L'éléphant fut offert au pape Léon X par le souverain portugais Manuel 1er en 1514. Dessin, crayon et encre, vers 1514 - 1516. D'après Raffael | Wikimedia commons
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L'éléphant du pape, entre sagesse et exotisme 3/4

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La découverte en 1962, à l’occasion de la modernisation d’un système de chauffage au Vatican, des restes d’un éléphant surprend tout le monde. Comment un pachyderme s’est-il retrouvé enterré au Vatican et comment est-il arrivé jusque-là?

1962. Alors que l’Église catholique s’apprête à lancer son aggiornamento en réunissant le Concile Vatican II, des ouvriers italiens s’activent sur un tout autre chantier dans le plus petit État du monde: la modernisation d’un système de chauffage devenu très obsolète. En creusant dans la cour du Belvédère, les terrassiers tombent sur un os. Puis une grande dent. Rapidement, on découvre que ces fragments de squelette appartiennent, à la surprise de tous, à un pachyderme qu’on a enterré là, au beau milieu du Vatican.

Silvio Bedini, historien américain intrigué par cette affaire, va mener une longue enquête pour comprendre comment un éléphant a pu arriver jusqu’ici. En 1997, il sort un ouvrage qui raconte la fabuleuse histoire d’Hanno, un éléphant venu d’Inde jusqu’au cœur de Rome.

Un cadeau diplomatique

Bien évidemment, cet éléphant blanc n’a pas atterri par hasard dans la Ville éternelle. Il est offert en guise de cadeau diplomatique par Manuel Ier, souverain du Portugal, au pape Léon X, en 1514. À cette époque, le Portugal souhaite consolider sa domination sur le commerce des épices et sur la route des Indes, et soigne donc ses relations diplomatiques. Pour féliciter le fils de Laurent de Médicis pour son élection au trône de saint Pierre – et se faire bien voir de ce grand amateur d’arts et de fêtes – le royaume lusitanien envoie une panoplie de présents, en particulier une dizaine d’animaux rares… dont le jeune pachyderme venu d’Inde.

En Italie, l’arrivée de l’animal exotique ne laisse à l’époque personne indifférent. La Péninsule garde encore la mémoire d’Hannibal et de ses éléphants de guerre qui traversèrent les Alpes en 218 avant Jésus-Christ pour marcher sur Rome… sans succès.

Cependant, le 19 mars 1514, la délégation arrive bel et bien à Rome après avoir drainé un grand nombre de spectateurs désireux d’admirer le mammifère. Le succès est total. À tel point qu’il donnera l’idée à Manuel Ier d’envoyer l’année suivante au pape un rhinocéros. Malheureusement pour la bête, elle sera victime d’une tempête en Méditerranée… et arrivera empaillée devant l’évêque de Rome.

Le «Testament de l’éléphant«

La présence d’Hanno au Vatican marque profondément la Ville éternelle et sa littérature. Après sa mort le 18 juillet 1516, le Bestiaire du pape raconte qu’une «féroce satire» s’est répandue à Rome sous la forme d’un testament dictée à la première personne par un éléphant. Dans ce texte qui est attribué à  Pierre l’Arétin, le pachyderme explique léguer des parties de son corps aux différents cardinaux et institutions de la Curie romaine.

Chacun des ces legs – allant des nerfs aux mâchoires – est associé à des qualités morales. Par cet artifice, le «Testament de l’Eléphant» dénonce de manière très sarcastique tous les maux dont sont atteints la Curie. À titre d’exemple, l’animal dit léguer ses testicules à un haut prélat accusé d’avoir des relations avec une moniale.

Au-delà de ce texte lapidaire, le souvenir d’Hanno survécut au travers d’une œuvre d’art. Dans l’une des splendides estampes du mathématicien Sigismond Franti, le pachyderme est au centre d’un horoscope baptisé «Roue de l’éléphant». L’œuvre est dédiée à Clément VII, second pape Médicis.

L’éléphant et l’obélisque

L'éléphnat est sculpté par | © Jastroe/Wikipedia
L’éléphant situé place de la Minerve est sculpté par Ercole Ferrata à partir d’un dessin du Bernin | © Jastrow/Wikipedia

Au cours du XVIIe siècle, les textes rapportent la visite de deux autres éléphants à Rome sans toutefois qu’ils aient un lien avec les pontifes. Il faudra attendre la découverte du célèbre obélisque de la place de la Minerve – sous le pontificat d’Alexandre VII en 1665 – pour que l’animal soit de nouveau mis sur le devant de la scène par un pontife.

Pour mettre en valeur l’obélisque, le pape Chigi demanda à un savant connu pour sa connaissance de l’écriture égyptienne de lui fournir une interprétation. Ce jésuite du nom d’Anathase Kircher expliqua au pontife que cette colonne avait été consacrée par les Égyptiens au «génie suprême» dont le siège était fixé dans le soleil.

C’est finalement l’éléphant qui est choisi pour «supporter» cette forme de sagesse ancestrale. Il est sculpté par Ercole Ferrata à partir d’un dessin du Bernin. Sur le côté du monument, on peut d’ailleurs lire: «L’obélisque égyptien, symbole des rayons du soleil, est porté par l’éléphant du septième Alexandre comme un don. N’est-ce pas un animal sage?» Associé à Minerve, l’éléphant est aussi ici célèbre ainsi, pour les âges, le grand pouvoir du pape Alexandre VII. (cath.ch/imedia/cg/bh)

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L'éléphant fut offert au pape Léon X par le souverain portugais Manuel 1er en 1514. Dessin, crayon et encre, vers 1514 – 1516. D'après Raffael | Wikimedia commons
5 août 2021 | 17:00
par I.MEDIA

Cet été, I.MEDIA propose une série sur les papes et les animaux. Premier épisode : les chats et les chiens.

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