L'église catholique du Saint-Sauveur ou cathédrale de Xishiku, à Pékin, été construite par les jésuites en 1703 | Flickr Gene Zhang CC-BY-2.0
International

L'accord 'historique' entre la Chine et le Saint-Siège ouvre nombre de questions

La Chine et le Saint-Siège ont annoncé le 22 septembre 2018 la signature d’un accord provisoire concernant la nomination des évêques. Cet accord devrait mettre fin à la division entre l’Eglise officielle et l’Eglise clandestine. Mais en l’état, cette annonce ouvre plus de questions qu’elle n’offre de réponses.

Le cardinal Joseph Zen, opposant historique de tout accord avec Pékin, relève que «le communiqué tant attendu du Saint-Siège est un chef-d’œuvre de créativité en ne disant rien avec autant de mots.» Commentant la nouvelle, Greg Burke, directeur de la Salle de presse du Saint-Siège note qu’il s’agit «de permettre aux fidèles d’avoir des évêques en communion avec Rome mais, dans le même temps, reconnus par les autorités chinoises». Il souligne que l’objectif de cet accord n’est pas politique mais pastoral et qu’il s’agit du début d’un processus. Pour un accord dont on parle depuis des années, les analystes et les commentateurs en sont donc quittes à des conjectures. Et l’affaire tient un peu du casse-tête…chinois. Tentative d’éclairage:

«Des évêques élus par le peuple?»

Quelles modalités concrètes pour la nomination des évêques chinois ?

Les modalités concrètes pour la nomination des évêques en Chine restent l’interrogation principale. Un système ‘démocratique’ avec l’élection de l’évêque par une assemblée de prêtres ou de fidèles est un des modèles possibles. Les Chinois soumettraient ensuite à Rome un ou plusieurs candidats à l’épiscopat. Rome devrait alors approuver ce choix. Ce système qui a prévalu dans nombre de régions d’Europe jusqu’au XXe siècle, et qui persiste notamment dans certains diocèses de Suisse et d’Allemagne, présente l’avantage d’être éprouvé. Mais le problème de l’influence directe de l’autorité civile persiste. Quel rôle jouerait dans ce cadre l’Association patriotique des catholiques chinois, contrôlée par le gouvernement de Pékin?

Le système inverse où Rome proposerait à la Chine un choix de candidats est une alternative. Notons que, là aussi l’approbation par l’Etat existe encore pour une douzaine de pays, dont la France pour les diocèses d’Alsace-Lorraine.

Jeu de casse-tête | wikimedia commons Alexander Hermes CC BY-SA 3.0

Cet accord signifie-t-il la fin du schisme?

En prévoyant une unique hiérarchie épiscopale, l’accord devrait permettre la fin du schisme entre l’Eglise officielle reconnue par Pékin et l’Eglise dite clandestine. Sauf que, sur le terrain, la situation est beaucoup plus complexe. Selon les provinces et les diocèses, le poids respectif et l’influence des deux Eglises sont très variables et la surveillance des autorités plus ou moins pesante. En maints endroits, l’Eglise clandestine a pignon sur rue et possède une influence plus forte que l’Eglise officielle. De fait depuis plusieurs années, la plupart des évêques étaient déjà consacrés avec l’accord tacite de Rome et de Pékin.

«L’accord entre Rome et Pékin risque de les radicaliser encore plus les clandestins»

Le scénario d’une Eglise officielle qui absorberait l’Eglise clandestine est vivement combattu par cette dernière. Selon le témoignage d’un prêtre de Hong Kong rapporté par Dorian Malovic, dans La Croix: «Ce clivage demeure très fort au sein de nombreuses communautés catholiques – qui pourraient représenter jusqu’à 30 % des fidèles chinois – qui ont toujours refusé l’autorité politique communiste. L’accord entre Rome et Pékin risque de les radicaliser encore plus, et de marquer une plus forte rupture à l’intérieur de l’Église catholique de Chine, alors qu’elle s’était atténuée depuis plusieurs années. Certaines communautés vont se sentir délaissées et oubliées par Rome».

Le sort des évêques

Concrètement, le pape a accepté de lever l’excommunication qui pesait sur sept évêques chinois ordonnés sans mandat pontifical, les réintégrant ainsi dans la pleine communion de l’Église. Le communiqué ne dit cependant rien de leur statut. Leur juridiction sur leur diocèse est-elle reconnue de facto? Ou devra-t-elle faire l’objet de négociations notamment lorsqu’il existe deux évêques pour une même juridiction? Les évêques clandestins seront-ils en contrepartie reconnus par Pékin?

Le cas de Mgr Joseph Guo Jincai, secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques de Chine, organe de l’Église officielle, et évêque officiel de Chendge fera-t-il jurisprudence? Celui-ci voit en effet officiellement reconnaître son diocèse de Chengde, crée en 1955 par les autorités chinoises mais non reconnu jusqu’ici par le Saint-Siège.

«Le risque principal réside dans la ‘sinisation’ des religions»

L’accord signifie-t-il un progrès pour la liberté religieuse en Chine?

L’accord provisoire entre le Saint-Siège et Pékin permet-il une réelle avancée de la liberté religieuse dans le pays? Pour les opposants, la volonté du gouvernement chinois d’exercer un contrôle sur la religion catholique n’est en rien remise en cause par cet accord. Si les fidèles verront probablement renforcé leur droit de pratiquer librement leur foi, l’Eglise ne bénéficiera certainement pas de la liberté de s’organiser de manière autonome, ni celle de développer ses activités éducatives et sociales par exemple. En acceptant de partager le pouvoir de nomination des évêques, le gouvernement chinois fait certes une concession importante, mais cela ne garantit en rien davantage de liberté pour l’Eglise. Le risque principal réside dans la ‘sinisation’ des religions à laquelle veut aboutir le régime. Pour les opposants, cela conduirait à une mainmise du Parti communiste sur une Église vidée de son contenu spirituel.

La fin des persécutions?

Ces dernières années, les actions zélées de certaines autorités locales chinoises ou de l’administration des religions contre toute velléité d’autonomie des chrétiens ont créé de nombreuses tensions. On se souvient, entre autres, de destructions d’églises ou de croix, mais aussi d’arrestations de pasteurs et de fidèles ou de mise en résidence surveillée de certains évêques. L’accord sera-t-il suffisant pour rétablir une certaine confiance et permettre aux catholiques de se défendre? Et au Vatican d’intervenir le cas échéant?

«Pour la Chine, les 12 millions de catholiques du pays ne pèsent pas lourd»

Une victoire pour la Chine

Incontestablement, cet accord est une victoire diplomatique chinoise. Pour la Chine, les 12 millions de catholiques du pays ne pèsent pas lourd, mais la signature d’un accord avec le Vatican revêt une grande importance et lui donne une crédibilité supplémentaire sur la scène internationale. La figure du pape François, qui apparaît comme l’antithèse de la volonté hégémonique du président Trump, est un excellent appui. «Pour Xi Jinping, se poser en champion du multilatéralisme et du dialogue face à Donald Trump vaut bien une messe», estime Nicolas Senèze dans La Croix.

Pékin n’a pas conditionné la signature de cet accord à la rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et le frère ennemi de Taïwan. Raison pour laquelle notamment le Saint-Siège insiste sur le caractère pastoral de ce texte. L’accord permet néanmoins à Pékin de marginaliser un peu plus Taïwan dans le concert des nations. (cath.ch/mp)

L'église catholique du Saint-Sauveur ou cathédrale de Xishiku, à Pékin, été construite par les jésuites en 1703 | Flickr Gene Zhang CC-BY-2.0
24 septembre 2018 | 17:31
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 5 min.
Partagez!