiction d’en ériger sur le territoire helvétique. Une table ronde à la Maison du Dialogue de l’Arzillier, à Lausanne, le 28 novembre 2019, a fait le point sur les conséquences de ce scrutin.     

Ce vote avait été fortement ressenti comme un signe de défiance à l’égard des musulmans du pays, qui forment près de 5% de la population et représentent aujourd’hui la troisième religion du pays. La table ronde interreligieuse, dirigée par le journaliste suisse d’origine algérienne Sid Ahmed Hammouche, a attiré un large public. Il a pu entendre le cri du cœur du  photographe Michael Von Graffenried, qui vit et travaille entre Berne, Paris et Brooklyn, et qui s’est fait connaître en dehors de la Suisse notamment par ses reportages durant la guerre civile en Algérie.

«Je n’exposerai plus en Suisse…»

«Je n’exposerai plus en Suisse tant que la Constitution helvétique n’est pas égale pour tous», a-t-il lancé lors de la table ronde, qualifiant l’interdiction des minarets de «loi d’exception». Il a estimé honteux que l’on grave dans la Constitution une interdiction de ce genre. Il a émis le vœu, quand il exposera à nouveau ses oeuvres en Suisse, de le faire d’abord dans une grande mosquée! Pour lui, la photo permet d’aller vers les autres, pour mieux se connaître et se respecter.

Table ronde à la Maison du Dialogue de l’Arzillier, à Lausanne, le 28 novembre 2019 | DR

Relevant qu’il était «un enfant de cette initiative», adoptée par le peuple suisse alors qu’il venait de se convertir à l’islam, Pascal Gemperli note que le fait d’avoir fait profil bas lors de cette campagne n’avait pas été une bonne approche. Le secrétaire général de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) estime que face aux peurs existantes dans la population face à l’islam, et aux manipulations politiques en arrière-fond, il aurait fallu être plus actif dans la communication. Ce vote l’a incité à s’investir dans l’UVAM.

L’interdiction d’ériger des clochers

En écho, Dominique Voinçon, délégué de l’Eglise catholique pour dialogue interreligieux dans le canton de Vaud, a estimé que cette interdiction des minarets faisait penser à l’interdiction d’ériger des clochers dans le canton de Vaud au XIXe siècle. Le Genevois Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, avait déposé, dès le lendemain de la votation sur les minarets, un recours auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) à Strasbourg.

«Je l’ai fait immédiatement après, le 5 décembre 2009, avec l’aide de cinq avocats de renom, suisses – dont mon ami Pierre de Preux -, français et belge», confie-t-il à cath.ch. La requête demandait à la CEDH de constater l’incompatibilité de la mesure votée par le peuple suisse avec la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Un islam d’ouverture

Pour Hafid Ouardiri, qui milite pour un islam d’ouverture, l’interdiction de construire des minarets est discriminatoire car elle ne vise qu’une seule religion et non toutes les religions. En juillet 2011, la Cour européenne déclarait le recours irrecevable, estimant que les recourants n’étaient «pas directement victimes de la violation alléguée de la Convention».

Cependant, affirme le directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, la Cour n’a pas définitivement fermé la porte, et elle pourrait entrer en matière s’il y avait un refus en cas de demande de construction d’une mosquée avec minaret.

Contre tout mépris de l’autre

Partisan du dialogue, il estime qu’il faut travailler à mieux se connaître, éviter la confrontation, et ne pas laisser les extrémistes des deux bords – ultranationalistes et musulmans radicaux – prendre le dessus, «car ils sont complices les uns des autres». Et de mettre en garde contre les discours de victimisation qui risquent de pousser certains à se radicaliser. La soirée s’est conclue par l’engagement de tous/tes les participants/tes à militer ensemble contre toute exclusion, toute discrimination et tout mépris de l’autre, dans le respect. Une pédagogie s’adressant en particulier aux jeunes, qui construisent la société de demain. (cath.ch/be)

Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation pour l'Entre-Connaissance | © Jacques Berset
29 novembre 2019 | 17:07
par Jacques Berset
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