Mgr Marcelo Sanchez Sorondo a été l'une des chevilles-ouvrières de Laudato Si' (Photo: Raphaël Zbinden)
Suisse

Mgr Sorondo: 'Laudato Si' n'est pas «verte», elle est sociale

Lausanne, 16.09.2015 (cath.ch-apic) Dans ‘Laudato Si’, la foi et les connaissances scientifiques «sont regroupées pour la première fois dans le magistère pontifical», a souligné Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, au Forum Engelberg. Le préfet de l’Académie pontificale des sciences a présenté, le 16 septembre 2015 à Lausanne, une encyclique du pape François «fondatrice» d’un nouveau dialogue entre la religion et la science.

«La Bible peut nous dire que l’être humain doit préserver et développer la terre selon le plan de Dieu, mais elle ne peut pas nous dire quelle est la situation réelle de la terre aujourd’hui», a relevé Mgr Sorondo, qui a été une des chevilles ouvrières de l’encyclique. La connaissance d’une telle situation est du domaine de la science. C’est pourquoi, «la foi et la raison, la connaissance philosophique et les connaissances scientifiques sont regroupées pour la première fois dans le magistère pontifical dans ‘Laudato si’», a assuré le prélat argentin dans la salle de conférence du Musée Olympique de Lausanne.

Selon lui, l’appel du pape François dans ‘Laudato Si’ représente ainsi un texte fondateur pour le magistère de l’Eglise catholique. «Il est profondément religieux et dans le même temps scientifique: il part de la foi, passe par la réflexion philosophique et éthique et adopte les connaissances les plus précises des sciences naturelles et des sciences sociales». Pour le prélat argentin, le pape François essaie d’unir ce que la modernité a disjoint ou séparé: d’une part les êtres humains et de l’autre la terre, d’une part l’écologie de l’environnement naturel et de l’autre l’écologie humaine, et surtout Dieu et sa création. Le pontife unit les deux dimensions dans une approche révolutionnaire et intégrative dans ce qu’il appelle «écologie intégrale», a rappelé Mgr Sorondo.

Ecouter les clameurs de la terre et des pauvres

Le prélat a réaffirmé le message de l’encyclique selon lequel, «la planète sur laquelle nous vivons est notre ‘maison sœur’ commune. Celle-ci est malade à cause des mauvais traitements qui lui sont infligés par quelques-uns, tandis que le plus grand nombre en subit les conséquences négatives». Son exposé a mis en exergue les principaux points soulevés par le pape, notamment la réalité du réchauffement climatique imputable à l’homme, les dangers de la perte de biodiversité, ou encore l’interconnexion des systèmes. «Un des axes qui sous-tend et traverse toute l’encyclique, est la relation intime entre la fragilité de la planète et les pauvres du monde». Ce qui lui a permis d’affirmer: «L’encyclique n’est pas écologique, entendue comme verte, mais elle est, avant tout, un document social». Le prélat a rappelé qu’une véritable approche écologique se transformait toujours en une approche sociale, intégrant la justice dans les discussions sur l’environnement. Il a ainsi cité une phrase forte de ‘Laudato Si’, selon laquelle il faut «écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres».

Pas une encyclique écologique

Cette dimension combinant approche sociale et environnementale a été un des points les plus évoqués dans les interventions au Forum Engelberg. Le théologien protestant Denis Müller a souligné que les Eglises réformées et catholique se recoupaient très souvent sur les sujets de justice sociale. Tout en assurant que les protestants étaient parfois «jaloux» de ne pas avoir d’encycliques, le professeur émérite d’éthique a salué le fait que celle du pape François ne soit pas «écologique», au sens étroit du terme, mais qu’elle mette cet aspect en relation avec la justice sociale. «La foi chrétienne est une proposition de sens pour la vie en commun et pour le bien commun qui nous réunit et nous tient lieu d’idéal», a lancé Denis Müller. Il a souligné que c’était seulement à partir de cette perspective spirituelle et religieuse que l’on pouvait comprendre la pertinence d’une approche chrétienne de l’écologie et de l’environnement.

L’éthicien s’est réjoui que ‘Laudato Si’ ne succombe pas à une écologie romantique ou sentimentale, ni à un «scientisme laïciste et auto-suffisant». Pour lui, seule vaut une écologie intégrée, tout d’abord à une vision équilibrée de Dieu (création, salut, réconciliation), mais aussi à une vision globale de la réalité (écologique, mais aussi économique et politique).

«Anthropocentrisme modéré»

L’encyclique articule, selon Denis Müller, un «anthropocentrisme modéré». Il a estimé qu’»une juste pensée écologique doit en effet échapper aux erreurs symétriques du biocentrisme absolu et de l’anthropocentrisme radical, que l’encyclique désigne comme ‘anthropocentrisme déviant’».

Il a en outre martelé que ” ce qui est très fort et très juste, dans l’encyclique, c’est la manière dont l’être humain – le sujet, mais aussi le citoyen – est tenu doublement responsable envers la création». L’homme a une responsabilité indéniable envers les dommages que subit, de par sa faute, la création. «Or c’est justement cette ‘culpabilité’ de fait qui légitime l’appel à une responsabilité morale de l’individu, du citoyen et des institutions humaines, sociales et internationales».

D’autres traits parmi les plus remarquables de ‘Laudato Si’ concernent la corrélation que tisse le texte pontifical entre les grandes thématiques scientifiques de l’écologie et le thème éthique de la «destination commune des biens», a noté Denis Müller. Il a relevé la pertinence du concept de «justice climatique», déployée par l’encyclique, qui est une justice en même temps politique et économique. «Nous sommes ici en total accord intellectuel et en profonde communion spirituelle avec la perspective de ‘Laudato Si’.

Un monde d’imprévisibilité

Jean-Claude Landry, écotoxicologue engagé dans l’Eglise réformée du canton de Vaud, a pris un angle plus scientifique pour exposer sa vision de l’encyclique. Il a notamment assuré que l’humanité était dans une dramatique situation de crise anthropologique et écologique dans laquelle tous les systèmes se trouvent impliqués et liés entre eux; systèmes naturels et environnementaux, sociaux, économiques, politiques, tout comme notre héritage historique, artistique et culturel. A travers les concepts d’entropie (degré de désorganisation ou de manque d’information d’un système) et d’anthropocentrisme, il a relevé que les interdépendances étaient multiples et non sans conséquences «comme le fait que, là où vivent les populations les plus déshéritées, la planète terre est la plus fragilisée». Il a aussi averti l’auditoire que nous vivons «dans un monde fort éloigné de l’équilibre, un monde d’imprévisibilité dans lequel les systèmes chaotiques n’évolueront pas forcément dans le sens espéré».

Pour Jean-Claude Landry , ‘Laudato Si’ «nous met face à notre responsabilité, nous invite à un dialogue vrai et constructif pour trouver une issue à long terme, une voie à suivre, pour relever le défi de trouver un nouveau paradigme concernant l’être humain».


Encadré

Quatre questions à Mgr Sorondo

cath.ch: Un événement comme celui du Forum Engelberg, est-il un signe que l’Eglise se réconcilie avec la science?

Marcelo Sanchez Sorondo: On peut dire qu’il y a une forme de réconciliation. Mais le fait est que l’Académie pontificale des sciences existe depuis plus de 400 ans, cela fait donc un moment que l’Eglise s’intéresse à la science. La nature de la dernière encyclique, le fait qu’elle parle de l’environnement et du climat, a amené naturellement l’implication des données scientifiques. Même si ces circonstances ont provoqué un rapprochement plus visible entre ces deux mondes, l’Eglise écoute depuis longtemps les voix de la science.

cath.ch: On a l’impression que la science s’intéresse à nouveau davantage à la religion…

MSS: Oui, le monde profane, en général, s’intéresse plus à la voix de la religion. C’est le cas notamment des Nations unies, où les religieux, pas seulement catholiques, sont de plus en plus écoutés. Dans beaucoup de milieux, on a compris que l’influence de la religion était très forte dans de nombreuses sociétés, même en Europe, où les gens sont très sécularisés.

cath.ch: Le Vatican a-t-il déjà un mot d’ordre pour la Conférence de Paris sur le climat?

MSS: Le mot d’ordre, c’est l’encyclique elle-même. Je ne sais pas si le Vatican va organiser une délégation, mais ‘Laudato Si’ envoie un message assez clair, notamment sur la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Il est donc évident que nous devons trouver d’autres formes d’énergie que les énergies fossiles, il faut nous tourner vers des sources renouvelables.

Ensuite il y a cet appel à considérer l’autre comme un frère, à la solidarité, à la justice sociale, lancé par l’encyclique, le fait que ce sont les plus pauvres qui subissent les conséquences des changements climatiques. Ce sont les principaux aspects que le Vatican veut porter à l’attention des politiques.

cath.ch: L’encyclique est porteuse d’espérance, mais elle est théorique. Est-ce qu’il y a un espoir de faire changer la situation?

MSS: L’encyclique propose des solutions, notamment dans sa seconde partie. C’est en particulier le développement durable. C’est un appel à la responsabilité de chacun, également des politiques, à se tourner vers une économie plus saine, plus sobre. Et nous espérons le changement. Voyez pour le tabac et pour l’alcool, les gens ont fini par comprendre que c’était mauvais et la consommation est maintenant en baisse. Alors nous espérons que pour le climat, qui est un facteur encore plus important, il y ait une chance que les gens suivent la même voie. (apic/rz/mcc)

Mgr Marcelo Sanchez Sorondo a été l'une des chevilles-ouvrières de Laudato Si'
17 septembre 2015 | 12:50
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 6 min.
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