Marie Madeleine est interprétée par Rooney Mara (Universal Pictures)
Suisse

Marie Madeleine: le film qui signe un retour en grâce

Compagne de Jésus, prostituée ou 13e apôtre ? Le film «Marie Madeleine», du réalisateur australien Garth Davis, sorti le 28 mars 2018 en Suisse romande, donne un regard neuf sur la figure controversée des Evangiles. La théologienne protestante lausannoise Michèle Bolli salue ce qu’elle perçoit comme un soutien à l’engagement des femmes dans les Eglises.

«Le royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu’une femme prit et sema dans son champ» . Telle est la première phrase de Marie Madeleine que l’on entend en voix off, alors que, dans une scène marquante, l’héroïne du film s’enfonce lentement dans les eaux du lac de Tibériade. Le réalisateur a remplacé à dessein par «femme» le terme «homme», que l’on retrouve dans la plupart des traductions du verset 31, chapitre 13 de l’Evangile de Matthieu.

Pas une possédée

Car le film prend résolument une orientation féminisante de l’histoire sainte. Marie Madeleine, incarnée par l’actrice américaine Rooney Mara, y campe une habitante du village de pêcheurs de Magdala, sur les rives du lac de Génésareth. Probablement âgée d’une trentaine d’années, elle ne s’accommode pas des normes de sa société et aspire à quelque chose de plus grand ou plus spirituel que la monotone vie des pêcheurs lacustres.

«En tant que pécheresse, même repentie, elle a été placée en opposition à la pureté de l’autre Marie»

Lorsque son père tente de la marier de force, elle se révolte, ce qui lui vaut de subir un exorcisme traumatisant, par immersion forcée dans les eaux du lac, tel une parodie de baptême. Elle en ressort totalement prostrée. Jusqu’à la visite d’un certain Jésus de Nazareth, qui prêche dans la région et fait beaucoup parler de lui. Prenant le contre-pied de l’Evangile de Luc, qui explique que de Marie de Magdala étaient sortis sept démons, le Jésus de Garth Davis affirme «qu’il n’y a pas de démons ici».

Guérie et profondément bouleversée par ses paroles, elle décide de suivre cet homme déjà accompagné de douze disciples. Elle ira avec le Nazaréen jusqu’à Jérusalem, sera avec lui dans ses derniers instants. Le film la présente comme la première (et seule ?) témoin de la résurrection. La seule à laquelle il s’adresse pour l’envoyer annoncer la Bonne Nouvelle aux autres membres du groupe (les apôtres).

Prostituée ou affranchie ?

Michèle Bolli rappelle effectivement que les Evangiles placent tous Marie Madeleine parmi les premiers témoins de la résurrection. Elle bénéficie donc dans les Ecritures saintes d’un rôle prééminent. «L’histoire de Marie Madeleine, telle que décrite dans le film, est plausible», affirme la théologienne auteure du livre Femmes dans la Bible (Cabédita, 2018). Longtemps considérée dans la pensée chrétienne comme une femme de mauvaise vie, voire une prostituée, le long métrage la décrit plutôt comme une forte personnalité s’étant affranchie des carcans de son époque. «Elle faisait peut-être seulement partie des femmes qui, pour suivre Jésus, étaient sorties de leurs rôles traditionnels». Une démarche suffisante, dans la société patriarcale de l’époque de Jésus et des suivantes, pour la considérer comme une possédée ou une femme de petites mœurs. «Elle a été prise malgré elle dans un effort théologique de mise en valeur de Marie mère de Dieu. En tant que pécheresse, même repentie, elle a été alors placée en opposition à la pureté de l’autre Marie».

La théologienne se réjouit ainsi du fait que le film conforte un processus de réhabilitation de la disciple de Jésus.

La 13e apôtre ?

Si Michèle Bolli salue cette sortie des stéréotypes posés sur Marie Madeleine, elle regrette pourtant la vision caricaturale que le film donne des apôtres. Les douze sont en effet dépeints comme des personnes de bonne volonté, mais incapables de se défaire d’une vision politique, pragmatique de leur mission. Dans le long métrage, seule l’habitante de Magdala semble comprendre le Christ, avoir une réelle relation d’intimité spirituelle avec lui. Sans qu’aucune relation sentimentale ou sexuelle ne soit suggérée entre eux, contrairement aux thèses développées dans le Da Vinci Code ou la Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese. «Les apôtres méritent sans doute un meilleur traitement. Ils n’étaient certainement pas aussi en décalage avec les propos de Jésus que dans le film», souligne-t-elle.

Elle note toutefois que l’hypothèse développée par le long métrage selon laquelle Marie Madeleine a propagé de son côté, avec son groupe de femmes, la Parole du Christ, n’est pas si irréaliste. La théologienne rappelle par exemple le fait étrange que la figure féminine, si importante dans les Evangiles, n’est aucune fois mentionnée dans les Actes des apôtres.

Elle relève qu’une partie de la trame de l’histoire semble inspirée par l’évangile apocryphe dit «de Marie», un texte gnostique copte datant probablement du IIe siècle. Marie de Magdala y est en effet décrite comme ayant un rôle prépondérant parmi les apôtres.

Revaloriser le rôle des femmes

Pour la théologienne, le film Marie Madeleine n’est de loin pas exempt de défauts. Elle note en particulier un manque de développement des personnages entourant Marie Madeleine et une chronologie bancale. Elle salue au-delà de ça une œuvre culturelle qui «peut revaloriser le rôle des femmes en général dans l’essor du christianisme». Une prise de conscience aussi importante pour les femmes dans les Eglises d’aujourd’hui, qui peut les encourager à se sentir pleinement membres de leurs communautés.

Michèle Bolli rappelle, comme le film le mentionne à la fin, que l’Eglise catholique a posé depuis un certain temps un autre regard sur le personnage biblique. Ainsi, le pape François a décidé en juillet 2016 que la sainte Marie-Madeleine ne serait plus une simple «mémoire obligatoire», mais deviendrait une «fête liturgique». Elle a ainsi été mise au rang des apôtres. (cath.ch/rz)

Marie Madeleine est interprétée par Rooney Mara (Universal Pictures)
4 avril 2018 | 17:30
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
Bible (149), cinéma (118), Marie-Madeleine (3)
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