Le tabernacle a nécessité plus de deux ans de travail | © Raphaël Zbinden
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Mossoul: le tabernacle suisse de l'alliance

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Un tabernacle réalisé par l’artiste genevois François Reusse a été consacré le dimanche 20 février 2022 à l’église Saint-Paul des Chaldéens de Mossoul, au nord de l’Irak. L’évêque de la ville, Mgr Najeeb Michaeel, a fait le lien entre l’œuvre et l’Arche d’alliance, signe tangible que «Dieu marche avec nous».

Par Raphaël Zbinden, envoyé spécial de cath.ch à Mossoul

Dans l’église de Mossoul, les chants liturgiques orientaux résonnent au milieu des senteurs d’encens. Soudain, le drap blanc étoilé posé sur le tabernacle tombe et découvre la resplendissante œuvre de bronze et d’émail coloré. Une rumeur enthousiaste parcourt la foule. Les bravos, les applaudissements et les youyous retentissent.

Une communauté meurtrie

Ambiance festive, sereine et familiale. Difficile d’imaginer qu’il y a plus de sept ans, la plupart de ces fidèles ont quitté précipitamment leur foyer face à l’avancée de DAECH. Comme les autres chrétiens du nord de l’Irak, qui ont été l’une des principales cibles des fanatiques chassés en 2017, les chaldéens tentent de se reconstruire un avenir et une présence dans leur région martyrisée.

La messe de ce dimanche se déroule dans la seule église de Mossoul qui peut accueillir les célébrations. Les treize autres à disposition dans le diocèse avant l’arrivée de l’Etat islamique (EI) ont été si endommagées qu’elles ne sont pas encore utilisables. La communauté a donc bien besoin d’espoir et de soutien.

Agir contre la dévastation

C’est ce que François Reusse a en tête, lorsque le projet «fou» d’offrir un tabernacle fait de sa main aux chrétiens d’Irak germe dans son esprit. L’artiste-orfèvre de Genève est tellement attristé par la dévastation commise contre ce peuple et son patrimoine culturel, qu’il ne peut rester inactif. Il décide alors de mettre ses compétences spécifiques au service de ce projet. «Je voulais donner quelque chose de moi-même, fut-ce symbolique, pour leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls, pas oubliés», confie-t-il à cath.ch.

Deux ans de travail ont été nécessaires à François Reusse pour réaliser le tabernacle | © Raphaël Zbinden

Mais comment concrétiser un tel projet? Il se souvient alors qu’il existe une communauté chaldéenne en Suisse. Il contacte le prêtre irako-vaudois Naseem Asmaroo. Ce dernier lui conseille de s’adresser à Mgr Najeeb Michaeel. L’évêque est notamment connu pour avoir sauvé des milliers de manuscrits des griffes de DAECH en les emportant au Kurdistan irakien. L’idée plaît immédiatement au dominicain chaldéen.

Le Christ et la baleine

Enthousiaste, François Reusse se met tout de suite à la tâche. Des heures de conception, de recherches, de travail artisanal qui s’égrènent alors. Un temps qu’il n’a jamais pensé à comptabiliser ou à faire payer à quiconque.

Il faut plus de deux ans pour que l’artefact voit le jour. Une boîte de bronze et d’émail tenue sur quatre piliers dont les pieds représentent les êtres emblématiques des évangélistes. Elle est dotée d’une série de symboles tenant à cœur autant à l’artiste qu’à l’évêque. Le tabernacle est notamment surmonté d’un Christ sortant de la gueule d’une baleine. Une référence à la renaissance et à la résilience, à travers l’histoire du prophète Jonas, dont le tombeau est à Ninive, dans les faubourgs de Mossoul. Deux lettres en araméen sur la porte de l’objet représentent l’Alpha et l’Omega. Deux bougeoires en bronze ont aussi été fabriqués pour être mis sur l’autel.

Tabernacle en pièces détachées

L'église chaldéenne de St-Paul, à Mossoul | © Raphaël Zbinden

Mais comment transporter cet objet de 80 kilos de Genève en Irak, à un prix abordable? La solution est trouvée avec l’aide de Naseem Asmaroo.

Le prêtre chaldéen, qui officie dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) (également dans le rite latin), pense depuis longtemps à organiser une nouvelle visite dans le pays de sa jeunesse. Il profite de l’occasion pour combiner plusieurs projets de coopération entre la Suisse et l’Irak. Avec son épouse Lusia Shammas, il réunit une délégation hétéroclite composée de représentants aussi bien de l’œuvre d’entraide Aide à l’Eglise en détresse (ACN-AED), de l’Université de Fribourg, que de cath.ch, avec des participants indépendants. Certains «délégués» sont ainsi mis à profit pour transporter les pièces du tabernacle dans des valises différentes pesant dans les 30 kilos chacune.

Il faut en amont affronter les méandres de l’administration irakienne et l’organisation compliquée d’un tel voyage. Un défi relevé avec succès par Naseem et Lusia, puisque la délégation suisse arrive sans trop de péripéties à Ankawa, au Kurdistan, deux jours avant la consécration. De là, les pièces de l’objet sacré sont convoyées en voiture vers Mossoul, à 60 km à l’ouest.

Musulmans à la rescousse

Une fois dans l’église Saint-Paul, le tabernacle n’a plus qu’à être installé sur place. Une affaire pas si mince, qui prendra quatre bonnes heures, avec quelques montages, démontages et re-démontages, dans ce qui s’apparente à une mécanique de grande précision.

Une dizaine de personnes proches de la communauté offrent leur aide. Surprise: une grande partie d’entre eux sont des musulmans du quartier. Une proximité interreligieuse pleinement encouragée par le prélat dominicain. «Travailler avec tout le monde, c’est ce que nous voulons accomplir ici. L’Irak ne pourra pas survivre si nous ne promouvons pas la fraternité humaine», explique-t-il à cath.ch.

La communauté «élargie» de la paroisse St-Paul s’est ainsi impliquée jusqu’au bout dans le projet de nouveau tabernacle. Une famille du diocèse a offert ce qui sera au final le socle de l’œuvre: en seulement 14 jours elle a fait tailler dans le marbre une colonne de 400 kg.

Une pierre à la reconstruction

Dans l’homélie qui précède la consécration, Mgr Michaeel remercie chaleureusement François Reusse, ainsi que la délégation suisse et toutes les personnes qui ont contribué à la démarche. Il souligne l’importance de l’action, qui va dans le sens de redonner foi et espoir à un peuple profondément meurtri et incertain de son avenir. Un an après la visite du pape François en Irak, l’évêque de Mossoul y voit un nouveau signe que les chrétiens d’Orient sont dans les cœurs de ceux d’Occident et du reste du monde.

L’évêque de Mossoul fait le lien entre le nouveau tabernacle et l’Arche d’alliance, symbole tangible de la présence de Dieu, qui «marche avec nous», et de l’universalité du message chrétien.

Après la messe, les paroissiens se ruent pour se faire photographier aux côtés de l’artiste genevois et de son œuvre, les remerciements cordiaux pleuvent. La joie visible dans les yeux des fidèles fait croire qu’aux travail de renouveau lancé par le pontife il y a un an, un autre François est venu apporter sa pierre. (cath.ch/rz)

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Le tabernacle a nécessité plus de deux ans de travail | © Raphaël Zbinden
21 février 2022 | 17:00
par Raphaël Zbinden

Le voyage du pape François en Irak, en mars 2021, est considéré d’ores et déjà comme l’un des gestes majeurs de son pontificat. Mais un an après, cette visite a-t-elle vraiment changé quelque chose?

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