Egypte: les fatwas appelant à la haine et à la violence menacent la paix mondiale

L’Egypte, qui subit depuis plusieurs années les attaques sanglantes de groupes djihadistes, prend des mesures pour mettre terme à la pagaille des fatwas, des avis religieux émis, en principe, par un spécialiste de la loi islamique.

Le but est de stopper la publication de fatwas erronées et d’opinions religieuses déviantes qui font le lit de la violence.

Dar Al-Iftaa, l’observatoire égyptien des fatwas, une institution religieuse officielle en Egypte chargée de préparer des édits religieux et qui veut offrir une orientation pragmatique pour l’islam dans le monde entier, a déjà pris plusieurs dispositions. L’institution a notamment élaboré un projet de loi qui détermine les instances chargées exclusivement d’émettre des fatwas. Il interdit à toute personne non autorisée d’émettre des fatwas et sanctionne les contrevenants par des peines de prison et des amendes.

Fatwas véhiculant des messages de haine et de violence

Cheikh Ibrahim Negm, conseiller du mufti d’Egypte, explique que ce genre de mesures vise à barrer la route à tous ceux qui instrumentalisent les fatwas pour véhiculer des messages de haine et de violence. «Cette pagaille de fatwas menace la stabilité et la sécurité du monde entier. D’autant plus qu’elle nuit à l’image de l’islam et donne raison à l’islamophobie de s’accroître».

Les autorités n’hésiteront pas à fermer les chaînes satellites diffusant des fatwas extrémistes ou dénuées de fondement, a déclaré Cheikh Ibrahim Negm à l’occasion d’une Conférence internationale sur la fatwa.

Développer un esprit de tolérance et de modération

Cette conférence, à laquelle ont participé des délégués de 63 pays musulmans, s’est tenue au Caire du 17 au 19 octobre sur le thème «Rôle des fatwas dans la stabilité des sociétés». Objectif: s’attaquer à l’expansion des avis religieux extrémistes et développer un esprit de tolérance et de modération.

Cheikh Ibrahim Negm précise que Dar Al-Iftaa accorde un intérêt particulier à la réforme du discours religieux pour aller de pair avec les nouvelles données de l’époque et pour contrarier l’extrémisme. Ainsi, un magazine en langue anglaise intitulé Al-Amana est publié dans le but de contrecarrer, par la publication de textes religieux incontestables, les fatwas erronées. En outre, une première encyclopédie sur la pensée takfiriste (émanation d’un islam ultra-orthodoxe dont les lois priment sur celles des pays laïques, seule prévalant la charia, la loi islamique). Dar Al-Iftaa prétend répondre aux faux avis religieux rejetant l’Autre et justifiant sa mise à mort.

Internet à surveiller

Le rôle d’internet dans la diffusion des avis religieux extrémistes ou erronés a été aussi l’un des axes importants discutés lors de la conférence, rapporte le site internet égyptien Al-Ahram Hebdo. Sur ce sujet, les participants ont cité quotidiennement des milliers de fatwas erronées. Un phénomène inquiétant pour les instances religieuses musulmanes, surtout que les auteurs des fatwas émises sur le site ne sont pas des spécialistes, et leurs orientations sont douteuses.

«Il s’agit là d’une question importante, note Al-Ahram Hebdo,  puisque, selon les statistiques des Nations-Unies, 85 % des jeunes ont recours à internet pour chercher des fatwas religieuses. Et que les sites les plus visités sont ceux des mouvements extrémistes».

Daech maîtrise la toile

Mohamad Al-Machari, président du Conseil musulman européen, tire la sonnette d’alarme: il affirme que Daech, le soi-disant Etat islamique, gère environ 90’000 sites électroniques diffusés dans une dizaine de langues. «C’est effrayant de savoir qu’à travers ces sites, le groupe a réussi à recruter 12’000 djihadistes, des jeunes hommes et des jeunes filles, dont des musulmans résidant à l’étranger. Des réalités qui exigent des autorités religieuses à travers le monde musulman d’œuvrer à contrarier ce genre de fatwas appelant à la violence et à la mort au nom de l’islam».  

Mohamad Mahmoud Habib, membre de l’équipe électronique à Dar Al-Iftaa, indique que 17 sites ont été créés. «Via ces sites, les spécialistes en matière de fiqh (la jurisprudence islamique) et d’interprétation du Coran présentent aux visiteurs les fatwas correctes et modérées. Parallèlement, on se penche à recenser les fatwas erronées ou fanatiques publiées sur internet pour les contrer».

Nécessité d’une charte de déontologie

Les recommandations faites à la fin de la conférence du Caire ont mis en relief la nécessité d’élaborer une charte de déontologie pour les pays musulmans interdisant aux médias la diffusion des fatwas par des non-spécialistes. Il a été aussi recommandé de parvenir à un cadre juridique commun qui réglemente les instances chargées d’émettre les fatwas et de créer un centre pour la formation des spécialistes qui les rédigent. Un tel contrôle sur les avis religieux est primordial, car, pour le mufti de la République, Chawqi Allam, au Caire, «le danger des fatwas appelant à la haine et à la violence menace la paix mondiale». (cath.ch/ahram/be)

 

Egypte Cheikh Ibrahim Negm, conseiller du mufti d’Egypte
6 novembre 2017 | 06:37
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 3 min.
charia (11), Dar Al-Iftaa (1), Egypte (286), Fatwas (3)
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