Trois représentants du Comité exécutif de la PFIR de Genève (de g. à dr.): Mahomed Levrak, vice-président, Hafid Ouardiri, cofondateur, et Martine Sumi-Viret, présidente dans leur bureau de la Maison des associations de Genève | © Lucienne Bittar
Suisse

La Plateforme interreligieuse de Genève: 30 ans de dialogue

Les religions ne sont pas uniquement des fauteuses de troubles! En valorisant la diversité et le dialogue interconfessionnel dans le canton de Genève et sa région, la Plateforme interreligieuse de Genève (PFIR) rappelle depuis 30 ans que leur vocation première est de porter un message de paix, de solidarité et d’espérance. Ce qui ne va pas toujours sans mal. Rencontre avec trois membres de son Comité exécutif.

Il n’est pas un jour sans que des actualités fassent état de tensions entre religions. Voire même soulignent leur responsabilité dans le maintien de conflits armés, comme dans le cas du positionnement de l’Église orthodoxe russe face à l’invasion de l’Ukraine. Comment inverser la vapeur? En cultivant l’esprit de dialogue entre croyants de différentes religions, instauré par la première «Journée mondiale de prière pour la paix» du 27 octobre 1986 à Assise, et en formant les esprits à la re-connaissance mutuelle.

C’est la ›guideline’ de la Plateforme interreligieuse de Genève (PFIR) depuis sa création en 1992. Inspiré par son expérience autour du dialogue œcuménique, le pasteur Jean-Claude Basset, alors responsable du Centre protestant d’études et de documentation à Genève, a voulu étendre cette dynamique aux religions. S’y sont ralliés dès le départ la Communauté juive libérale, le Centre bouddhiste international, l’Église protestante, l’Église catholique romaine et la Fondation culturelle islamique.

25 communautés au sein de la plateforme

Aujourd’hui la Plateforme réunit 25 communautés ou associations représentatives de la plupart des tendances religieuses et traditions présentes dans le canton. Parmi elles, les bahaïs, les catholiques chrétiens, les orthodoxes, les quakers, les hindous…

Mais la Plateforme n’est pas uniquement un lieu de dialogue entre responsables d’institutions. Elle est devenue au fil des années un interlocuteur reconnu des autorités politiques et un acteur de la société civile. Consciente du rôle culturel majeur des religions dans l’espace public, elle organise ou participe chaque année à des événements ouverts à tous, croyants de toutes confessions ou non-croyants. Sa «Nouvelle charte» adoptée en 2014 souligne d’ailleurs «l’importance de développer des liens entre les différentes composantes de la société» pour, notamment, «mettre en œuvre les valeurs de paix, de solidarité et de partenariat», «développer une éthique sociale et bâtir un socle d’actions communes et intergénérationnelles afin de contribuer au mieux vivre-ensemble».

Certaines questions rallient facilement toutes les communautés, comme la nécessité d’agir face aux défis environnementaux (un groupe d’éco-spiritualité réfléchit aux liens que l’on peut tisser entre son engagement spirituel et celui pour la Terre et le Vivant). Réaliser ces objectifs ne coule pas de source, comme en témoignent trois responsables de la Plateforme: sa présidente protestante Martine Sumi-Viret, son vice-président Mahomed Levrak, directeur adjoint de la Fondation culturelle islamique de Genève, et l’un de ses membres fondateurs, Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-connaissance.

En 1992, au moment de la fondation de la Plateforme, les Suisses se sont trouvés confrontés à l’arrivée de nombreux réfugiés musulmans, venus de l’ex-Yougoslavie. Apprendre à vivre ensemble ne s’est pas déroulé sans heurts. Aujourd’hui, sur les trois représentants de la Plateforme présents à notre petite réunion, vous êtes deux musulmans. Est-ce à dire que l’enjeu reste particulièrement de taille pour votre confession?
Hafid Ouardiri: Dans les années 90 et avant, tout et n’importe quoi se disait sur l’islam. Il était très difficile pour les musulmans d’avoir voix au chapitre, de parler pour eux-mêmes. Ils étaient donc souvent les premiers à répondre aux invitations de dialogue. Aujourd’hui, ce n’est plus la même urgence pour les musulmans. Mahomed Levrak et moi-même avons répondu aujourd’hui à l’invitation de la Plateforme en nos qualités respectives de vice-président de la PFIR et de membre cofondateur.

«Dans les années 90 et avant, tout et n’importe quoi se disait sur l’islam.»

Hafid Ouardiri

Martine Sumi-Viret: Les autres membres du Comité exécutif ont décliné l’invitation, car ils sont très occupés à préparer avec leur communauté la journée de fête de ce dimanche. Le Comité exécutif, renouvelé il y a plus d’une année, souhaite en effet que les membres collectifs de la Plateforme participent davantage à l’organisation d’événements, pour que le travail ne repose plus uniquement sur quelques personnes très actives. Cela dit, je pense que la présence en Suisse des musulmans issus de l’immigration continue à nécessiter un dialogue attentif et bienveillant à l’intérieur même de la Plateforme où cinq communautés musulmanes sont représentées.

Toutes les grandes religions disent rechercher la paix. Quand on voit comment le champ «religieux» est pris en otage entre ceux qui souhaitent l’instrumentaliser et ceux qui veulent sa disparition, on est tenté de dire que cette espérance est une utopie. Faudrait-il uniquement entendre la paix intérieure que la foi peut procurer?
Hafid Ouardiri: Certainement pas, la foi induit une responsabilité vis-à-vis de la société et de l’autre. Quel rapport ais-je avec Dieu si je ne vais pas à la rencontre de l’autre, quelle que soit sa culture ou sa langue?
De fait, on s’interroge depuis toujours au sein de la Plateforme à comment ne pas faire de l’entre-soi. Le nom de plateforme interreligieuse sous-entend que ceux qui n’ont pas de religion ne sont pas concernés. Mais la foi en elle-même n’exclut personne. Ce sont ceux qui la pratiquent qui peuvent exclure les autres. Il nous faut, à mon avis, plus culturaliser la religion, pour amener ceux qui ne passent pas par la foi ou qui sont braqués contre les religions à s’y intéresser. La Plateforme est donc appelée à dépasser le dialogue de convenance pour parler aussi des sujets qui divisent. Par exemple, répondre par une parole commune aux allégations qui présentent l’islam comme une religion porteuse de violence.

Martine Sumi-Viret: La Plateforme s’appellerait différemment sans doute si elle était créée aujourd’hui. Un certain nombre de nos membres collectifs ne se considèrent pas comme affiliés à une religion. Finalement, notre fonctionnement est très Suisse. Chacun vient avec ses particularités et nous essayons de trouver ce qui nous unit, pour dépasser nos divergences et présenter une parole commune. Évidemment, comme l’a souligné Hafid, cela ne se passe pas toujours sans tensions. Par exemple, notre participation en tant que Plateforme à la célébration interreligieuse à la cathédrale St-Pierre pour la Journée mondiale de lutte contre le sida du 1er décembre, organisée par PVA (Personne vivant avec), ne plaît pas à tout le monde.
La votation sur la loi de la laïcité a été un autre moment délicat. J’aimerais souligner les mérites de cette loi qui exige que l’école publique obligatoire consacre un temps d’enseignement au fait religieux. La réalisation de ce projet est une joie pour la Plateforme qui s’y est engagée. Les enfants qui auront l’opportunité de suivre ces cours seront plus familiarisés au vivre ensemble. C’est un pas en avant pour lutter contre l’analphabétisme religieux.

«Notre fonctionnement est très Suisse. Chacun vient avec ses particularités et nous essayons de trouver ce qui nous unit.»

Martine Sumi-Viret


Hafid Ouardiri: Cela me renvoie à ce que Dominique Föllmi, conseiller d’État genevois de l’Instruction publique dans les années 80, avait déclaré: «Nos écoles souffrent d’analphabétisme spirituel.» C’est au religieux de comprendre la dimension spirituelle de la foi pour intégrer au maximum les gens.

Mahomed Levrak: Pour en revenir à votre question, j’aimerais souligner que beaucoup des activités de la Plateforme sont tournées vers la société civile. Certains chantiers touchent l’ensemble des communautés, comme le financement des aumôneries par les autorités publiques, remis en question par le Conseil d’État. À mes yeux, seule la Plateforme, qui est reconnue comme un partenaire par les communes et le canton, a une légitimité pour traiter ces questions face aux autorités cantonales. Une demande collective qui émane de la Plateforme a plus de chance d’être entendue que si elle provient d’une seule communauté.

«Une demande collective qui émane de la Plateforme a plus de chance d’être entendue que si elle provient d’une seule communauté.»

Mahomed Levrak

Comment envisagez-vous la transmission des racines religieuses à l’extérieur et entre membres de la Plateforme? Privilégiez-vous l’interreligieux pratique plutôt que l’échange académique?
Martine Sumi-Viret: On peut dire ça. Nous souhaitons surtout partager avec la collectivité ce qui individuellement et collectivement donne du sens et de la force à nos vies. Ce n’est peut-être pas pour rien si la Plateforme est née à Genève, ville d’accueil pour les Huguenots au temps de la Rome protestante. Pour que l’esprit de Genève perdure, il faut offrir à ceux qui s’établissent dans notre canton pour une raison ou une autre, la possibilité de s’installer avec leurs racines, mais aussi de s’en créer de nouvelles.
Sur le plan interne à la Plateforme, le dialogue au niveau de nos croyances respectives n’est plus aussi intense qu’au début. Nous nous reposons sur une expérience que nous savons solide. Il arrive tout de même qu’une communauté invite les autres membres à partager un temps de rencontre.

Mahomed Levrak: Oui, continuer à se découvrir mutuellement entre religions reste nécessaire. C’est ce que propose au niveau national le projet Dialogue en route de la Plateforme Iras Cotis. Des visites avec un guide sont organisées dans une synagogue, une mosquée, un musée, etc. pour permettre à chacun d’approcher la pluralité culturelle et religieuse de la Suisse et de mieux comprendre le rôle de la culture et des religions dans l’histoire.

«Ce n’est peut-être pas pour rien si la Plateforme est née à Genève, ville d’accueil pour les Huguenots au temps de la Rome protestante.»

Martine Sumi-Viret

Hafid Ouardiri: Il ne faut cependant pas se le cacher. Si la foi n’empêche pas d’aborder les sujets qui fâchent, elle ne résout pas tout non plus! Il y a parfois des tensions entre nos membres eux-mêmes par rapport à des événements qui se produisent ailleurs dans le monde. Cela a été le cas il y a deux ans autour des incendies d’églises coptes en Égypte. La médiation de la Plateforme n’a pas suffi à remédier aux dissensions entre deux de ses membres et l’Église copte a fini par quitter notre association. Nous avons encore un travail à faire au sein même de la Plateforme autour de ce qui nous unit et de ce qui, parfois, nous met en confrontation les uns aux autres. (cath.ch/lb)

«Dieu est-il misogyne?»
Certainement pas, mais ses saints sans aucun doute, serions-nous tentés de répondre à la suite de Stephan Rabinovitch, qui a réalisé en 2019 ce documentaire au titre accrocheur! Sa projection a été organisée par l’association DiversCités et par la Plateforme interreligieuse de Genève (PFIR) le 3 septembre à Genève, devant une salle comble, et a fait l’objet d’un débat avec le public, en présence du président et de la présidente respectifs de ces deux associations, Ali Agraniou et Martine Sumi-Viret qui a participé la création du premier Bureau de l’égalité en Suisse, celui de Genève.
Le documentaire interroge la place des femmes au sein des différentes institutions monothéistes. Les images des espaces où s’affiche le pouvoir religieux, notamment celles des assemblées des cardinaux au Vatican, sont saisissantes tant les hommes y brillent par leur omniprésence. Stephan Rabinovitch a donc pris le parti de donner largement la parole à des femmes établies en France.
Qu’elles soient juives, chrétiennes ou musulmanes, elles y questionnent l’ordre patriarcal véhiculé par les religions et invitent à une relecture non discriminatoire des textes sacrés, notamment ceux de la Genèse. L’accès des femmes au sacerdoce est particulièrement interrogé. On retrouve, côté catholique, la théologienne Paule Zellitch, cofondatrice de l’Atelier de lecture biblique, et Maude Amandier et Alice Chablis, co-auteures de Le déni.
> Prochaine projection: jeudi 10 novembre à 11h00 à la salle Rachel Carson. LB

Religions et spiritualités en fête
Pour célébrer ses 30 ans, la PFIR organise, dimanche 6 novembre, une journée de rencontres et de fête, avec des concerts, une conférence du professeur Olivier Bauer sur le thème «Religions et alimentation – se comprendre autour du repas», un buffet interculturel, un débat «30 ans de dialogue interreligieux à Genève, et maintenant?» introduit par le théologien Jean-Claude Basset. Les enfants ne sont pas oubliés. Des animations les attendent tout au long de la journée. LB

Trois représentants du Comité exécutif de la PFIR de Genève (de g. à dr.): Mahomed Levrak, vice-président, Hafid Ouardiri, cofondateur, et Martine Sumi-Viret, présidente dans leur bureau de la Maison des associations de Genève | © Lucienne Bittar
4 novembre 2022 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture: env. 8 min.
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