Des visas toujours plus difficile à obtenir, l'attente des sœurs de l'étranger peut devenir éprouvante. (Photo: Grégory Roth)
Suisse

Durcissement des lois suisses sur l'immigration: Un danger pour les communautés religieuses?

Face à la crise des vocations, l’Eglise fait venir des prêtres de l’étranger. Et les communautés religieuses se renouvellent grâce à l’accueil de sœurs et de frères venus d’ailleurs. De leur côté, les lois suisses sur l’immigration sont de plus en plus restrictives. Si les nouvelles contraintes ne mettent pas en péril l’avenir des communautés ecclésiales, le durcissement progressif des lois suscite de l’incompréhension dans le monde catholique. Enquête.

Parmi les diverses communautés concernées, la Congrégation des sœurs de Saint-Augustin, à St-Maurice, a rencontré quelques difficultés récemment. «En 6 ans, j’ai fait venir une trentaine de sœurs togolaises de la Région Afrique, sans jamais rencontrer le moindre problème. Ni à l’aller, ni au retour», s’emporte sœur Catherine Jérusalem, supérieure de la Région Suisse. «Mais cette année, trois sœurs, en visite durant un mois, n’ont reçu leur visa que deux heures avant le décollage pour la Suisse».

La raison? Une soudaine multiplication des questionnaires administratifs exigés par la Confédération suisse et le Consulat au Togo.

«Politiques et religieux, nous ne parlons pas le même langage»

Dans ces nouveaux formulaires, on exige notamment un décompte de salaire et un justificatif bancaire. Des titres qu’aucun religieux, suisse ou non, ne possède. «J’ai l’impression que, politiques et religieux, nous ne parlons pas le même langage, s’indigne-t-elle. Ou alors on ne nous prend pas au sérieux». Insistant sur une bonne collaboration de longue date avec la ville de St-Maurice et l’Etat du Valais, Sr Catherine va mener son enquête au-delà du canton. Elle veut déterminer si la cause de ces récentes complications provient de Suisse ou du Togo.

Du côté du Jura, deux sœurs du Viêtnam sont arrivées sans peine fin septembre 2016. «Vis-à-vis des autorités, nous n’avons eu aucun souci à nous faire! Nous assurons la prise en charge de nos sœurs et le motif de leur séjour, apprendre le français, est clair», déclare Sr Véronique Vallat, responsable suisse des sœurs de St-Paul de Chartres. Comme certaines de ses consœurs suisses travaillent dans l’enseignement et les soins, elle a dû simplement garantir que les nouvelles venues n’exerceront aucun engagement salarié et pas de bénévolat en dehors de la communauté.

Etape par étape

Sr Véronique détaille les procédures qu’elle effectue en amont d’une démarche d’accueil:

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Pour l’obtention d’un visa de séjour et d’un permis de travail, la provenance est déterminante. Un religieux ou un prêtre, venant d’un pays de l’UE (Union européenne) ou de l’AELE (Association européenne de libre-échange), n’aura aucun problème avec la police des étrangers. Il bénéficie comme n’importe quel citoyen du principe de la libre circulation des personnes. Les modalités de sa venue sont réglées directement avec le canton.

Un parcours du combattant

En revanche, si la personne vient d’un pays tiers, ce sera un véritable parcours du combattant, admet Patrick Pochon, chef du Service de la population et des migrants de l’Etat de Fribourg (SPoMi). «Le dossier du requérant devra passer également par le SEM, Secrétariat d’Etat aux migrations de la Confédération, et sa venue est soumise au contingent de permis encore disponibles».

«Nous ne leur avons jamais refusé de demandes de permis, car leurs dossiers sont sérieux»

Sur 84 permis disponibles, l’Etat de Fribourg en a délivré en moyenne un à trois par an ces dernières années à des prêtres de pays tiers  – trois prêtres togolais pour 2016. «Nous avons un très bon contact avec le Vicariat épiscopal du canton«, assure Thierry Ruffieux, chef de la section main-d’œuvre étrangère au SPoMi. «Nous ne leur avons jamais refusé de demandes de permis, car leurs dossiers sont sérieux». Il complète son propos: Les prêtres étrangers sont souvent engagés à plein-temps, dépassant de facto le salaire mensuel minimum requis de 2’100 francs. De plus, les hommes d’Eglise appartiennent à un secteur sans grand risque de collision avec le principe de priorité de la main-d’œuvre indigène.

Un problème peut survenir cependant pour les missions linguistiques en Suisse. «Si un prêtre, venant d’Espagne pour s’occuper d’une communauté hispanophone, ne sait pas un seul mot de français ou d’allemand, il n’aura aucun problème», constate Don Miguel Blanco, coordinateur national pour les missions catholiques de langue espagnole. «Mais si le même prêtre vient d’Amérique latine [pays-tiers], ne parle pas parfaitement une des langues nationales à son arrivée, il ne remplira pas les critères d’intégration». Il pointe du doigt une exigence relativement récente: l’article 7 de l’OIE (Ordonnance sur l’intégration des étrangers), décidée en octobre 2007.

Au même moment, l’OASA (Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative) est parue. Ce nouveau durcissement n’est pas passée inaperçu dans les foyers catholiques pour étudiants boursiers. «A partir de 2007, nous avons dû mettre plus d’énergie pour faire venir des étudiants étrangers», se souvient Marco Cattaneo, directeur de l’œuvre St-Justin – fondée en 1927. «Il y a eu davantage de contrôles, pour obtenir moins de permis, et donc moins de boursiers en fin de compte».

Permis de travail et d’étude à distinguer

Selon lui, travailleurs et étudiants ne devraient pas être soumis au même contingent. «Tout le monde à le droit d’étudier. Certains prêtres doivent venir en Suisse, car ils n’ont pas d’études équivalentes en Afrique, surtout pour l’obtention d’un master ou d’un doctorat en théologie».

Marco Cattanéo se félicite que 95% des étudiants-boursiers de son établissement repartent dans leur pays, titre universitaire en poche. Il déplore en revanche quelques cas où des étudiants sont restés, alors qu’il leur avait déjà payé le billet de retour. «Un échec aux examens et la peur d’un retour au pays sans diplôme peuvent motiver ce genre de comportements, clarifie-t-il. Mais ensuite c’est quand-même à l’œuvre St-Justin et au SPoMi de devoir se justifier auprès de la Confédération».

Manque d’effectif dû à une politique de restriction

Pour l’Ecole de la Foi, fondée en 1969 à Fribourg, le manque d’effectifs, dû notamment à une politique de restriction de visas, l’a contrainte à fermer ses portes en 2006, après avoir formé 2’000 laïcs, religieux et prêtres, venus de 75 pays des cinq continents. «Il faut reconnaître que certains étudiants n’ont pas tenu leur promesse de retour au pays. La police des étrangers a perdu confiance en notre établissement. Et il devenu de plus en plus difficile d’accueillir de nouveaux étudiants du Tiers-Monde», explique le chanoine Claude Ducarroz, ancien directeur de l’Ecole de la Foi. «Mais il ne faut pas oublier qu’à long terme, la forte diminution des candidats de Suisse et d’Europe a également pesé dans la balance».
L’expérience se poursuit néanmoins. Les étudiants, majoritairement Africains, ne pouvant plus venir à l’Ecole de la Foi, c’est elle qui est allée à eux. Elle a ouvert ses portes en 2012 à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire.

«Une fois réunis, nous serions un sacré paquet et nous irions crier tous ensemble sur la Place fédérale», Sœur Catherine Jérusalem

Revenons à Fribourg, avec les trois prêtres togolais accueillis en 2016. Comment s’est préparée leur venue? «Depuis 2014, c’est notre évêque, Mgr Charles Morerod, qui établit des conventions avec l’évêque d’un autre pays», explique Mgr Rémy Berchier, vicaire épiscopal pour le canton de Fribourg. «Actuellement, nous sommes en lien avec le diocèse d’Aného, au Togo. Et toute la démarche se passe entre les évêques, rendant le processus davantage ecclésial».

Une nouveau système qui fonctionne

Auparavant, les demandes étaient personnelles. Elles venaient principalement de prêtres étrangers en étude, en visite ou en service d’été. L’exactitude de leurs motivations et de leurs qualifications ne pouvait pas toujours être vérifiée.

Désormais c’est l’évêque qui appelle. Ce nouveau système permet à l’évêque en Suisse de déterminer combien de prêtres il a réellement besoin. Il peut s’assurer auprès de l’évêque partenaire que les candidats soient véritablement ordonnés et correctement formés, et convenir d’un contrat de trois ans, avec un renouvellement possible.

«Ici, l’accueil est chaleureux et familial. Je ne me sens presque pas dépaysé»

«Cette procédure, officielle et bien rodée, n’a posé aucun problème avec le SPoMi, affirme Mgr Berchier. Et nous avons pu nous donner les moyens d’assurer l’accueil et l’encadrement à nos nouveaux prêtres». Des propos que confirme l’abbé Daniel Agbeti, arrivé à Bulle en septembre 2016. «La Suisse a tout organisé et le retrait de mon visa s’est passé sans encombres, assure le prêtre togolais. Ici, l’accueil est chaleureux et familial. Je ne me sens presque pas dépaysé. Tout le monde veille à ce que je ne manque de rien».

Une expérience positive, parmi d’autres, que les diocèses et communautés sont appelés à chercher pour composer avec les directives de la LEtr (loi fédérale sur les étrangers).

Un bilan encore prématuré

Interpellée par les complications administratives, Sr Catherine Jérusalem estime qu’une procédure spéciale, tenant compte de la situation des religieux, devrait être inscrite dans la loi. «J’ai toujours dit qu’il faudrait fonder une seule union avec tous les religieux de Suisse. Une fois réunis, nous serions un sacré paquet et nous irions crier tous ensemble sur la Place fédérale», plaisante la supérieure des sœurs de St-Augustin. «Quant à savoir si les récentes restrictions des lois suisses sur l’immigration mettent en péril l’avenir des communautés ecclésiales, je crois qu’il est encore trop tôt pour le dire», conclut-elle. La plupart des personnes contactées dans le cadre de cette enquête partagent cet avis. (cath.ch/gr)

Des visas toujours plus difficile à obtenir, l'attente des sœurs de l'étranger peut devenir éprouvante.
24 octobre 2016 | 18:28
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 6 min.
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