Fribourg: Colloque sur Charles Journet, grande «figure intellectuelle et spirituelle de notre temps»

Fribourg, 19.11.2015 (cath.ch-apic) La figure de l’abbé Charles Journet, professeur au Grand Séminaire de Fribourg de 1924 à 1970, nommé cardinal par le pape Paul VI en 1965, sera au centre du colloque organisé les 27 et 28 novembre prochain par la Fondation du Cardinal Journet en collaboration avec la chaire de théologie dogmatique de l’Université de Fribourg.

Intitulé «Charles Journet, une sainteté pour l’Eglise», ce colloque, auquel participe Mgr Charles Morerod, président de la Fondation, a l’ambition de scruter une pensée qui a su allier l’effort de la sainteté et la complexité de la vie humaine et ecclésiale. Il s’agit également de rendre accessible à tous «une figure intellectuelle et spirituelle de notre temps», notent les organisateurs.

Cet événement est organisé à l’occasion des 40 ans du décès de celui qui fut le théologien de «l’Eglise du Verbe incarné» et le défenseur d’une «politique chrétienne», qui fut largement mise à mal lors de la montée des totalitarismes.

«Les régimes d’ordre subjuguaient les milieux catholiques à l’époque»

Charles Journet (1891-1975) a été l’un des premiers à avoir mis à l’ordre du jour le concept de totalitarisme, a relevé l’abbé Jacques Rime (*), en présentant le 18 novembre 2015 la biographie de celui qui fut peut-être l’inspirateur de la «résistance spirituelle» pendant la Deuxième guerre mondiale.

S’opposant au communisme, mais également aux fascismes, dès les prémices de la guerre civile espagnole, ce «résistant spirituel dénonçait les régimes d’ordre qui subjuguaient tant les milieux catholiques à l’époque». Durant la guerre, cet esprit libre subit pour cette raison, durant la guerre, tant la censure militaire que la censure épiscopale.

Publications censurées

Si certaines publications sont censurées par la Division Presse et Radio (DPR) émanant des autorités fédérales, son évêque, Mgr Marius Besson (1876-1945), s’abritera volontiers derrière la décision des autorités pour interdire des éditoriaux, dont l’un, par exemple, dénonçait la politique de collaboration du gouvernement de Vichy avec l’occupant allemand.

Mais, relève l’abbé Rime, Charles Journet gardait sa liberté dans les sermons qu’il prononçait chaque dimanche à l’église du Sacré-Cœur, à Genève, où il continuait à exercer son ministère paroissial le week-end.

Ami des résistants aux totalitarismes

Si cet esprit clairvoyant, qui avait perçu, bien avant les autres, les dangers des systèmes totalitaires, a pu se sentir seul, il trouvait cependant du réconfort auprès d’un vaste cercle d’amis, «des résistants venus d’ailleurs», note l’abbé Rime. Parmi eux, le philosophe français Jacques Maritain (1882-1973), opposant au régime de Vichy, des résistants français, mais également des Catalans persécutés par la dictature franquiste et réfugiés en Suisse.

Et Jacques Rime de mentionner le chanoine Carles Cardó, Ramon Sugranyes de Franch, qui sera titulaire de la chaire de littératures ibériques à l’Université de Fribourg, ou encore le cardinal Francesc Vidal i Barraquer, exilé par Franco, réfugié à Fribourg, où il mourra en 1943 et sera enterré à la chartreuse de la Valsainte.

«Il fallait beaucoup de courage en ce temps-là pour prendre ces positions. Charles Journet était davantage isolé à Fribourg qu’à Genève», note pour sa part l’abbé Philippe Blanc, qui évoque cette période de la guerre, où Berne avait envoyé des inspecteurs pour arrêter l’abbé au séminaire de Fribourg. «Ils y renoncèrent après une longue conversation avec ce théologien mystique».

L’abbé Blanc, curé modérateur de l’Unité pastorale St-Joseph (**), a été nommé par Mgr Morerod, le 25 avril 2014, «postulateur pour l’éventuelle cause de béatification» de l’abbé Journet. Il est chargé de rédiger un «libelle» à l’intention de l’évêque diocésain qui jugera en son temps de l’opportunité de l’ouverture de la cause de béatification.

«Un modèle sur le chemin de la vocation universelle à la sainteté»

Dans les témoignages recueillis, le postulateur note les qualités spirituelles et humaines de l’abbé Journet mises souvent en avant: l’humilité, la simplicité, la charité. Et d’affirmer que pour les hommes et les femmes de ce temps, pour les jeunes, les prêtres, l’abbé Journet peut être «un modèle sur le chemin de la vocation universelle à la sainteté».

Le postulateurs note qu’au-delà des reproches que quelques-uns peuvent adresser à l’abbé Journet, par exemple qu’il était un pédagogue difficile – à ses yeux des travers «terriblement secondaires» ! -, il faut voir ce qu’a apporté ce «géant de la doctrine». Mais pour arriver au stade la béatification, «il y a encore la nécessité d’un miracle…». Pour l’instant, il précise qu’il n’y en a pas, seulement des témoignages discrets en Valais, dans le diocèse de Sion. «Il y a déjà des traces… Mais avant de se lancer, il faut bien vérifier, il ne faut pas travailler dans la précipitation». De toute, relève-t-il, l’existence d’un miracle n’est pas déterminant pour entamer la procédure.

Présentant la spiritualité de Charles Journet, l’abbé Nicolas Glasson, vicaire épiscopal et supérieur du Séminaire de Fribourg, rappelle que pour ce grand théologien, «il y a comme identité entre le mystère de l’Eglise et la vie chrétienne: la vie spirituelle ici-bas, au cœur des aléas de la vie quotidienne, est une participation à la vie de l’Eglise, qui est elle-même un ‘exister en Dieu’, une communion à la vie de Dieu». JB


Encadré

Une enfance passée à Genève

Après son enfance passée à Genève, dans un milieu modeste, il étudie au Collège St-Michel et au Séminaire à Fribourg. Il est ordonné prêtre en 1917. Outre sa formation classique, il se forme en partie lui-même. «C’est un semi-autodidacte», note l’abbé Rime. Le futur cardinal Journet regroupe autour de lui artistes et intellectuels, convertis ou catholiques de souche, afin de transmettre les valeurs de son Eglise. Par sa revue culturelle «Nova et Vetera», il diffuse en Suisse romande la pensée de saint Thomas d’Aquin et de son disciple Jacques Maritain. Abandonnant la critique du libéralisme protestant contre lequel il avait un temps croisé le fer, poursuit Jacques Rime, le jeune prêtre adopte une attitude moins défiante envers la modernité. «La longue existence de Charles Journet s’éclaire par l’évocation de ses jeunes années. On y découvre un homme marqué par la question du mal, mais ébloui devant le mystère de la miséricorde divine qui déchire le ciel pour venir à la rencontre de l’humanité dans le Verbe incarné, l’Eglise, les sacrements et, à sa manière, dans la beauté du monde».

Prêtre, théologien, cardinal, Charles Journet laisse une œuvre intellectuelle et spirituelle considérable. Depuis 1998, une édition complète de ses œuvres est en cours. (Œuvres Complètes de Charles Journet, édition établie par René et Dominique Mougel et publiée par la Fondation du Cardinal Journet, Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice). JB

(*) Curé «in solidum» de l’Unité pastorale Sainte-Trinité (paroisse de Belfaux, Courtion et Grolley), l’abbé Jacques Rime, docteur en théologie (histoire de l’Eglise) de l’Université de Fribourg, est un spécialiste de Charles Journet. Sa thèse de doctorat porte le titre «Charles Journet: un prêtre intellectuel dans la Suisse romande de l’entre-deux-guerres» (2006).

 

(**) Unité pastorale regroupant les paroisses de Saint-Pierre, Villars-sur-Glâne, Sainte-Thérèse et Saint-Laurent (Givisiez-Granges-Paccot) (apic/be)

 

Fondation du Cardinal Journet Abbé Philippe Blanc, postulateur de la cause de béatification, Abbé Jacques Rime, Abbé Nicolas Glasson, vicaire épiscopal (Photo Jacques Berset)
19 novembre 2015 | 00:38
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
Fribourg (589), Journet (1), Morerod (13), Université (80), Verbe incarné (3)
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