Un troupeau de vaches sacrées en Inde  (photo Flickr  Philofoto CC BY-NC-ND 2.0)
International

Inde: la protection des vaches comme argument électoral

À l’approche des élections nationales indiennes, prévu en mai prochain, le culte hindou des vaches sacrées est de plus en plus instrumentalisé par les campagnes électorales. Protéger et honorer les vaches est outil politique utilisé depuis longtemps par le Premier ministre Narendra Modi et son parti pro hindou du Bharatiya Janata Party (BJP).

Le 11 février, Narendra Modi a souligné une nouvelle fois l’importance de protéger les vaches au nom de la culture et de la tradition indiennes. Le BJP est arrivé au pouvoir en 2014 dans une vague nationaliste hindoue, en promettant de protéger «Gau Matha » (Mère Vache) par une loi nationale contre les abattages. Mais le BJP n’a pas réussi à faire voter la loi en question au Parlement, rapporte l’agence d’informations Eglises d’Asie.

18 Etats sur 29 interdisent l’abattage des vaches

Il faut savoir que dans 18 des 29 Etats que compte l’Inde, l’abattage des vaches est interdit. Dans neuf d’entre eux, l’abattage des bœufs et des taureaux est cependant autorisé. Dans les onze États restants, où la population non hindoue est plus nombreuse voire majoritaire (dix États du nord-est ainsi que le Kerala), il n’existe aucune restriction quant à l’abattage des bovins.

Traditionnellement, les bêtes non productives sont ainsi vendues et transportées vers les États où il n’existe pas de restriction d’abattage. Cependant, depuis quelques années, beaucoup de routiers transportant ces bêtes ont été attaqués voire tués, entraînant un blocage non officiel de cette pratique.

Une catastrophe économique et écologique

Vikas Rawal, professeur d’économie à l’université Jawaharlal Nehru de New Delhi, assure que toute interdiction nationale de l’abattage des vaches serait catastrophique pour le pays. La plupart des 216 millions de bovins sont élevées à petite échelle par des paysans locaux selon des méthodes traditionnelles, avant d’envoyer les bêtes non productives à l’abattoir.

Eviter l’abattoir à toutes les vaches représenterait un défi économique et écologique gigantesque pour le pays. Il faudrait produire des quantités énormes de fourrage, fournir de l’eau potable en grande quantité, construire des centaines de milliers d’étables, former des milliers de vétérinaires.»Cela représenterait 1,5 fois le budget total de l’Inde pour la défense, et près de 35 fois ce que le gouvernement fédéral et les États dépensent actuellement pour l’élevage et l’exploitation laitière», affirme Vikas Rawal

Si une famille devait garder toutes ses bêtes non productives, les villageois cesseraient de travailler dans l’élevage, au détriment de l’exploitation laitière indienne qui est la plus importante au monde, avec 155 millions de litres par jour, insiste le professeur.

Des primes pour la sauvegarde des vaches errantes

La protection de la vache est vivement défendue par les dirigeants du BJP, dont Yogi Aditynath, un moine hindou à la tête de l’État de l’Uttar Pradesh, le plus peuplé du pays. L’Uttar Pradesh a ainsi alloué, le 8 février 2019, 6’740 millions de roupies (96 millions de dollars) pour l’entretien des abris des vaches au cours de l’année prochaine. Cette annonce survient alors que, selon les statistiques officielles, plus de 2,1 millions de diplômés sont sans travail dans l’Etat.

En janvier, Ashok Gehlot, le ministre en chef de l’État du Rajasthan, du parti du Congrès, a annoncé que tous ceux qui prendront en charge une vache errante recevront une compensation financière du gouvernement, le Jour de la République (26 janvier) et le Jour de l’Indépendance (15 août).

On ignore les pauvres

Cette évolution est vivement dénoncée par de nombreux responsables politiques et religieux. Mehbooba Mufti, ancien ministre en chef de l’État de Jammu et Cachemire dans le nord du pays, confie que cette ‘triste tendance’ à marginaliser ceux qui ne vénèrent pas les vaches effraye les minorités religieuses, à commencer par les chrétiens et les musulmans, qui sont généralement vus comme des mangeurs de bœufs.

Le Père Jaison Vadassery, de la commission épiscopale pour le travail, regrette que la politique indienne soit aussi communautariste et appelle à se concentrer davantage sur le développement économique. «Ces questions sensibles ont pris toute la place et on ignore les pauvres. Cela ne conduira nulle part», souligne-t-il. «On demande aux gens de prendre soin des vaches errantes dans un pays où plus de deux millions de personnes dorment dans la rue, et où trois fermiers se suicident toutes les heures à cause de leur endettement», dénonce Rity Dhaman, un jeune militant de New Delhi.

Multiplication des attaques

Fakir Kumar Bhagat, un militant Dalit (intouchables) de New Delhi, estime que psychologiquement, le fait de faire passer les vaches avant les hommes incite les activistes pour la protection des vaches à multiplier les attaques. Il affirme que certains gouvernements d’États ont autorisé la police à perquisitionner les maisons des musulmans et des chrétiens afin de contrôler s’ils mangeaient de la viande de bœuf.

Les hindous représentent 80 % de la population indienne, les musulmans 14% et les chrétiens 2,3%. (cath.ch/eda/mp)

Un troupeau de vaches sacrées en Inde (photo Flickr Philofoto CC BY-NC-ND 2.0)
3 mars 2019 | 11:31
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 3 min.
BJP (19), Inde (260), vache sacrée (6)
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