Sœur Marie-Dominique (à d.), avec une consœur, au monastère de la Visitation à Fribourg | © Vera Rüttimann
Suisse

La Visitation à Fribourg: un monastère au cœur du monde

Sainte Jeanne de Chantal est née un 23 janvier, il y a 450 ans. En 2022, neuf sœurs salésiennes vivent dans le monastère des Visitandines à Fribourg. Parmi elles, Sœur Marie-Dominique, depuis 69 ans. Elle en est toujours convaincue: elle a vraiment «sa place ici».

Vera Rüttimann, kath.ch / traduction et adaptation, Grégory Roth

Le monastère des Visitandines se trouve à la Rue de Morat 16, à Fribourg. Juste à côté du Musée d’art et d’histoire (MAHF), pourtant, il faut bien le chercher. De l’extérieur, rien n’indique qu’il s’agit d’un édifice religieux. Juste une porte, une plaque nominative et une sonnette sur cette maison, située dans une rue très fréquentée.

Les Visitandines, également appelées Salésiennes, sont arrivées de Besançon en 1635. Elles ont fui la guerre de Trente Ans et ont cherché asile en Suisse. Elles l’ont d’abord trouvé à Fribourg, dans un bâtiment hors des murs de la ville. Plus tard, elles ont emménagé dans une maison d’une famille bourgeoise à la rue de Morat.

A la porte du monastère de la Visitation à Fribourg | © Vera Rüttimann

C’est Sœur Marie-Dominique, nonagénaire, qui sert de guide. Elle présente d’abord la magnifique église circulaire, construite en 1653 d’après les plans de Jean-François Reyff. «Elle compte parmi les constructions les plus importantes de cette époque», dit-elle fièrement. L’intérieur somptueux de l’église rappelle, par son plan, le blason de l’ordre des Visitandines. Les autels latéraux représentent Saint François de Sales et Sainte Jeanne de Chantal, les deux fondateurs de leur ordre. 

450e anniversaire de la naissance de sainte Jeanne de Chantal

En 2022, les communautés salésiennes fêteront deux anniversaires : d’une part, le 23 janvier, ce sera le 450e anniversaire de la naissance de sainte Jeanne de Chantal. D’autre part, le 28 décembre, la communauté commémorera le 400e anniversaire de la mort de saint François de Sales. La communauté religieuse met à disposition des informations à ce sujet sur son propre site web.

69 ans: «une très longue période» de présence

En 1953, Sœur Marie-Dominique entre au couvent des Visitandines – cinq semaines après avoir terminé sa formation de maîtresse d’école enfantine chez les Ursulines au pensionnat St-Agnès à Fribourg. C’est d’abord chez ces sœurs-là que la native de Lachen se sent appelée, mais elle est encore plus attirée par un couvent fermé. «Cela fait maintenant 69 ans que je suis ici. C’est une très longue période», dit-elle en riant.

Sœur Marie-Dominique, depuis 69 ans au monastère de la Visitation à Fribourg | © Vera Rüttimann

La salésienne de 90 ans connaît l’histoire mouvementée de la fondation de son ordre. Jeanne-Françoise de Chantal est mère de six enfants. En 1601, son mari meurt des suites d’un accident de chasse. Le 5 mars 1604, la Savoyarde rencontre l’évêque genevois François de Sales, et une amitié spirituelle se développe entre des deux. Lorsque François de Sales veut fonder un ordre féminin, il pense aussitôt à Jeanne-Françoise qui, depuis la mort de son mari, désire entrer dans un couvent.

Le 6 juin 1610, Jeanne-Françoise fonde, avec François de Sales, l’ordre des Sœurs de la Visitation de Marie, connues sous le nom de Salésiennes. Elle décède le 13 décembre 1641 et est canonisée, Jeanne de Chantal, en 1767.

Prier pour les enfants du monde

Dès le début, Marie-Dominique est attirée par l’approche contemplative de ce monastère. «Nous sommes là dans la prière pour Dieu et pour les hommes», explique la religieuse. Les réfugiés et les enfants des rues lui tiennent particulièrement à cœur. «Il est de notre devoir de les emmener avec nous dans la prière». Elle aurait peut-être pu devenir institutrice de maternelle à Fribourg, mais par, par la prière au monastère, elle peut ainsi atteindre les enfants du monde entier

François de Sales a fondé ce monastère pour les personnes ayant des problèmes de santé et ne pouvant pas aller dans un monastère strictement fermé. En outre, le couvent était également ouvert aux «personnes qui changent de voie». «Sainte Jeanne est femme qui est entrée dans un monastère en tant que veuve, explique sœur Marie-Dominique. Quand je suis entrée au couvent, il y avait trois veuves avec moi. Elles avaient toutes eu des enfants. Ces trois femmes ont beaucoup enrichi les autres sœurs du couvent, parce qu’elles y ont apporté des expériences du monde extérieur».

L’entrée de église de la Visitation, à la Rue de Morat, Fribourg | © Vera Rüttimann

La «diane» à la crécelle

Le quotidien de cette religieuse, encore pleine de vitalité, est rythmé par différents temps de prière, de méditation et de silence. Il y a quelques années encore, elle devait se lever à cinq heures du matin pour son temps de prière. «Une sœur nous réveillait avec une crécelle», raconte la nonagénaire.

Pendant 35 ans, sœur Marie-Dominique travaille de nombreuses heures par jour dans la blanchisserie du couvent. Le linge provient d’hôtels, d’églises et d’écoles de la ville de Fribourg. Repasser, étuver, plier, etc. Le travail est souvent dur et fait transpirer. «En été, il faisait très chaud. Nous étions souvent complètement trempées», se souvient-elle.

«Nous avons été les premières sœurs de Suisse romande à enlever les grilles de la porte».

Selon elle, la vie dans ce couvent n’a pas toujours été facile. «Il y a aussi eu des jours où l’on n’était pas très bien», avoue ouvertement Sœur Marie-Dominique. Pourtant, elle n’a jamais connu de crises fondamentalement profondes au couvent. «C’est une grâce». Enfant, elle n’était en effet pas particulièrement pieuse. «J’allais plutôt avec les garçons», dit-elle en riant. Mais le désir de se marier, elle ne l’a jamais eu. En revanche, d’avoir ses propres enfants lui a beaucoup manqué.

Le dentiste à domicile

Au cours de sa vie de salésienne, la Schwytzoise d’origine traverse différentes phases. Parmi lesquelles, «la lente ouverture de notre couvent sur le monde», comme elle dit. «Nous avons été les premières sœurs de Suisse romande à enlever les grilles de la porte». De nombreuses années durant, elle accueille elle-même des hôtes à la porte et les réconforte par son attitude chaleureuse et son humour.

Sœur Marie-Dominique montrant la croix pectorale des Salésiennes | © Vera Rüttimann

Mais lorsque sœur Marie-Dominique arrive au couvent, pas question d’y penser. Le portail est grillagé, les sœurs ne font guère un seul pas en dehors de la porte. «Le dentiste devait nous rendre visite de l’extérieur lorsqu’une sœur avait mal», raconte Marie-Dominique.

La fille de Staline hébergée

Sœur Marie-Dominique se souvient encore très bien d’un hôte particulier. C’était en 1967, lorsque Svetlana, la fille de Joseph Staline, a été hébergée ici. Elle voulait faire une retraite de quelques semaines chez les sœurs salésiennes et s’est rendue à la clôture. Au début, les sœurs n’ont rien vu d’extraordinaire puisque, régulièrement, des femmes demandaient à faire une retraite au couvent.

«C’est une drôle de dame, m’a dit un jour une consœur».

«Ce qui nous a semblé étrange, c’est qu’on nous a dit qu’il ne fallait pas lui poser de questions», se souvient sœur Marie-Dominique. Elle venait de temps en temps à la messe, mais mangeait toujours seule. «C’est une drôle de dame, m’a dit un jour une consœur. Mais ce n’est que plus tard que nous avons appris que Svetlana était la fille de Staline», décrit la salésienne âgée. «Plus tard, elle a écrit un livre dans lequel elle a noté que le temps passé au couvent des salésiennes avait été la plus belle période de sa vie, parce qu’elle y avait trouvé la paix».

Promenades au bord de la Sarine

Depuis quelques années, les sœurs ne vivent plus aussi enfermées. Elles participent à la messe dominicale à l’église et entretiennent des contacts avec l’extérieur. «Nous avons commencé à inviter les gens qui assistaient à la messe à prendre un café chez nous, au premier étage. Cela nous a permis de nous faire des amis tout autour de nous», raconte-t-elle.

«On ne peut pas maintenir un couvent avec seulement des sœurs âgées».

Les salésienne aiment aussi sortir le couvent de temps en temps pour prendre l’air. Surtout que le trafic à la Rue de Morat a fortement augmenté. «Nous faisons des promenades le long de la Sarine et des vacances dans notre chalet en Gruyère. Cela nous fait beaucoup de bien», dit Sœur Marie-Dominique. Lorsque des salésiennes de l’étranger sont venues leur rendre visite, elle leur a volontiers fait découvrir la magnifique vieille ville de Fribourg.

Pas d’avenir pour le couvent

Le couvent devra probablement fermer ses portes dans quelques années, lâche Sœur Marie-Dominique. La plus jeune, la supérieure Sœur Colette, a 67 ans. «On ne peut pas maintenir un couvent avec seulement des sœurs âgées», ajoute-t-elle avec tristesse, mais avec calme. Le vieillissement des communautés monastiques en Europe est malheureusement inéluctable.

Vient l’heure de la prière de midi, à l’église. Sœur Marie-Dominique apprécie beaucoup les rayons de soleil qui traversent la coupole et viennent se refléter sur le sol. Elle lève les yeux au plafond et dit : «Plus je vieillis, plus je réalise que j’ai vraiment ma place ici». (cath.ch/kath/vr/gr)

Sœur Marie-Dominique (à d.), avec une consœur, au monastère de la Visitation à Fribourg | © Vera Rüttimann
23 janvier 2022 | 16:38
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 6 min.
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