Lors de son voyage à Chypre et en Grèce, le pape François a rencontré des migrants | © EPA/VATICAN MEDIA/Keystone
Vatican

Les «migrants du pape»: les dessous d’un long processus administratif

Le 35e voyage apostolique du pape François à Chypre et en Grèce, du 2 au 6 décembre 2021, a été essentiellement consacré à l’immigration et à l’accueil. Deux jours avant le départ du Saint-Père, et à la demande de ce dernier, la communauté Sant›Egidio a fait venir sur sol italien 46 migrants en provenance de Lesbos (Grèce). Alors que le Vatican n’a ni consulat, ni politique migratoire, quels sont les dessous d’une telle opération?

En 2016, alors qu’il avait visité l’île de Lesbos, le pape était revenu au Vatican avec une douzaine de personnes. Un geste qu’il pourrait répéter à son retour de Chypre. Quelles dispositions permettent à François, à travers Sant’Egidio, ou à titre personnel, de ramener ces migrants en Italie?

Le pape agit en fait en tant que chef de l’Etat du Vatican et les Accords de Latran, signés en 1929 avec le royaume d’Italie, lui facilitent la tâche.

Complexe négociation tripartite

Avec environ un millier d’habitants, dont la moitié vit hors du Vatican, le plus petit État du monde n’a aucune politique d’immigration et ne dispose pas de sécurité sociale. Il ne peut accueillir d’étrangers que dans le cadre des Accords de Latran. D’abord, un travail préliminaire est effectué entre la Nonciature apostolique, l’ambassade du Saint Siège, l’Italie et le ministère de l’Intérieur des pays concernés, en l’occurrence, la Grèce et potentiellement la République de Chypre.

«Des personnes en règle» sont présélectionnées, précise Sant’Egidio. Elles disposent donc d’une demande d’asile ou d’une autorisation provisoire de séjour en bonne et due forme. Raison pour laquelle, en 2016, alors que l’opinion lui reprochait d’avoir «préféré des musulmans», le pape avait répondu «n’avoir pas eu le choix». Il «y avait deux familles chrétiennes mais qui n’étaient pas en règle», avait-il laissé entendre.

Les services secrets locaux certifient ensuite que les bénéficiaires ne «constituent pas un danger pour la sécurité». Selon plusieurs confidences concordantes, la liste tenue secrète jusqu’au dernier moment a été a été dressée mi-novembre par Mgr Savio Hon Tai-Fai, nonce apostolique à Athènes. Le prélat hongkongais l’a transmise à Secrétairerie d’Etat du Vatican qui a ensuite saisi l’Italie. Rome a enfin donné son accord avant que Sant’Egidio ne prenne le relais, «plutôt logistique», concède-t-on au siège de la communauté catholique.

Visas, démarches et options à l’arrivée

Les 46 migrants partis de Lesbos le 30 novembre n’ont eu besoin que d’un visa humanitaire, l’Italie étant membre de l’espace Schengen. Chypre ne faisant pas partie de cet espace de libre circulation, si François devait en ramener des migrants, il leur faudrait «une autorisation de passage» de l’espace Schengen à travers Frontex – sa force frontalière basée à Varsovie, en Pologne – en plus d’un visa délivré par le consulat de l’Italie à Nicosie. Les précieux sésames leur donneraient accès à l’espace Schengen, dont l’Italie est membre fondatrice.

«Notre défi est de conduire les migrants dans un délai raisonnable vers l’autonomie»

Communauté sant’Egidio

Selon les Accords de Latran – à l’exception des agents diplomatiques étrangers qui ont juste besoin d’une autorisation de la nonciature apostolique près de leur pays d’origine pour entrer sur le territoire italien vers le Vatican – tous les autres invités non européens du pape ont besoin d’un visa délivré par l’Italie.

Une fois à Rome, ces réfugiés devront introduire une autre demande exceptionnelle d’asile auprès de la Questura, police territoriale italienne, qui est censée accéder à leur requête «dans un bref délai». Cet acte les fait alors passer du statut de demandeurs d’asile, qu’ils avaient déjà à Lesbos ou à Nicosie, à celui de réfugiés. Ce qui leur accorde une protection internationale subsidiaire en contrepartie de laquelle ils s’engagent à ne pas retourner «jusqu’à nouvel ordre» dans leur pays de provenance. Ils disposeront ainsi de titres de séjours d’une durée de 10 ans. Une convention impose à l’Italie d’accepter sur son territoire «tout invité du Saint-Siège» et de lui garantir les avantages qu’elle concède à chacun de ses citoyens.

Intégration et perspectives pour ces migrants

Le pape est un chef d’État. A ce titre, il peut amener toute personne de son choix au Vatican. Ce bout de terre ne disposant ni de suffisamment de logements, ni d’institutions compétentes, l’Italie prend automatiquement le relais selon les Accords de Latran. Le pays garantit aux nouveaux réfugiés une aide individuelle, pour séjour et logement, d’environ 450 euros. «C’est deux fois plus que ce qu’on recevait en Grèce», se satisfait l’un d’entre eux.

D’autant que Sant’Egidio s’occupe en plus les loger dans des familles où les repas leur sont assurés. «Ils seront répartis dans toute l’Italie», a déjà réagi le Communauté fondée en 1968. Ses bénévoles mettent en branle leur plan d’intégration, notamment l’apprentissage de la langue et de la culture italienne.

«Notre défi est de les conduire dans un délai raisonnable vers l’autonomie» assure la communauté. Ce qui passe par une formation et un emploi. Selon Sant’ Egidio, «ceux arrivés en 2016 de Lesbos ont retrouvé leur autonomie au bout de quelques mois et sont totalement intégrés». Les migrants qui manifestent une intégration approfondie peuvent, au bout de quelques années, solliciter et obtenir la nationalité italienne, puisque la citoyenneté du Vatican n’est que provisoirement liée à un poste ou une mission. C’est notamment le cas des gardes suisses. (cath.ch/msc/bh/rz)

Lors de son voyage à Chypre et en Grèce, le pape François a rencontré des migrants | © EPA/VATICAN MEDIA/Keystone
6 décembre 2021 | 17:08
par Max Savi Carmel
Temps de lecture: env. 4 min.
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