Pourquoi tant d’hommes d’Eglise ont-ils aidé Touvier?

Lyon: Paul Touvier et l’Eglise (080192)

Lyon, 8janvier(APIC) La commision d’historiens chargée par le cardinal

Albert Decourtray, archevêque de Lyon, d’examiner les liens entre l’Eglise

et le milicien Paul Touvier, inculpé de crimes contre l’humanité, a rendu

son rapport le 6 janvier. Le document de 450 pages établit les faits et apporte quelques éléments de réponse à la question: pourquoi tant d’hommes

d’Eglise ont-ils aidé Touvier? Dans son édition du 7 janvier, le quotidien

français «La Croix» publie un dossier de 5 pages qui analyse cette affaire

complexe.

Paul Touvier, qui est né en Savoie dans une famille catholique de tendance réactionnaire (antidreyfusard), reçoit une éducation religieuse rigoureuse. C’est dans un esprit chrétien et par dévouement, prétend-il,

qu’il adhère en 1942 au Service d’Ordre Légionnaire (SOL) puis en 1943 à la

Milice de Lyon dans laquelle il restera actif après l’occupation allemande

de la zone libre. Le rapport démontre que pendant la guerre Paul Touvier

n’a aucun contact privilégié avec l’Eglise.

Aprés la Libération, Touvier est condanmé à mort par contumace en 1946.

Il entre alors dans la clandestinité et trouve refuge dans des milieux ecclésiatiques qui se conforment à la mission traditionnelle d’asile. Position qui peut se défendre dans la mesure où pendant cette période troublée,

justice et réglements de comptes ne sont pas toujours clairement distincts.

Le réseau des relations ecclésiastiques

Arrêté en 1947 à Paris, Paul Touvier parvient à s’évader des locaux des

Renseignements Généraux et trouve refuge à l’église Ste-Clotilde où un prêtre accepte de l’aider.

En 1949, Touvier retourne à Chambéry où il reçoit le soutien matériel et

moral d’une quinzaine de prêtres de diverses congrégations. Aprés l’avénement de la Ve République en 1958, plusieurs ecclésiatiques dont Mgr Duquaire, secrétaire du cardinal Gerlier, entreprennent des démarches pour obtenir pour Paul Touvier la grâce présidentielle. Refus cinglant du général De

Gaulle: «Touvier: douze balles dans la peau!» En 1962, c’est Mgr Grouet,

secrétaire de l’épiscopat français qui remet ça, nouveau refus de De Gaulle.

Après la prescription de l’exécution de la condamnation à mort, en 1967,

Mgr Duquaire, aidé de nombreuses personnalités, parvient à obtenir en 1971

la grâce du président Pompidou pour les peines annexes. L’affaire pourrait

passer inaperçue si on ne venait pas de découvrir que le paisible citoyen

bolivien Klaus Altmann n’est autre que Klaus Barbie, le «boucher de Lyon».

Deux plaintes pour crime contre l’humaninté (crime imprescriptible depuis

1964) sont déposées en 1973 et 1974 contre Paul Touvier. C’est seulement en

1981 que ces plaintes aboutissent à une inculpation qui oblige Touvier,

toujours avec le soutien de personnalités catholiques, à retourner à la

clandestinité. Paul Touvier passe alors plusieurs d’années de couvents en

monastères en France et en Italie.

En 1989 enfin, Paul Touvier est arrêté à Nice dans un prieuré intégriste. Dernières démarches des milieux catholiques pour le soutenir: le

Prieur de la Grande Chartreuse et l’Abbé de Fontgombault se portent garants

de Touvier en vue d’une éventuelle mise en liberté provisoire.

Le 26 février prochain, la chambre d’accusation de Paris devra décider

si Paul Touvier doit passer en Cour d’Assises pour crimes contre

l’humanité, si oui, il sera le premier français dans ce cas.

Lyon: Paul Touvier et l’Eglise (080192)

La commission composée de 7 historiens connus, sous la présidence de René Rémond, a travaillé pendant deux ans et demi. Elle a consulté des centaines de documents et interrogé plus de 80 témoins. Au delà de l’établissement des faits, elle a cherché à expliquer les comportements des écclésiastiques mis en cause.

Cette histoire frappe d’abord par la diversité et la multiplicité des

actions entreprises en faveur de Touvier par des ecclésiastiques de tout

bords, nostalgiques de Vichy ou médaillés de la Résistance. Une des clés

fournie par les historiens est l’existence de filières ecclésiastiques: une

communauté reçoit Touvier, elle le recommande à une communauté soeur dans

laquelle Touvier est reçu parce qu’on fait confiance à la première et ainsi

de suite. Procédé encore facilité par deux faits: d’une part dans la

plupart des communautés monastiques, seul le père Hôtelier est au courant

de l’identité des personnes accueillies, d’autre part pendant trente ans au

moins, le nom de Touvier est pratiquement inconnu et presque personne n’est

au courant des accusations portées contre lui.

Une conception erronnée du rôle de l’Eglise

Ce type d’explication ne s’applique pas bien sûr aux personnes qui ont

cherché à obtenir la grâce ou la réhabilitation de Touvier. Les historiens

distinguent à ce niveau trois groupes. Ceux que Touvier a réussi à convaincre de son innocence, et qui se consacrent à la réparation d’une injustice;

ceux qui ne sont pas convaincu de son innocence, mais qui estiment que lui

venir en aide est un devoir de charité; ceux enfin, et c’est peut-être les

plus nombreux, qui ne se sont guère posés de questions sur sa culpabilité

soit qu’ils se soient reconnus incapables de tirer la question au clair

soit qu’ils aient considéré que la justice des hommes ne liait pas l’Eglise

et ne les empêchait pas de porter secours à un malheureux.

Pour ces gens les actes politiques n’ont pas d’importance en eux-mêmes,

a précisé René Rémond, ils comptent moins que les intentions. Touvier s’est

trompé lorsqu’il a choisi le mauvais camp, mais il l’a fait pour des motifs

honorables. Derrière cette mentalité, c’est, pour l’historien, une conception de l’Eglise pré-conciliaire qui apparaît. L’Eglise comme société parfaite n’a pas de compte à rendre à la société civile. C’est parce qu’on

croit que l’Eglise n’est pas liée à la justice des hommes que personne ne

dit à Touvier: «Livrez-vous à la justice, faîtes éclater votre innocence»

ou bien «Pour obtenir un pardon complet encore faut-il que vous payiez votre dette».

La question du pardon

A ce propos, Mgr Decourtray a rappelé les exigences du sacrement du pardon. Il faut que le pénitent avoue, qu’il se repente, (ce qui ne semble jamais avoir été le cas de Touvier) qu’il soit résolu à ne plus recommencer

et qu’il promette réparation. «Un homme qui croit pouvoir effacer le péché

sans tenir compte de ces exigences fausse la parole du Christ», a déclaré

Mgr Decourtray.

En conclusion, la commission ayant démontré qu’il n’y a jamais eu de décisions concertées ni même de délibérations au sujet de Paul Touvier au

sein des autorités de l’Eglise, présente Paul Touvier lui-même comme le

cerveau de toutes ces manipulations. «Incontestablement la connaissance

historique a progressé, des légendes se sont volatilisées, des générosités

et des dévouements ont été mis en lumière. Mais je dois bien avouer que mon

impression dominante reste celle d’une triste perplexité», a conclu le cardinal Decourtray. (apic/mp)

8 janvier 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 5 min.
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